Monarchie et démocratie canadiennes et belges

Chronique de José Fontaine

Des statues de Léopold II, l’un des plus grands des massacreurs colonialistes de l’histoire, ornent plusieurs villes belges. La plupart des historiens universitaires ne parviennent toujours pas, un siècle après la mort du criminel, à simplement dire qu’il en était un. Un autre roi, Léopold III, a porté à son comble la division des Belges en 1950, lors d’événements qui sont vraiment une révolution menée de Wallonie contre lui du 22 juillet au 31 juillet 1950. J’y reviens à cause de la découverte récente du livre formidable d’un Américain, Ramon Arango, étude facile à lire, n’ayant fait l’objet d’aucun commentaire chez nous ou peu (le sujet est tabou), Leopold III and the Belgian Royal Question, The John Hopkins Press, Baltimore, paru en 1961 ! 1961 ! Voici ce qu’il dit.
Contrairement aux autres monarchies, la monarchie belge a été d’emblée constitutionnelle et n’a pas connu un lent déclin de son pouvoir comme les autres monarchies européennes encore existantes, passant de monarchies qui « gouvernent » à des monarchies qui « règnent », changées en simples symboles. Ces monarchies, devenues parlementaires (Danemark, Royaume uni etc.), expriment l’unité du pays, mais n’en sont emblématiques que parce que cette unité existe sans elles : elles ne font que la refléter. Au contraire, en Belgique, on a supposé que le roi, transcendant les divisions, forgeait l’unité. Des naïfs le croient encore. Mais, écrit Arango, une monarchie n’est significative de l’union nationale que si ses sujets sentent qu’ils forment un tout et sont à même, par là, de se refléter en lui. Ce n’est pas le cas de la Belgique, poursuit-il, car avant et après 1830, Wallons et Flamands sont deux populations différentes, séparées l’une de l’autre. Ces deux peuples ont connu, même après 1830, des évolutions divergentes, les Flamands (les plus nombreux), demeurant longtemps catholiques, plutôt conservateurs et parlant une autre langue que le français pratiqué par les Wallons, s’éloignant, eux, assez vite d’un catholicisme massif, forgeant des convictions de gauche et socialistes face à l’exploitation éhontée à laquelle les soumit la bourgeoisie belge. Evidemment, si la monarchie britannique unit les Anglais, voire même certains dominions devenus nations, il n’en va pas de même du Canada à cause des Québécois qui se trouvent à l’égard de la monarchie anglaise, dans la même position que les Wallons (ou les Flamands) : cette monarchie ne les réunit pas au Canada, pays profondément désuni. Mon premier souvenir du Québec c’est la reine d’Angleterre chahutée dans ce pays dans les années 60, même si elle avait la décence d’y parler français, langue qu’elle pratique assez bien.
Pour revenir à la Belgique et Léopold : en raison de ces oppositions radicales, il était fatal que Léopold III, mis en cause pour collaboration avec l’Allemagne, ne soit plus qu’un miroir éclaté dont les mille morceaux acérés aiguisèrent ces visions incompatibles. Dès la libération du roi avec la victoire des Alliés (il avait été emmené de Belgique dans une résidence surveillée du Reich allemand, à Strobl, lors du débarquement de juin 44 en Normandie qui donna le coup de grâce aux nazis), plusieurs personnalités lui disent que son retour en Belgique provoquera une grève générale en Wallonie et une révolution à Liège. Donc dès 45. Il s'en rend compte. Mais il s'obstine à revenir. Il revient cinq ans après le 22 juillet 1950. Et dès lors tout se passe comme prévu. Il est rare que des prédictions se soient réalisées avec cette précision mathématique. A Liège, à Charleroi, dans le Borinage, les insurgés ont le contrôle du pays, menacent de détruire les usines, de noyer les mines, si le roi ne s'en va pas. Puis ils en appellent à une réunion des Etats généraux de Wallonie, remplacent le drapeau belge par le drapeau wallon!
Le miroir royal irrémédiablement brisé, toutes les oppositions entre Wallons et Flamands se concentrent dramatiquement en 50 et ce n’est que de toute justesse que les politiciens belges (avec l’expérience de 120 ans de vie parlementaire et de deux guerres), parviennent à trouver un compromis (qui forçait Léopold à abdiquer). Depuis, malgré un certain calme dans les années suivant juillet 1950, la division n’a cessé de s’approfondir et la scission de la Belgique est inéluctable, on ne le voit que trop en lisant Arango (1). C’est très lent parce que, je pense, la démocratie est la meilleur manière d’unir des êtres humains entre eux et la sécession d’une partie de pays démocratique (ou des deux parties) est difficile. Il me semble que le Québec l’expérimente comme nous. On va, certes, inexorablement à la scission de la Belgique, mais que les Québécois ne nous envient pas trop ! Les Wallons, coq si ardents de 1950, sont aujourd’hui des poules mouillées. Ils n’osent même plus regarder tomber sur la Belgique la guillotine qui va les séparer des Flamands. Ils ne se préparent pas à l’inéluctable. Si les négociations actuelles réussissent, 70% des compétences étatiques ne seront plus gérées par l’Etat belge. Pourquoi l’aveuglement wallon? La classe ouvrière s’est fort affaiblie en Wallonie et à sa place règne une petite bourgeoisie stupide qui n’a jamais rien tenté. Rien osé. Rien compris. Les partis wallons la suivent car c’est elle qui influence l’opinion et détermine des succès électoraux complètement à côté de la plaque. Quitte, ensuite, à se mettre d’accord avec les Flamands pour, en réalité, scinder le pays. En 2007, les demeures petites bourgeoises se sont couvertes de drapeaux belges. C’est idiot, mais je n’ai jamais personnellement rencontré autant d’hostilité, sans doute parce que l’on sent bien que j’ai raison en parlant de fin inéluctable de la Belgique. Les porteurs de mauvaises nouvelles (encore que pour moi ce n’en est pas une), sont souvent accusés d’être à leur origine et traités en conséquence. [Surtout si l'on montre l'histoire vraie de la monarchie belge.
(1) Bien qu'il dise le contraire à la fin et cela sans ignorer la grève de 60-61 qui relança la division très profondément. Il estime en réalité que les deux plus importants partis belges de l'époque, en se coalisant au gouvernement deviennent des facteurs d'unité. Or, dans les discussions gouvernementales actuelles, ce sont aussi les deux plus importants partis belges qui pourraient gouverner le pays (les nationalistes flamands et les socialistes wallons). Ils pourraient s'entendre, mais pour quasiment scinder le pays!

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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