Plaidoyer en faveur d'une plus grande humilité

Tribune libre

Voici un texte que j'ai écrit en deuxième année du baccalauréat en droit dans le journal étudiant de la Fac de l'Université de Sherbrooke (L'obiter):
« Les robes noires ou rouges de la justice sont ridicules et nuisibles. Ce ne sont plus que dépouilles d’une monarchie étrangère à l’Amérique, relents d’un autre âge. Vanité des vanités » (Marc Brière, juge)
TITRE: Plaidoyer en faveur d’une plus grande humilité
Depuis mon entrée à la Fac de droit, je me suis, à plusieurs reprises, interrogé sur les raisons qui pouvaient légitimer le recours par les juristes au titre de « maître » et sur les raisons qui militaient en faveur du port de la robe(toge) devant les tribunaux. Ainsi, après une longue discussion en famille sur le sujet, j’ai décidé d’écrire un très court texte afin d’exprimer mon désaccord et aussi afin de tâter le poul de la communauté étudiante en droit. Je tiens à préciser que j’attaque une idée, une pratique bien ancrée, mais personne en particulier. Il peut sembler choquant pour certains, mais, néanmoins, il traduit fidèlement mon opinion sur le sujet. Je dois admettre, en toute franchise, que j’ai pensé à deux fois avant de me décider à rédiger ce texte. Mais je me suis dit que comme nous avons le privilège de vivre dans un pays qui reconnaît explicitement la liberté d’expression, avoir le courage de ses opinions devient un devoir, par respect pour les gens qui ne bénéficient pas de ce privilège, et dérober à ce devoir serait un manque certain d’intégrité et un affront à ces derniers. Gandhi disait : « True morality consists not in following the beaten track, but in finding out the true path for ourselves and in fearlessly following it ».
Je vais débuter mon texte par trois questions bien simples : Pourquoi la profession juridique me semble reposer sur une culture de suffisance? Qu’est-ce qui justifie l’observance à un décorum dont les prescriptions servent davantage à flatter l’égo de ceux qui y souscrivent que l’intérêt supérieur de la justice qu’elle prétend servir? Car après tout le décorum ne doit-il pas servir à renforcer l’apparence de justice plutôt que la desservir?
J’ai, en effet, beaucoup de difficulté à comprendre pourquoi plusieurs avocats portent encore la robe et pourquoi les avocats et les notaires ont toujours droit au titre de « maître ». Fort heureusement, je ne suis pas le seul à croire, en toute bonne foi, que cela ne sert qu’à exalter leur orgueil. Il est à propos de rappeler les paroles de l’éminent juge Marc Brière qui s’interroge sur l’utilité et l’importance de porter la robe :
« que gagne la justice à vouloir ainsi impressionner? Je pense aux petites gens trop impressionnables qui sont appelés à témoigner et que tout l’appareil judiciaire paralyse, au point que juges et procureurs réussissent parfois à leur faire dire sous serment n’importe quoi. La robe ne fait que noircir cette conspiration et la rendre plus efficace, plus sinistre. La justice a-t-elle vraiment besoin de cette mascarade ne servant plus que la vanité de ceux qui mettent leurs beaux atours de cour? » .
On pourrait tout autant se questionner sur l’utilité et la légitimité du titre de « maître » que plusieurs juristes affichent en grande pompe. Qu’est-ce qui justifie que les juristes méritent une telle appellation? Plusieurs autres métiers ou professions tout aussi honorables pourraient tout autant revendiquer un titre aussi élogieux. Mais elles seraient, selon moi, tout aussi désemparées devant l’éventualité d’avoir à justifier une revendication à ce titre. Selon moi, tous les métiers se valent, car ils contribuent tous à leur manière au bien commun et au fonctionnement de la société. Pour cette raison, j’estime qu’aucun ne doit être mis sur un piédestal. D’autant plus que comme l’affirme le juge Marc Brière, le mépris que plusieurs professent à l’égard des avocats pourrait, on peut l’espérer, s’estomper par l’humanisation de la justice . Chercher à réduire la distance qui sépare les avocats et les juges du monde ordinaire pourrait être un pas dans la bonne direction.
De toute manière que perdraient les avocats à gagner en humilité? Leur réputation n’en serait pas entachée et leur prestige social n’en serait dès lors que plus estimable, car toute la reconnaissance que leur manifesteraient les gens reposerait, de ce fait, sur leur mérite et non sur un titre auquel ils ont droit en vertu de la loi et que plusieurs affiche avec éclat. Je crois que la profession juridique recèle en elle tout ce qui est nécessaire pour permettre aux juristes de rayonner par leur simple vocation, qui consiste à s’employer à rechercher la justice et à établir la vérité, sans besoin de recourir à un qualificatif flamboyant. La profession de juriste est l’une des plus honorable et la pureté de son dessein suffit à donner à celui qui la pratique honnêtement toute la fierté et l’honneur auxquels il peut vouloir aspirer. L’un peut certainement affirmer que la justice ne souffrirait pas de la mise au rancart de la robe et du titre et il serait même raisonnable de penser, comme le croit le juge Brière, qu’elle serait mieux rendue.
L’objectif de ce texte était de susciter une saine réflexion sur le sujet. Je reconnais que mon texte aurait pu être un peu plus nuancé, mais certains disent que l’on ne doit pas transiger avec les principes. C’est dans le but de soulever un débat d’idée que j’ai écrit ceci. Vos critiques, aussi virulentes soient-elles, sont les bienvenues et je m’efforcerai de les accueillir avec le plus de sérénité possible.
Éric Folot
Et voici une citation d'Alexis de Tocqueville qui est fort à propos:
« Quant à l’influence que peuvent exercer les costumes, je crois qu’on s’exagère beaucoup l’importance qu’ils doivent avoir dans un siècle comme le nôtre. Je n’ai point remarqué qu’en Amérique le fonctionnaire, dans l’exercice de son pouvoir, fût accueilli avec moins d’égards et de respects, pour être réduit à son seul mérite. D’une autre part, je doute fort qu’un vêtement particulier porte les hommes publics à se respecter eux-mêmes, quand ils ne sont pas naturellement disposés à le faire; car je ne saurais croire qu’ils aient plus d’égards pour leur habit que pour leur personne. Quand je vois, parmi nous, certains magistrats brusquer les parties ou leur adresser des bons mots, lever les épaules aux moyens de la défense et sourire avec complaisance à l’énumération des charges, je voudrais qu’on essayât de leur ôter leur robe, afin de découvrir si, se trouvant vêtus comme les simples citoyens, cela ne les rappellerait pas à la dignité naturelle de l’espèce humaine » (Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Tome I, Flammarion, Paris, 1981)
Et voici une citation de Montesquieu qui est à propos: «« Les richesses et les dignités, disait Platon, n’engendrent rien de plus corrompu que la flatterie ». On peut la comparer à ces rochers cachés entre deux eaux, qui font faire tant de naufrages. « Un flatteur, selon Homère, est aussi redoutable que les portes de l’Enfer » » Montesquieu, Œuvres complètes, Paris, Éditions du Seuil, 1964.


Laissez un commentaire



2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    25 janvier 2010

    LE TRIBUNAL
    En passant, juste... je ne vous en fais pas grief, mais je remarque ça, puis pour moi le protocole de la Cour, les habitudes de la Cour, quand on parle d'un avocat c'est maître et non pas monsieur ou madame ou mademoiselle. […]
    […]
    MME PAULETTE GIROUX, Intimée
    C'est que je voudrais, monsieur le Juge, si vous permettez, pour moi, être maître en droit, c'est non seulement avoir une connaissance en droit, c'est aussi appliquer le droit. Puis, face à ce qu'on vit ici, pour moi, je n'ai pas cette perception-là et, à ce moment-là, je voudrais dire, est-ce que... je vois maître, monsieur Langlois qui vous appelle Votre Seigneurie, Votre Honneur, est-ce que je suis irrespectueuse en disant monsieur le Juge?
    (transcription par M. André Boudreau, sténographe officiel)
    http://www.justice-qc.com/maitre.htm

  • Svetli Dubeau Répondre

    27 septembre 2009

    Il est vrai que la pertinence du costume des hommes de loi se prête à une réflexion sur leur réelle utilité, en ce XXIe siècle où l'apparat prend parfois plus de sens que la fonction qu'elle est supposée revendiquer. Mais au fond, le vrai problème ne se situerait-il pas plutôt dans notre rapport de confiance en ceux qui représentent la justice et qui la mette en application?
    Aurions-nous un moins grand sentiment de sécurité si les policiers, vêtus d'habits anonymes blancs, mais conservant tout leur attiraille de défense, se promenaient en voitures de patrouilles blanches sans gyrophares avec comme écriteau "Sécurité Publique" au lieu de Police? J'en doute puisque ce qui créer le sentiment de sécurité n'est pas tant le fait de voir le mot "Police" sur leurs habits bleus, mais plutôt le port d'armes qui établit le rapport de force et oblige la reconnaissance de l'autorité.
    De même, ce n'est pas tant la toge des juges qui leur enlève leur crédibilité morale ou constitutive, mais notre relation avec le système judiciaire qui a faillit à sa tâche, à cause de personnes peu scrupuleuses qui se sont servit de leur autorité pour desservir leurs propres intérêts, au lieu d'appliquer la justice.
    L'habit des juges est là pour renforcer l'image de la justice, celui qui le porte doit toujours garder à l'esprit qu'il représente la justice, et qu'il ne doit pas s'en servir pour arriver à ses fins. C'est là tout le danger de remettre en question l'utilité de l'a toge. Si l'on retire la toge des palais de justice, l'on donne raison à ceux qui l'ont exploité pour tromper le public.
    Les symboles sont là justement pour empêcher la dérive autoritaire, ce sont des gardes-fou contre la saisie inconditionnelle du pouvoir, ils sont au-dessus de la critique et des opinions. Ne pas respecter les symboles sociaux, c'est s'abstraire aux devoirs qu'ils transportent en eux. Ce n'est pas d'humilité dont a besoin le système judiciaire, c'est de loyauté. Un juge ne peut être humble lorsqu'il rend un verdict, car il est le bras de la justice, celle qui ne peut être compromise. Lorsqu'il applique la justice, le juge ne peut être en position de faiblesse, ce serait manquer à son devoir envers la société.