Il y a une chose que la crise qui secoue le Bloc québécois actuellement ne doit pas nous faire perdre de vue : la nation québécoise existe avec ses atouts, ses besoins et ses différences. Seul un véhicule politique qui lui appartient en propre peut lui être fidèle.
Nous avons toutes et tous été députés du Bloc québécois à la Chambre des communes. Nous avons été à même de constater à quel point le Québec et le Canada sont deux sociétés différentes. Nos deux nations n’ont pas nécessairement les mêmes défis, elles ne discutent pas des mêmes choses en même temps.
Par leur seule présence à la Chambre des communes et par leur travail rigoureux, dossier par dossier, les députés du Bloc ont contribué plus que tout à révéler aux Québécoises et aux Québécois une vérité toute simple : ils forment une nation qui a bâti une société originale et à bien des égards remarquable en cette terre d’Amérique où les vents vers l’uniformité soufflent fort. De là à les amener à faire eux-mêmes tous leurs choix en devenant indépendants, il n’y a qu’un pas.
L’opposition entre « la promotion de l’indépendance » et « la défense des intérêts du Québec », dont plusieurs parlent actuellement, a quelque chose d’absurde. Les deux sont intimement liées. En réalité, le débat qui secoue le Bloc québécois oppose deux façons de voir la promotion de l’indépendance : l’incantation ou la démonstration. Ce débat n’est pas nouveau ; nous l’avons vécu pendant notre passage comme députées et députés du Bloc.
L’incantation, qui consiste à répéter le mot « indépendance » le plus souvent possible, plaît à plusieurs militants. En parlant ainsi aux convaincus, on peut gagner des investitures locales ou des courses à la chefferie. Mais cela s’arrête là.
En revanche, la démonstration demande d’y aller dossier par dossier, de cerner clairement les intérêts du Québec, de se coller le plus possible aux consensus qui existent au sein de notre nation. Ensuite, et rien qu’ensuite, on peut faire valoir aux Québécois que le gouvernement fédéral n’est pas le leur, qu’il ne travaille pas toujours dans le sens de leurs intérêts. C’est l’approche que nous préconisions lorsque nous étions députés et c’est encore celle qui est la plus prometteuse pour réaliser notre projet collectif : l’indépendance du Québec.
Cette approche a fait ses preuves. Depuis le référendum de 1995, il n’y a qu’un moment où l’appui à l’indépendance a été majoritaire. C’était en 2004, en plein scandale des commandites. Le Bloc québécois, qui était au coeur de cette crise du fédéralisme, n’a pas répété « indépendance, indépendance » du matin au soir. Au contraire, il a préféré s’adresser à ceux et celles qui n’étaient pas convaincus pour leur faire valoir qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes, que le gouvernement fédéral, tous partis confondus, n’est pas le leur.
Un mauvais moment
La crise qui secoue le Bloc québécois arrive à un bien mauvais moment. Le Québec est faible actuellement. Faible à Québec, où le gouvernement Couillard veut éviter tout conflit avec son grand frère canadien. Faible à Ottawa, où les conflits internes au Bloc, que l’intransigeance de Martine Ouellet n’a fait qu’exacerber, affaiblissent le Québec tout entier. Quand on ne tire pas fort, il est d’autant plus important de viser juste. Sous Martine Ouellet, le Bloc n’arrivait plus à le faire. Nous comprenons tout à fait le départ des sept députés.
Le Canada, on le connaît bien. Pour un parti pancanadien, le vrai terrain de jeu électoral se trouve à Toronto et dans sa banlieue. Le Québec n’est qu’une arrière-cour dont il ne se souciera que s’il y est forcé. Un député québécois dans un tel parti, peu importe sa bonne volonté, n’y peut rien.
Le plus récent exemple en date : le pipeline Énergie Est. Tout le Québec était contre. Les députés québécois du NPD, nous en sommes convaincus, s’y opposaient tous. Et pourtant, écartelés entre les intérêts du Québec et ceux du gouvernement NPD albertain, ils se sont tus. Quant aux députés libéraux et conservateurs du Québec, n’en parlons même pas.
Seuls les dix députés du Bloc ont porté la voix du Québec parce qu’eux seuls avaient la liberté de le faire. Eux seuls ne craignaient pas d’exposer que les intérêts du Québec et ceux du Canada étaient aux antipodes dans ce dossier parce qu’eux seuls étaient des indépendantistes assumés.
Par son côté clivant, Martine Ouellet affaiblit la voix du Québec à Ottawa au moment même où il a besoin d’une voix forte. Elle divise les souverainistes au moment où ils ont besoin de s’unir. Elle doit partir.
Pour la suite, nous espérons que les dommages qu’elle a causés à ce remarquable véhicule qu’est le Bloc québécois ne sont pas irréparables. Ce n’est qu’après son départ qu’on pourra évaluer les dégâts. Mais une chose est certaine : le Québec a besoin d’une voix forte à Ottawa que seule une formation québécoise et souverainiste peut lui apporter.
* La lettre est aussi signée par : Guy André ; Claude Bachand ; Vivian Barbot ; Josée Beaudin ; Bernard Bigras ; France Bonsant ; Robert Bouchard ; Paule Brunelle ; Claude DeBellefeuille ; Nicole Demers ; Johanne Deschamps ; Luc Desnoyers ; Odina Desrochers ; Jean Dorion ; Christiane Gagnon ; Roger Gaudet ; Monique Guay ; Claude Guimond ; Marc Lemay ; Yves Lessard et Richard Nadeau.