Mentir pour que des peuples s' «unissent»

Pour «Le Soir», important journal francophone, la Belgique devient une Confédération

Chronique de José Fontaine

La politique belge est réputée compliquée. Pourtant, on peut résumer la situation politique issue des élections du 25 mai en quelques lignes et d’abord en quelques mots : on avance vers la constitution d’une Confédération d’Etats indépendants.

Je parlerai d’abord de la Wallonie et de la Flandre, la complication belge venant surtout de Bruxelles, ville centrale, mais 10% de la population, ni flamande ni wallonne, tout en étant la capitale. Sans elle, Flandre et Wallonie seraient déjà indépendantes. Pour Philippe Destatte directeur de l'Institut Destrée qui enseigne dans plusieurs universités de France et de Wallonie, Flandre et Wallonie ont d'ailleurs précédé la Belgique.

Je parlerai enfin de la nécessité du mensonge (ou de l'obscurité), dans les rapports entre Wallonie et Bruxelles.

Des coalitions opposées en Flandre et Wallonie

Aux dernières élections régionales (qui concernent des quasi-Etats en fait) et fédérales, en Flandre, le parti nationaliste flamand NV.A (Nieuw-Vlaamse Alliantie), le premier parti de Flandre avec près d'un tiers des voix. Ce parti est aussi très à droite comme l’ensemble du paysage politique flamand avec les centristes démocrates-chrétiens (CD&V) et les libéraux, soit 80 % des suffrages et des sièges.

En Wallonie le paysage politique est au contraire très au centre-gauche avec plus de 60 % des suffrages et des sièges (les socialistes du PS, les démocrates-chrétiens du CDH, les Verts et un nouveau parti d’extrême-gauche, le PTB).

Les partis (dont le rôle est dominant dans le système belge), ont choisi en Flandre de former un gouvernement de centre-droit (N-V.A et démocrates-chrétiens). En Wallonie ils ont décidé de former un gouvernement de centre-gauche, avec le PS (socialistes) et le CDH (démocrates-chrétiens). Les entités fédérées exercent aujourd’hui 70% des anciennes compétences étatiques belges, alors que ce pourcentage était à zéro en 1980.

Blocage au fédéral où les Flamands majoritaires veulent un gouvernement de droite

Pour l’instant, la situation semble bloquée au fédéral. Le leader nationaliste flamand, Bart De Wever a tenté de former également au fédéral une coalition de centre-droit, avec côté wallon, deux partis : les libéraux du MR et les démocrates-chrétiens du CDH. Mais le CDH a refusé la note de Bart De Wever, provoquant d’ailleurs un grand mécontentement en Flandre, notamment dans le patronat qui souhaite ouvertement une coalition fédérale de centre-droit.

Que le CDH soit le plus petit parti traditionnel du pays irrite le partenaire flamand qui peut avoir le sentiment que c’est la minorité wallonne [[Les Wallons ont toujours été minoritaires en Belgique depuis la fondation de l'Etat belge en 1830 et cela tourne toujours autour de 33% de la population.]] qui fait la loi dans cet étrange stratego. Le CDH, le plus unitariste des partis belges, est aussi critiqué par les partisans de l’unité belge dans la mesure où il crée une situation tendant à diviser le pays.

La Flandre à droite, la Wallonie à gauche

Bien que certaines nuances devraient être apportées, bien que l’évolution d’une société soit complexe et qu’il n’y ait pas d’identité figée et bien que Flandre et Wallonie aient connu—respectivement, car les évolutions dans les deux parties du pays ne coïncident jamais— comme tout pays normal des alternances de domination plutôt de la droite ou plutôt de la gauche, on peut dire, en gros, que la Wallonie vote traditionnellement à gauche et au centre et la Flandre traditionnellement à droite et au centre.

L’événement le plus spectaculaire qui illustre ces tendances lourdes, c’est le référendum consultatif de mars 1950 sur le retour du roi Léopold III compromis avec les Allemands en 1940-1944. La Flandre vota OUI à plus de 70 % et la Wallonie NON à près de 60%. Ce référendum a presque la valeur d’un référendum sur l’indépendance dans la mesure où il créa des troubles graves 4 mois plus tard du fait du refus des Wallons d’en accepter le résultat en invoquant le fait que pour revenir, le roi, comme le déclara un ministre du gouvernement qui organisa la consultation, devait avoir une majorité dans les trois Régions du pays. Une proposition de type confédéral puisque dans une Confédération d’Etats toute décision doit être prise à l’unanimité des Etats. La question de savoir si la Belgique est une confédération est très controversée. Mais ce qui s’est passé en 1950 ou ce qui se passe aujourd’hui confirme la thèse qu’elle est bien une confédération de fait sinon de droit.

Quant à la Région bruxelloise, les coalitions s’y déterminent étrangement dans chaque groupe linguistique sans qu’il y ait nécessairement symétrie. Côté bruxellois francophone (largement majoritaire), la coalition est effectivement de centre-gauche aussi (socialistes et démocrates-chrétiens et un parti régional bruxellois centriste, le FDF) et côté flamand, de centre-droit (libéraux et démocrates-chrétiens) [[Le gouvernement bruxellois est issu de ce mécanisme complexe : il faut une majorité de sièges dans le groupe francophone du Parlement de Bruxelles ainsi qu’une majorité de sièges dans le groupe flamand de l’assemblée pour élire le gouvernement de cette entité fédérée.]]

«Ducunt volentem fata, nolentem trahunt»

«Ducunt volentem fata, nolentem trahunt». On peut traduire cet adage latin par «Le destin porte ceux qui l'acceptent et lynchent ceux qui le refusent» : apparemment, bien que (sauf la N-V.A), tous les partis se disent attachés à la Belgique tout en la dépouillant progressivement de ses compétences politiques, aucun parti ne veut se faire lyncher et acceptent en un sens, en fonction de ses intérêts, de mettre en cause l’unité belge, dans les faits. Les partis en Wallonie mettent en place une coalition de centre-gauche parce que c'est leur intérêt et en Flandre de centre-droit parce que c'est leur intérêt.

Ce qui, effectivement, va rendre difficile la formation d’une coalition au plan fédéral, les partis wallons et flamands choisissant deux coalitions diamétralement opposées en Flandre et Wallonie.

Le mouvement wallon, certes affaibli, veut, lui, positivement, que la Wallonie acquière une autonomie maximale ou l’indépendance. De nombreuses personnalités de tous les partis partagent ce désir, mais sont pour l’instant neutralisées par le système particratique que certains appellent présidentocratie qui, cependant, à son corps défendant, comme on le voit maintenant, va dans le sens de ce désir que les rapides et nombreux transferts de compétences, la fixation des frontières de la Wallonie, la désignation d’une capitale, l’existence d’un gouvernement et d’un Parlement souverains amplifient. Au point que l’ancien directeur du Crisp, Vincent de Coorebyter a pu écrire dans La Revue nouvelle que dans l’exercice de leurs compétences les entités fédérées sont souveraines « Exactement comme un Etat est tout à fait indépendant dans sa sphère de souveraineté, même s'il est par ailleurs membre d'une confédération. » [[La Revue Nouvelle, janvier 2008, p. 40.]]

Le Soir lui donnait en somme raison le 6 juin dernier. Le problème de la Wallonie est celui de son élite politique trop dépendante de la présidentocratie dont on peut dire qu’elle parvient à neutraliser le Parlement comme le Gouvernement de la Wallonie. Notamment pour ce qui est des rapports avec Bruxelles qui sont des rapports dits «de solidarité», sans que personne ne pose la question de savoir ce que ce mot veut dire exactement. Surtout pas les gens au pouvoir [[Ainsi la Wallonie doit «refinancer» la capitale à la hauteur de 200 millions d'€ par an. C'est peut-être nécessaire, mais on souhaiterait qu'au moins un député wallon interpelle le gouvernement wallon à ce sujet, notamment sur le fait que la Région la plus riche du pays va bénéficier de ce fait d'une évolution budgétaire favorable alors qu'elle sera douloureuse surtout en Wallonie.]]. L'habitude sur cette question est d'en dire le moins possible ce qui ressemble à l'absence de débats wallons sur la construction européenne : dès qu'il faut que des peuples s'unissent (ou se battent), on dirait qu'il faut tout leur cacher.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    1 juillet 2014

    Merci pour cette analyse lucide et oxygénante ! Voilà qui tranche avec un discours politique devenu irrationnel voire parfois simpliste.