Il paraît que, cette fois-ci, la leçon a été bien comprise et que l'on ne refera plus la même erreur. On promet même rien de moins qu'une «refonte du capitalisme» et la création d'un nouvel ensemble d'institutions de gouvernance mondiale. On verra. En attendant, les gouvernements pourraient commencer par reconnaître leurs torts et mettre de l'ordre dans leur propre maison.
Les dirigeants des 27 pays membres de l'Union européenne ont fait preuve d'une rare unanimité, la semaine dernière, lors d'une réunion d'urgence sur la crise financière mondiale. «Cette crise est la crise de trop», a déclaré leur représentant, le président de la France, Nicolas Sarkozy. «Il faut fonder un nouveau capitalisme sur des valeurs qui mettent la finance au service des entreprises et des citoyens, et non l'inverse.» On a alors appelé à la création d'un nouveau système de régulation internationale à l'exemple de celui qui est né à Bretton Woods, dans le New Hampshire, à la fin de la Seconde Guerre. On a proposé d'en poser les premières pierres lors d'un sommet mondial à New York avant la fin de l'année.
Ces déclarations spectaculaires arrivent au moment où l'on entend des voix parler de la fin du capitalisme, de l'échec de la mondialisation ou encore de l'effondrement de l'empire financier anglo-américain. Le dernier plan de sauvetage des banques, imaginé par le premier ministre britannique Gordon Brown et immédiatement copié par Washington, est présenté comme l'une des preuves que les choses sont bel et bien en train de changer irrémédiablement. Qualifiées de «nationalisations», ces prises de parts dans les institutions financières sont interprétées comme une capitulation de ces deux champions du laisser-faire économique.
«Ces banques n'ont pas été nationalisées, elles ont seulement été submergées d'argent», a réagi le chroniqueur économique du Guardian, Simon Jenkins. Elles resteront nombreuses, en concurrence l'une contre l'autre et dirigées par des conseils d'administration indépendants. Leurs employés ne seront pas des fonctionnaires. Les investisseurs conserveront leurs actions. Les bonus salariaux reviendront. Les responsables de la crise, ou quelques-uns d'entre eux seront punis, mais ce n'est pas l'avènement d'une ère de socialisme, seulement de l'argent public jeté à la face du capitalisme.»
Déjà vu
On ne jette cependant pas ainsi plusieurs centaines de milliards d'argent public «à la face du capitalisme» sans que les gouvernements se sentent obligés de réclamer en échange un meilleur droit de regard sur le fonctionnement de ce système qui réclame son aide.
La nature de la crise en cours et le fait que la finance soit de loin le secteur de l'économie qui s'est le plus mondialisé incitent tout naturellement à chercher des solutions globales. L'idée d'un Bretton Woods numéro 2 semble, par conséquent, aller de soi. Mais elle rappelle aussi l'ampleur du défi auquel on fera face.
Il faut se rappeler que l'objectif original du premier système Bretton Woods était de défendre un système relativement simple et rigide de taux de change fixe basé sur l'or. Depuis l'abandon de cet objectif, en 1971, le marché financier mondial a rapidement crû en importance et en complexité avec la libéralisation de ses pratiques et l'invention continuelle de nouveaux outils financiers visant à améliorer l'efficacité du système et à répondre à toutes sortes de besoins.
Les efforts visant à adapter à cette nouvelle réalité les institutions rattachées à Bretton Woods, comme le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, ont échoué la plupart du temps. L'extraordinaire complexité des enjeux y a sans doute été pour quelque chose, mais pas autant que la résistance de leurs pays membres, dont ceux-là mêmes qui réclament aujourd'hui des réformes. Les gouvernements nationaux, et les peuples qu'ils représentent, sont toujours très jaloux de leur souveraineté.
Ces pays ont dit vouloir, en attendant le jour où ils consentiront à se soumettre à des règles internationales plus strictes, que le FMI joue à tout le moins le rôle d'observateur attentif des marchés et qu'il tire la sonnette d'alarme dès qu'il perçoit un danger. C'est exactement ce qu'il a fait, en avril 2007, lorsqu'il a senti le marché des subprimes prêt à éclater aux États-Unis, et même si ça ne relevait pas directement de son mandat, rageait la semaine dernière l'ancien directeur du FMI, Michel Camdessus, dans les pages du quotidien économique français Les Échos. Mais personne n'a écouté. On a beau jeu de critiquer aujourd'hui les banquiers et les spéculateurs. «Nous sommes tous coupables, d'une manière ou d'une autre. Mais la responsabilité la plus lourde revient aux gouvernements», disait-il. «Ils n'ont pas accepté de reconnaître qu'il était grand temps de se doter d'une gouvernance financière mondiale à la hauteur des problèmes.»
En attendant, les marchés financiers sont principalement régis par des règles nationales où le même genre de constat peut être fait. Cela faisait bien des années que tout le monde voyait grossir la bulle immobilière aux États-Unis ou au Royaume-Uni sans que les pouvoirs publics réagissent. On savait bien, avant l'effondrement des subprimes, que le marché était peuplé de toute sorte d'objets financiers non identifiés dont même les banques avaient du mal à définir les contours. Il aurait, par exemple, normalement été du rôle de la Securities and Exchange Commission (SEC) d'y mettre bon ordre aux États-Unis, a dit au Congrès, jeudi, son ancien président de 1993 à 2001, Arthur Levitt, mais l'agence ne disposait ni du mandat ni des ressources budgétaires nécessaires.
Est-ce que le choc de la crise et les déclarations des derniers jours des gouvernements annoncent un véritable changement de cap tant sur le plan national qu'international? Ce n'est pas sûr, s'est désolé Michel Camdessus. On l'a cru, au lendemain de la crise asiatique de la fin des années 90. «Mais, la crise passée et l'euphorie revenue, on a oublié de mettre en oeuvre les réformes.»
Les idées de «refonte du capitalisme» et de «Bretton Woods II», lancées par les pays de l'Union européenne la semaine dernière, n'ont rien de neuf, a constaté en éditorial vendredi le Financial Times. On les avait déjà toutes entendues à maintes reprises. La question, a dit le quotidien britannique, est de savoir si l'on est prêt, cette fois, à investir le temps et les efforts de réflexion nécessaires (et à céder la part de souveraineté nationale requise, pourrait-on ajouter) pour passer de la parole aux actes. «L'avenir de la finance mondiale ne sera pas sauvé par des slogans.»
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