Penser un souverainisme de gauche

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L’alliance entre la gauche et le mouvement indépendantiste tire à sa fin

L’échec du projet de convergence entre Québec solidaire (QS) et le Parti québécois (PQ), confirmé en mai dernier, l’a illustré avec force : l’articulation entre les luttes sociales et le combat national ne va pas de soi. Éric Martin, un des plus brillants essayistes québécois de la relève, s’en désole. « Il est en effet déplorable de constater l’actuelle dégradation du débat public, réduit bien souvent à une opposition spectaculaire entre “identitaires” et “inclusifs” », note-t-il.



D’un côté, donc, les souverainistes conservateurs, obsédés par le national au mépris du social, et, de l’autre, « une gauche contestataire dont les luttes sont fragmentées et qui ne voit plus la société québécoise que d’un oeil suspect », résume le philosophe. Résultat : les libéraux fédéralistes et capitalistes règnent, pendant que les caquistes, à peine différents, se préparent à les remplacer.



Un socialisme d’ici



Partisan affirmé d’un « souverainisme de gauche », Éric Martin se livre, dans Un pays en commun (Écosociété, 2017, 272 pages), à une savante critique de la désarticulation entre le projet d’indépendance du Québec et les idées de gauche. Puisant dans « la riche tradition d’indépendantisme socialiste qui a pris forme à partir de la Révolution tranquille », l’essayiste entend démontrer que « la question sociale et la question nationale sont dialectiquement liées et doivent être pensées ensemble ».



Né en 1982 dans un quartier ouvrier de Montréal, Martin a découvert Bourgault, Falardeau et Che Guevara au cégep, avant d’aller manifester contre le Sommet des Amériques, en 2001, à Québec. Pour lui, d’entrée de jeu, la libération du Québec du joug fédéral et le refus du néolibéralisme ont fait partie du même mouvement émancipateur.



Il a, depuis, brillamment creusé l’affaire, en s’inspirant des oeuvres d’Hubert Aquin, de Fernand Dumont, de Marcel Rioux et des grandes figures de la revue Parti pris ainsi que de l’action féministe du Front de libération des femmes (1969-1971). Il en a retenu l’idée que le juste combat à mener est celui, pour reprendre la formule de Dumont, d’un « socialisme d’ici ».



Martin ne cache pas ses affinités avec QS, même s’il récuse l’idée d’une assemblée constituante ouverte qui pourrait déboucher sur le fédéralisme renouvelé, une illusion, selon lui. Il critique sèchement, de plus, la tendance d’une certaine gauche à qualifier de raciste tout sentiment national. Le pluralisme est bien sûr un fait qui doit être reconnu, mais le multiculturalisme, comme politique, est une machine de guerre individualiste contre les droits collectifs.



Cette politique fait le jeu du capitalisme en considérant chaque personne comme un individu abstrait et en l’encourageant « à vivre son propre lifestyle particulier, comme si elle était soudainement détachée de l’ancienne universalité concrète représentée par les États-nations », une médiation désormais « remplacée par le marché global », explique Éric Martin.



Le multiculturalisme, continue le philosophe, c’est Walmart qui, dans ses pubs, met des chapeaux de cow-boy en Alberta et des fleurs de lys au Québec, offrant ainsi à tous une reconnaissance de pacotille, sans effet sur le cadre institutionnel capitaliste. Sans des États nationaux souverains qui rassemblent sur la base d’autres normes, notamment historiques et culturelles, l’émancipation politique et sociale est impossible pour les nations inclusives et les individus qui les constituent.


> Lire l'article sur Le Devoir.



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