On aurait pu espérer qu’à la lecture du livre de M. Tremblay, certains finissent par convenir que « quelque chose est pourri dans le royaume [de la québécitude] », mais non.
Chez les « nationalistes », les « de souche », les « majoritaires historiques » ou les « patriotes », demeure toujours ce blocage mental : on refuse de reconnaître que la québécitude (l’identité notamment définie par les lois 101, 99 et 21) a changé la nature et le statut de notre nation en regard de l’État.
Depuis 1968, la nation canadienne-française s’est vue en effet condamnée à n’être plus qu’une partie d’une communauté d’expression française québécoise, elle-même composante d’un peuple comprenant une communauté d’expression anglaise et les Premières Nations.
Les néo-nationalistes ont ainsi réussi le tour de force de reproduire dans la seule Belle Province ce que des gens comme Miron voulaient fuir en se séparant du Canada : plus que jamais, nous demeurons une part d’une nation plus grande, mais cette fois-ci d’une nation provinciale, et sans y avoir su préserver notre nationalité spécifique.
C’est comme des poupées russes : nous nous retrouvons enfouis parmi des Québécois francophones, au sein d’un Québec pluraliste qui demeure dans le Canada multiculturel.
Ça, c’est de la régression nationale.
Simple substrat d’une communauté francophone en recul démographique, courtepointe diversitaire depuis peu mâtinée – oh, victoire! – d’une relative « laïcité », nous, Canadiens-Français du Québec, sommes en déficit identitaire absolu.
Désormais interdits de nous percevoir comme nation spécifique (ce qui était pourtant le cas depuis la Conquête), nous nous retrouvons dans l’impossibilité de défendre nos intérêts propres.
Ainsi, tout ce dont M. Tremblay traite dans son livre : erreurs stratégiques, maladresses ou naïvetés politiques, opportunités manquées ou refus d’agir, etc., ne sont que les conséquences du choix de nos « leaders » néo-nationalistes depuis 50 ans : éteindre la réalité séculaire de la nation canadienne-française au profit du concept progressiste de « peuple québécois ».
Malgré tout, on persiste à croire que le peuple québécois reste, à peu de choses près, notre nation de toujours, nation que servirait fidèlement l’État du Québec. On en revient à bêler « Vive le nationalisme québécois » !
Pourquoi? Voilà la grande question. Le plus probable est que la québécitude n’étant au départ qu’une idée du progressisme adaptée pour les Canadiens-Français, ces derniers pensaient pouvoir y adjoindre tout ce qu’ils voulaient. La québécitude, sorte de chimère, de fantasme politique ou social pour toute une génération pour qui être « Québécois » devenait en soi une « victoire ».
Questionner cette fausse victoire équivaut à s’attaquer au tabou absolu du Québec actuel.
En dépit de la mise en place effective de la québécitude au fil du temps et des législations, de sa concrétisation et de ses conséquences dénationalisantes, on a donc continué à idéaliser la québécitude. Tous durent continuer à lui faire porter leurs aspirations personnelles, même si la réalité les désavouait, même si les visées des uns s’opposaient le plus souvent à celles des autres.
C’est ainsi qu’aujourd’hui, un conservateur juge la « vraie » québécitude conservatrice, qu’un solidaire la définit solidaire, qu’un laïcard la veut laïque, qu’un écolo l’espère verte, qu’un multiculturaliste ne la conçoit que plurielle, qu’un antimondialiste la voit protectionniste et qu’un « de souche » la considère toujours comme si rien n’avait vraiment changé depuis les années 1960. Tous, il va sans dire, croient dur comme fer que l’indépendance leur donnera gain de cause.
Au stade ultime de notre enfermement idéologique, de notre déni de la réalité, un « nationaliste » ne se distingue plus que par sa volonté à renforcer le Québec pour le Québec -quel que soit sa raison d’être- pour se prouver qu’il reste, lui, un « véritable » Québécois dont la perception de la québécitude triomphera un jour. C’est le cas de la plupart d’entre nous sensibles à l’influence des chroniqueurs de la « Québécorsphère », toutes chapelles confondues, dont la fonction première consiste à entretenir l’illusion d’un Québec qui nous soit favorable, autrement dit, à renouveler l’imposture qui permet le maintien de ce régime régressif.
Vous ne me croyez pas? Constatez l’évolution des institutions canadiennes-françaises depuis 50 ans. Bien que créées pour servir l’émancipation des Canadiens-Français, il ne reste, parmi les quelques rares qui demeurent, aucun sentiment national; elles donnent toutes dans la diversité. Observez l’actualité politique. Le gouvernement de la CAQ jouit d’un fort taux de satisfaction en laissant toujours une large place à l’interprétation, en soufflant le chaud et le froid.
On le dit certes nationaliste, mais dans les faits, il ne travaille ni pour le français, ni pour le patrimoine, ni pour défendre un Québec inc. En ces domaines, il agit superficiellement comme ses prédécesseurs. La laïcité? Un autre dossier structurant pour la québécitude en devenir qui permettait, par ce nationalisme d'étiquette, de tromper aussi bien les gogos nationaleux que les laïcards. Alors que tout le monde s’excitaient à la seule perspective d’interdire le port de symboles religieux ostentatoires à certaines heures et dans l’exercice de quelques professions, le gouvernement a pu, en dépit de promesse formelle, creuser de manière statuaire le fossé entre l’État et notre culture de tradition catholique.
Le gouvernement Legault est ainsi dans le droit fil de la québécitude qui procède du progressisme libéral.
Mais peut-être est-ce là matière trop idéologique? Peut-être préférez-vous du concret, de l’économique, du géopolitique. Là plus qu’ailleurs Legault ne casse rien, ses ministres seniors (finances et économie) étant fédéralistes affichés et ne soutenant en rien un nationalisme économique.
La manifestation la plus récente de cette position, à la fois idéologique et structurelle, est la poursuite du REM. Via l’État, la Caisse de dépôt, l’Hydro, etc., nous investissons 7 milliards pour doter le Montréal anglophone du meilleur réseau de transport public! Nous consolidons l’avenir du Greater Montreal qui ne cesse de s’étendre, ce Montréal anglais qui, il y a 60 ans, ne se limitait qu’à quelques zones bien circonscrites, et tout le monde s’en félicite, au Journal de Montréal les premiers…
Croyez-vous vraiment que c’est l’intérêt national qui commandait de favoriser autant le Dix 30 et le West Island?
C’est bien simple : la québécitude EST notre « régression tranquille ».
Mais, on a beau s’y mettre à plusieurs pour sonner l’alarme, rien n’y fait. Vous refusez toujours d’en discuter. On déplore la dénationalisation, le recul démographique, l’acculturation et tutti quanti, mais on refuse d’en chercher la cause. On refuse toute remise en question sérieuse.
Quoi faire alors?
Des idées?
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