Personne n’a parlé du ketchup casher

Dire sans le dire...

C’était un des spectacles les plus courus en ville cette semaine. Le premier forum public de la commission Bouchard-Taylor à Montréal. Une soirée à guichets fermés, ultramédiatisée, qui avait lieu dans le très multiethnique quartier Côte-des-Neiges.


À l’entrée de la bibliothèque où avait lieu la rencontre, des manifestants distribuaient des tracts et scandaient des slogans dénonçant cette commission «raciste». Raciste, rien de moins. Je ne sais pas ce qui m’irrite le plus entre le racisme, le vrai, et ce genre d’accusations outrancières qui discréditent les luttes réelles contre le racisme.
Je reproche bien des choses à cette commission. Je lui reproche de donner lieu à des dérapages xénophobes. Je lui reproche de durer trop longtemps. Mais dire qu’elle est en soi raciste, c’est vider le mot racisme de son sens.
Ces accusations outrancières, faut-il s’en étonner, trouvent bien sûr écho dans le Canada anglais. Le Québec y a mauvaise presse, relevait hier ma collègue Émilie Côté dans la série sur l’intolérance publiée dans nos pages jusqu’à demain. Des journalistes du ROC semblent prendre un malin plaisir à montrer du doigt l’intolérance du Québec. Les médias ontariens parlent davantage de nos controverses ethniques que des leurs. C’est sans doute moins compromettant. Mais comme le soulignait le conseiller municipal Marvin Rotrand, qui a pris la parole au forum public de Côte-des-Neiges, il ne faudrait surtout pas croire tout ce qu’on raconte. «Vous lisez des grands titres sur le Québec. Ça ne reflète pas le Québec», a-t-il dit en s’adressant à ses compatriotes anglophones. Il a été applaudi. Mais a-t-il été entendu par ceux à qui il lançait ce message? Je n’ai vu ses propos repris par aucun journal anglophone le lendemain.
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La commission Bouchard-Taylor dans le quartier Côte-des-Neiges mardi dernier. Des gens un peu choqués de n’avoir pu donner leur point de vue en font part à M. Bouchard. (Photo Martin Chamberland, La Presse)

Certains prédisaient que, lorsque la commission Bouchard-Taylor allait atterrir à Montréal, les choses allaient se corser, car c’est ici que se trouve le «noeud» du problème. Or, si le premier forum public montréalais est à l’image des audiences de la semaine prochaine, il n’en est rien. Outre les classiques discours déjà entendus mille fois, («moi, je tiens au crucifix» ou «moi, je porte mon voile par choix» ou «moi, j’aimerais travailler, mais je ne trouve pas de travail»), outre quelques discours troublants (« je ne suis pas antisémite, mais je me demande pourquoi il y a autant de juges juifs à la Cour suprême»), le ton était souvent bon enfant. Si quelques musulmans se sont plaints des effets pervers de cette commission, personne n’a tenu de propos islamophobes. Personne n’a parlé du «scandale» du ketchup casher. Personne n’a sommé les immigrés de retourner chez eux.
Comme partout ailleurs, les gens se présentaient en disant leur nom, un nom à traits d’union ou pas, qui remonte parfois jusqu’en 1534. Et, comme partout ailleurs, on notait la même tendance à trembler en tenant sa feuille d’une main et le micro de l’autre. Nous n’avons pas, ici plus qu’ailleurs, peur des étrangers. Mais pour ce qui est de la peur de prendre la parole en public, il semble y avoir consensus.
On s’attendait à des étincelles et à des disputes. Mais on a surtout eu droit à des plaidoyers d’ouverture et à quelques éclats de rire. Un homme originaire du Bangladesh a commencé son discours en déclarant: «Je voudrais dire que je n’ai jamais lapidé ma femme.» Il est ensuite passé à l’anglais pour inviter les immigrés à apprendre comme lui le français. Un immigré qui vit ici depuis peu a dit qu’il n’y avait que deux choses qui le dérangeaient au Québec: «La semaine dernière, la Ville de Montréal a remorqué ma voiture. Et il n’y a pas assez de matches de foot à la télé.» Sur un ton plus sérieux, il a ensuite réclamé que seuls les accommodements qui ne coûtent rien à la majorité soient accordés.
Il y a eu aussi ce jeune homme, Alain Berger, qui s’est décrit comme un Québécois de racine canadienne-française vivant dans Côte-des-Neiges. Il a demandé ce qui était arrivé à la culture d’ouverture dont il croyait être l’héritier avant de suggérer aux commissaires d’accorder plus de poids à la parole des jeunes, bien différente de celle de leurs aînés qui ont mené un combat pour se libérer du joug de l’Église. «L’inquiétude exprimée par rapport aux accommodements, surtout par la génération qui me précède, j’aimerais y répondre en disant : votre combat est fait. Maintenant, nous, on va s’occuper de l’intégration. On a une façon de faire qui est accommodante, justement.»
Je pense que ce jeune homme a mis le doigt sur un élément-clé souvent éclipsé dans ce débat. Plus qu’une guerre de mots opposant le «Nous» au «Eux», le conflit est surtout générationnel au sein même du Nous majoritaire. C’est la seule chose qui me rassure dans ce débat qui tourne en rond.
Je lui accorde la première étoile de la soirée, ex aequo, disons, avec le monsieur du Bangladesh qui n’a jamais lapidé sa femme.
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