Réplique à Lysiane Gagnon

Opposition à la Loi 101 au cégep: faut-il revenir aux chandelles et au Bill 63?

Un tel argumentaire repose sur la démagogie et l'attaque gratuite.

Cégep en français


Récemment, la journaliste Lysiane Gagnon a publié un texte intitulé « L'unilinguisme pour les pauvres » en réaction à un autre, celui de ma collègue Tania Longpré intitulé [« Loi 101 au cégep: plein de bon sens»->34743], où elle soutient que la Loi 101 devrait être appliquée au cégep dans l'objectif, entre autres, d'intégrer pleinement les immigrants à la société québécoise. Je me contenterai ici de répliquer à la question de l'immigration telle qu'exprimée par Lysiane Gagnon.
La journaliste réduit l'argumentaire de ma collègue enseignante de français langue seconde à «un rêve de péquiste » et à une vulgaire incitation à « voter Oui au prochain référendum ». Elle fait ainsi preuve de mépris envers ceux qui travaillent sur le terrain à l'interculturalisme et à la francisation des immigrants.
Un tel argumentaire repose sur la démagogie et l'attaque gratuite. En réfléchissant ainsi, la journaliste rêve d'un Québec à l'âge des chandelles, celui de Jean-Jacques Bertrand et du Bill 63 de 1969. Elle surfe sur la vague idéologique de droite à la Johanne-Marcotte qui fait ses choux gras de l'argument du « libre-choix individuel », entendu à satiété de la bouche de Christine St-Pierre à propos des écoles passerelles.
En premier lieu, je tiens à corroborer les dires de ma collègue enseignante en francisation. Celle-ci défend l'idée selon laquelle les immigrants arrivés au Québec en âge de fréquenter le cégep se sont anglicisés à long terme en fréquentant des institutions scolaires anglophones. Autrement dit, non seulement ceux-ci ont-ils étudié en anglais, mais ils n'ont plus utilisé le français par la suite au travail ou entre amis. Ma collègue soulève la question, fort légitime, de savoir s'il est acceptable que des personnes qui ont fait le (libre!) choix de s'installer au Québec puissent ainsi fuir la langue de leur société d'accueil. Selon Lysiane Gagnon, il s'agit d'une minorité. Cela est faux.
Rappelons que la vaste majorité des immigrants au Canada sont des travailleurs qualifiés dont le taux d'emploi en 2006 était de 71,2% au Québec contre 78,1% en Ontario. Même après avoir complété tous leurs cours de francisation, plusieurs étudiants choisissent donc le parcours scolaire anglophone, « langue internationale et de l'économie » pour le dire dans leurs mots. De plus, Lysiane Gagnon banalise la question du choix linguistique des immigrants, parce qu'on sait depuis le Rapport Curzi que les études en français au Québec arrivent troisième en ordre d'importance pour les choix linguistiques des immigrants allophones. Selon l'Institut de recherche sur le français en Amérique, « il y a une relation nette entre la langue des études supérieures et la principale langue utilisée au travail au Québec, cela chez tous les groupes linguistiques. » L'une des ressources nécessaires à l'intégration des immigrants, en plus de programmes d'insertion sur le marché du travail et de reconnaissance des diplômes, est la maîtrise et l'usage de la langue de la société d'accueil, et non le choix anglicisant que soutient Lysiane Gagnon.
Le Québec se trouve devant un défi identitaire renouvelé par l'arrivée massive d'immigrants et sa situation démographique. Comme le rappelle la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI) dans le cadre des consultations pré-budgétaires, « Il est bien connu que la compensation financière que reçoit le Québec dans le cadre de l’Accord Canada-Québec pour l’intégration des immigrants et des réfugiés connaît annuellement d’importantes hausses. Les fonds octroyés par le Fédéral sont passés de 104 millions $ en 2000 à 253,7 millions $ en 2010.
Comment peut-on justifier que le gouvernement québécois investisse si timidement dans les mesures de soutien et d’accompagnement pour les nouveaux arrivants, alors que les budgets pour l’accueil des immigrants ont doublé récemment dans le reste du Canada? » Manifestement, quelqu'un quelque part ne fait pas son travail Madame Gagnon, et ce n'est pas le projet de Loi 101 au cégep ou les enseignants de francisation qu'il faut blâmer.
En second lieu, l'application de la Loi 101 au collégial n'est pas un repli sur soi mais bien une ouverture de l'identité québécoise aux autres, un sentiment d'appartenance territorial et non plus ethnique. Heureusement, nous n'en sommes plus à l'impotence du Bill 63. Nous ne nous appuyons plus sur la pensée magique en croyant que les immigrants opteront pour le français d'eux-mêmes dans un élan soudain de compassion. Lysiane Gagnon croit que l'application de la Charte de la langue française au cégep est une attaque à un droit individuel, de la «coercicition». Le premier ministre du Québec Jean-Jacques Bertrand avait proposé en ces mêmes termes, en 1969, qu'une loi linguistique « ne soit pas coercitive mais persuasive ». Faut-il rappeler qu'avant l'application de la Loi 101, 90% des immigrants choisissaient l'école en anglais? Il est bien connu que les commissions scolaires catholiques francophones n'acceptaient pas les enfants d'immigrés (Grecs, Italiens), prétextant que ceux-ci retardaient les cours, alors que les commissions scolaires protestantes anglaises accueillaient les immigrants. S'était ainsi créé avant la Loi 101 un système à deux vitesses, dans lequel les immigrants s'intégraient à la communauté anglophone et d'identité canadienne, tandis que les francophones étaient repliés dans un système scolaire fermé qui, à long terme favoriserait leur cloisonnement.
En troisième lieu, Lysiane Gagnon montre bien quelle conception elle a de l'immigration quand elle parle d'«assimilation» des immigrants et lorsqu'elle indique que les enseignants de francisation devraient « s'occuper de leurs affaires » et demeurer dans leurs écoles de langues en attendant qu'un immigrant veuille bien s'y présenter de lui-même. D'une part, ce que les enseignants de francisation essaient de faire, ce n'est pas d'assimiler les immigrants mais de les intégrer sur le modèle de l'interculturalisme. Selon le Conseil de la langue française, l'«assimilationnisme», que prône Lysiane Gagnon, est une idéologie qui vise l'intégration des nouveaux arrivants au groupe dominant en favorisant l'apprentissage de la langue et de la culture du pays d'accueil, sans prendre en considération leur appartenance culturelle, ethnique, religieuse ou linguistique. Or, au Québec, le modèle privilégié est celui de l'intégration sur le modèle de l'interculturalisme, soit un processus d'adaptation à long terme selon lequel il ne suffit pas de protéger ou tolérer les cultures minoritaires, encore faut-il favoriser leur interaction dynamique avec les autres cultures, dont la culture majoritaire.
D'autre part, contrairement à ce que semble croire cette journaliste, l'interculturalisme n'est pas qu'une intervention ciblée par des spécialistes mais une question quotidienne. C'est ce que montre Michèle Latz-Laaroussi, spécialiste de l'immigration en région: « L'interculturalisme se vit donc, pour les uns comme une action sociale, une politique, voire une intervention, alors que pour les autres, c'est un passage obligé du quotidien, seul garant de la survie individuelle et sociale dans un nouveau milieu. » Bref, si elle connaissait mieux la réalité du terrain de l'immigration au Québec, Lysiane Gagnon saurait que les enseignants n'ont pas comme objectif d'assimiler les immigrants dans un système éducatif en vase clos, mais d'intégrer les immigrants à leur société d'accueil par le biais de la langue.
En conclusion, tous s'entendent pour dire que l'enseignement de l'anglais langue seconde pourrait être bonifié au Québec, mais pas au prix d'angliciser l'enseignement, la langue de travail et la langue d'usage. Jumelée à des programmes d'immersion et à des cours d'anglais de bonne qualité, l'extension de la Charte de la langue française au collégial est bien plus réaliste et efficace que d'angliciser le système d'éducation pour un choix dont on ne mesure pas les conséquences.

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Yanek Lauzière-Fillion1 article

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Yanek Lauzière-Fillion
_ Technicien en francisation
_ Programme d'intégration linguistique des immigrants
_ Ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles
_ Cégep du Vieux Montréal
_ Service de formation aux entreprises
_ 2040, avenue de l'Hôtel-de-Ville
_ Montréal (Québec) H2X 3B2
_ Local D1.20
_ ylauzierefillion@cvm.qc.ca





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