Octobre 1970

Notre part de responsabilité

Voilà comment errent les aspirations de la nation dans les officines du pouvoir exercé ou à prendre. Sans elle, à coup sûr. Contre elle?

Crise d'Octobre '70 - 40e anniversaire

Texte publié dans Le Devoir du vendredi 22 octobre 2010

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Ayant été arrêtée et emprisonnée pendant 51 jours, en octobre, novembre et décembre 1970, j’ai été tentée, comme tout le monde, ou de témoigner de mon expérience ou d’élaborer une énième analyse critique de ladite fameuse Crise. Devant l’actuelle avalanche de tels récits et examens, j’ai perdu le goût de rajouter mon grain de sel.

Je me suis néanmoins penchée à nouveau sur le phénomène pour arriver à la conclusion que j’exposais il y a dix ans déjà, dans le numéro de L’Action nationale (vol. 90, no 8, octobre 2000) sous le titre [« De Londres à Ottawa, le terrorisme d’État dans l’histoire du Québec »->30746], à savoir que la répression de la volonté d’existence autonome de ma nation par des moyens démesurés, compte tenu du rapport des forces en présence, n’était pas un accident de parcours dans cette histoire, mais une constante. Il suffit de se rappeler coup sur coup 1810, 1837-1838, 1870-1885, 1918, pour en prendre conscience.

J’ai donc cherché à comprendre ce qui dans la répétition du phénomène, dans sa variante de 1970, était directement lié au détournement du projet de libération nationale tel qu’amorcé au tournant des années 1950-60 au profit d’un réaménagement des relations entre le Canada et le Québec, basé sur un partage différent des pouvoirs. Détournement lié à la crainte des élites tant québécoises que canadiennes que se produise le changement radical de la société québécoise visé par le mouvement indépendantiste.

Car il s’agit bien de cela. Ce n’est pas le peuple qui d’emblée a eu peur du FLQ, mais bel et bien tous les détenteurs d’un quelconque pouvoir dans un domaine ou l’autre de notre société. Puisqu’aussi bien, le projet d’indépendance du Québec est un projet révolutionnaire, dût-il être réalisé pacifiquement dans la plus stricte légalité de l’ordre établi.

L’indépendance du Québec a pour objectif et pour conséquence le renversement de la structure des pouvoirs du Canada tels qu’ils s’exercent d’un océan à l’autre, au service de sa classe dominante, y compris de sa faction québécoise, nationaliste comme fédéraliste, les intérêts des uns et des autres étant intégrés. L’indépendance du Québec vise la dissolution radicale de la Loi constitutionnelle canadienne qui fournit à cette classe les assises juridiques, politiques et institutionnelles nécessaires au développement et à la défense de ses intérêts particuliers, tous très largement contraires aux besoins et aspirations de la nation québécoise, indissociablement liés à son identité, son histoire et sa culture.

Bien avant octobre 1970, cette classe dominante a tout fait pour briser l’élan du Québec vers une plus grande maîtrise de son destin. Ainsi, la Révolution tranquille a vite tourné court, se heurtant à la résistance du pouvoir fédéral qui, selon sa logique de centralisation, non seulement refusa de consentir de nouveaux pouvoirs au Québec, mais continua d’empiéter sur ses juridictions. Il n’est dès lors pas étonnant que le discours et l’action indépendantistes soient combattus par tous les moyens, y compris la promulgation et la mise en application de la Loi des mesures de guerre. Que l’initiative politique d’une telle action ait été prise par Bourassa, Drapeau ou Trudeau n’a d’importance que pour la galerie, puisque l’un comme l’autre servaient les intérêts de la même puissance et ne pouvaient se dérober à ses injonctions.

La peur des mots

De toutes les peurs, la plus paralysante est celle des mots. C’est cette peur qui depuis quarante ans fait dévier le peuple québécois du chemin de son indépendance politique dans lequel il s’était timidement engagé à la fin des années 1950, suite à la longue phase d’aphasie entraînée par la brutale répression des Rébellions de 1837 et de 1838.

On se souvient en effet que la nation canadienne-française parlait peu. S’il est vrai, comme le prétend la philosophie, que la maîtrise du langage est la conséquence d’une maîtrise préalable : celle de la situation, on ne peut guère s’en étonner. Exclue de la propriété, des affaires, de l’université, du pouvoir, la nation canadienne-française avait peu de mots et lui étaient interdits d’usage ceux de domination, exploitation, aliénation,  contestation,  révolte,  révolution. Mots subversifs entre tous parce que trop parfaitement descriptifs de la réalité à nommer et à changer. Elle se taisait donc.

Tout à coup, à la charnière des décennies 50 et 60, ces mots apparurent dans les discours et les écrits de quelques-uns pour parler d’indépendance et de liberté. Et la jeunesse d’alors les a trouvés si justes, si vrais, si abrasifs, si mobilisateurs qu’elle s’en est emparé et est descendue dans les rues pour les crier haut et fort, afin que toute la nation les entende et s’élance dans un mouvement irrépressible de libération. Se grossirent alors les rangs des révolutionnaires, car autant que de permettre la compréhension de ce qui est directement en cause, le mot juste permet de formuler clairement les enjeux et de situer le lieu exact du combat.

Or, la charge explosive des mots adéquats à la réalité des situations problématiques fait peur. Et, étrangement, aux réformistes encore plus qu’aux réactionnaires. Il fallait donc désamorcer ces mots dangereux qui assuraient la fécondité des débats et des combats.

Cela a commencé par la substitution des mots souveraineté-association au mot indépendance, du mot égalité à celui de liberté, s’est continué par la substitution des mots prise du pouvoir à ceux de lutte de libération nationale, des mots campagne de financement à ceux de formation et de mobilisation politiques, pour finir par la substitution du mot bénévole au mot militant.

Sans oublier la disparition du vocabulaire politique des mots « aliénation », « domination » « exploitation », proclamés désuets. Pourtant, c’est son aliénation, c’est-à-dire son impuissance à concevoir son identité nationale comme une et indivisible, indissociable du droit à s’autodéterminer qui soumet le peuple québécois à un développement de sa société par des puissances étrangères à ses besoins et aspirations. S’il n’y avait pas aliénation, donc soumission à cet ordre des choses, il y aurait oppression. Or, l’oppression est insupportable et donne nécessairement lieu à une lutte de libération.

Il fallait donc rayer du vocabulaire politique ces mots qui rendaient immédiatement accessible à l’entendement la réalité de l’ampleur et de la gravité des enjeux de l’indépendance.

Négation de la réalité qui, à une profondeur bien plus grande que celle de la désapprobation du sort de Pierre Laporte, a empêché le peuple québécois de se soulever contre l’envahissement de son territoire et de ses libertés par l’armée canadienne.

Voilà comment errent les aspirations de la nation dans les officines du pouvoir exercé ou à prendre. Sans elle, à coup sûr. Contre elle?

Où en sommes-nous, aujourd’hui. Sommes-nous moins aliénés ? Sommes-nous maîtres chez-nous ?

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Andrée Ferretti124 articles

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"Rien de plus farouche en moi que le désir du pays perdu, rien de plus déterminé que ma vocation à le reconquérir. "

Andrée Ferretti née Bertrand (Montréal, 1935 - ) est une femme politique et
une écrivaine québécoise. Née à Montréal dans une famille modeste, elle fut
l'une des premières femmes à adhérer au mouvement souverainiste québécois
en 1958.Vice-présidente du Rassemblement pour l'indépendance nationale, elle
représente la tendance la plus radicale du parti, privilégiant l'agitation sociale
au-dessus de la voie électorale. Démissionnaire du parti suite à une crise
interne, elle fonde le Front de libération populaire (FLP) en mars 1968.Pendant
les années 1970, elle publie plusieurs textes en faveur de l'indépendance dans
Le Devoir et Parti pris tout en poursuivant des études philosophiques. En 1979,
la Société Saint-Jean-Baptiste la désigne patriote de l'année.
Avec Gaston Miron, elle a notamment a écrit un recueil de textes sur
l'indépendance. Elle a aussi publié plusieurs romans chez VLB éditeur et la
maison d'édition Typo.





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1 commentaire

  • Jean-François-le-Québécois Répondre

    18 octobre 2010

    «... à une profondeur bien plus grande que celle de la désapprobation du sort de Pierre Laporte...».
    Et si on prenait une minute pour en parler, un peu du décès de monsieur Laporte... surtout maintenant qu'un véritable monument à été dévoilé, consacré à la mémoire du personnage en question...? Comme si l'homme, avait été un personnage vraiment important, dans l'histoire du Québec... voire, du Canada!
    Il arrive parfois que dans une discussion au sujet de l'avenir politque du Québec, votre humble serviteur se fasse rebattre les oreilles, avec des propos du genre «Moi, je veux bien que nous ayions notre pays, mais sans violence, là; je n'approuve pas ce que les felquistes ont fait!».
    Et si on tentait de replacer les choses dans une certaine perspective? La mort de Pierre Laporte, on le sait maintenant, fut un accident! On parle du décès accidentel d'une personne; l'IRA, en Irlande du Nord, a tué environ 3000 personnes! Et que dire des dizaines de milliers de morts de la guerre pour l'indépendance, de ce qui est devenu, les États-Unis d'Amérique?
    Le FLQ, c'Était quand même pas la même chose que le Hezbollah, ou que l'Irish republican army, ou encore que l'Organisation de libération de la Palestine de Yasser Arafat! Aucune commune mesure! Alors personnellement, je refuse toute discussion avec quelqu'un d'assez malhonnête ou stupide, pour me dire qu'en de telles circonstances, le fait qu'il y ait des chars d'assaut dans les rues de Montréal, était une chose justifiable.