Depuis quelques mois, une sombre inquiétude semble gagner les intellectuels québécois, tant conservateurs que progressistes. Le retour manifeste des nations en Occident a provoqué au Québec, sans qu’on ne sache trop comment, la résurgence de l’identité canadienne-française.
Le retour du Canadien-Français! D’aussi loin que Paris, nos intellos distingués n’en reviennent pas. Eux qui croyaient, depuis 50 ans, avoir remplacé une nationalité séculaire jugée débilitante par un néonationalisme québécois (mais sur la nature duquel ils ne s’entendent toujours pas), s’en trouvent profondément décontenancés.
Comprenons-les, depuis tout ce temps, rassemblés en de multiples chapelles (souverainistes ou fédéralistes, interculturalistes ou nationalistes, solidaires ou libertariennes, etc.), ces intellectuels font leur pain et leur beurre des luttes idéologiques qui se succèdent pour définir une québécitude en devenir. Le retour de la nation canadienne-française bouleverse tout cela. Un formidable coup de pied dans la termitière, une menace pour tous les pensionnés du régime.
De gauche ou de droite, tous y vont donc de leur papier pour conjurer le mauvais sort, pour tuer le danger dans l‘œuf. On a vu Bock-Côté, Lamonde, Rocher, Godbout, Balthazar, Bouchard, Bombardier peut-être, et quelques autres, discréditer l’identité canadienne-française. Pour certains, recouvrer l’identité canadienne-française serait faire preuve de fermeture, voire de nationalisme outrancier, pour d’autres, ce serait retomber dans l’insignifiance du communautarisme qui ferait le jeu du multiculturalisme canadien. Allez savoir…
Si on s’en tient au dernier texte en date, celui de Christian Rioux, nous constatons la même reprise des grands mensonges qui ont servi à asseoir la québécitude il y a un demi-siècle. Le plus grossier étant l’inexistence politique des Canadiens-Français, soi-disant un groupe ethnique parmi d’autres. Pourtant, dès 1763, la création de la Province of Quebec ne s’explique que par la problématique reconnaissance d’une nation catholique et française dans l’empire britannique. Par la suite, notre résistance à l’assimilation sera telle que le colonisateur devra nous concéder d’importantes libertés politiques, en 1774, 1791 et 1867.
À la Confédération, les anciens ont sincèrement cru avoir négocié avec l’Anglais un équilibre qui permettait aux deux nations de prospérer librement au sein d’un même État. Il a fallu cent ans de cruelles désillusions pour enfin admettre que l’avenir de la nation canadienne-française exigeait plutôt l’attribution d’un État national distinct. Précisément ce que proclameront les États généraux du Canada français en 1967 : « 1° les Canadiens-Français constituent une nation; 2° le Québec constitue le territoire national et le milieu politique fondamental de cette nation; 3° la nation canadienne-française a le droit de disposer d'elle-même et de choisir librement le régime politique sous lequel elle entend vivre ». Loin de ratifier la mort politique du Canada-Français, les États généraux jetaient les bases d’un nouvel affrontement, d’une nouvelle ronde de négociations de nation à nation.
Alors pourquoi? Pourquoi avoir tant médit les Canadiens-Français? Pourquoi parler encore d’un « long hiver » de la survivance ou d’une « grande noirceur » duplessiste, alors que de 1840 à 1960, nous faisons des progrès constants dans tous les domaines, alors que nous renforçons nos positions et notre caractère national au point d’exiger à terme « égalité ou indépendance »?
Par intérêt et par vanité, voilà tout. Dans l’après-guerre, nos intellectuels pétris de personnalisme chrétien ou de social-démocratie voulaient faire tabula rasa du passé. Souffrant de ne pas être suffisamment pris au sérieux - ne les traitait-on pas de « pelleteux de nuages? » - ils s’étaient pris de haine pour leur nation. Ils se voyaient dès lors créateurs de nation nouvelle, porteurs d’un néonationalisme salvateur, soit pancanadien, soit québécois. Une expérience sociétale qui devait nous amener, non pas à transformer le Québec en Canada-Français (défiant ainsi le Canada anglais de manière frontale et jusque sur la scène internationale), mais bien plutôt à travailler sur nous-mêmes, à nous rééduquer à force de lois, de reformes et de référendums pour faire émerger la conscience d’un peuple formé de l’ensemble des habitants du Québec, et cela, dans la diversité de leurs institutions et de leurs cultures.
Ça, cette québécitude qui donne la première place aux idéologues donneurs de leçons tout en rendant le peuple toujours seul responsable des échecs, n’étant toujours pas assez ceci ou pas assez cela, c’est le rêve de tout intellectuel : un Graal qu’il faut défendre coûte que coûte puisque lui permettant, dans « le confort et l’indifférence », de servir les intérêts de son choix ou de manger à tous les râteliers.
Car en nous faisant ainsi adhérer à une identité idéologique et provinciale (qualifiée certes de « nationale », mais qui, de par sa nature coloniale, ne peut être qu’un artifice), la québécitude a réduit notre vie politique à une suite continuelle de débats internes d’ordre moral ou domestique avec toujours, à la clé, un rappel du respect scrupuleux dû aux droits consacrés des diverses « minorités » québécoises. Sous couvert de souverainisme, sorte de carotte magique, la québécitude nous a enfermés, mieux que jamais, dans le cadre que nous réservait le régime canadien, lui qui s’accommode d’ailleurs fort bien de nos modestes lois statutaires dont il réussit toujours à atténuer les irritants avec la complicité ou la passivité de Québec.
Tout observateur objectif devrait comprendre qu’il n’y a donc rien, mais vraiment rien de paradoxal à voir ressurgir aujourd’hui l’identité canadienne-française. Ce retour historique est l’expression d’une nation qui n’en peut plus d’inexistence. Un peuple qui en a marre d’une révolution culturelle qui n’en finit pas et dont il fait toujours les frais, marre de se faire mener en bateau par une clique politico-médiatique qui contrefait la réalité pour préserver des illusions dont elle tire avantage, marre du vide identitaire et du cul-de-sac politique qui en résulte.
En somme, le retour du Canadien-Français, c’est notre gilet jaune à nous, car les Canadiens-Français sont –précisément– « de ces peuples qui refusent de voir leur identité sans cesse rabotée par la mondialisation technocratique ». Il faut juste un peu de cœur pour le reconnaître.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
1 commentaire
Pierre Bouchard Répondre
3 juillet 2019Entièrement d’accord avec vous. Les commentateurs autorisés, c’est-à-dire ceux qui ont une tribune grand public, se voient un peu comme des pionniers, des pères de la future nation québécoise. Ils ont tous perdu l’objectif de vue : ne pas disparaître, survivre et s’épanouir.
À l’heure où la maison brûle, sachant que notre peuple sera mathématiquement éliminé d’ici 15 ou 20 ans, ces gens persistent dans leur travail de fondation d’une nation nouvelle, avec des citoyens purs et vertueux qui feront du futur pays du Québec un modèle pour l’humanité. La maison brûle, il faut sauver notre peau avant de jaser décoration, mais ils ne veulent rien savoir.
Ils veulent fonder un pays tout neuf et, quant à savoir qui seront les gens qui l’habiteront, ça semble très secondaire pour eux. Ils ne veulent pas du tout empêcher notre mort, ils veulent un pays coute que coute même si nous, notre peuple, ne sommes plus là pour lui donner sa couleur. Ils veulent reproduire un Canada au Québec.
Je trouve cela irresponsable et scandaleux. Je demande à ces gens de prendre le temps de s’informer, de voir et de comprendre l’évidence : même si nous avons jeté par-dessus bord notre appellation canadienne-française pour prendre celle de Québécois, nous sommes toujours les mêmes, les seuls pour qui l’indépendance est intéressante et vitale. Nous avons décidé qu’il n’y a plus de citoyen canadian au Québec, que nous sommes tous pareils, mais ce coup de baguette magique a dupé seulement notre peuple, les canadiens-français. Les canadians du Québec, qui existent toujours malgré notre schizophrénie collective, n’ont pas changé leur façon de voir les choses.
La québécitude continuant son œuvre destructrice, les nouveaux penseurs, de façon générale, continuent de penser dans le même moule, sauf exception. Qu’il est difficile d’admettre s’être trompé, s’être fait avoir. Qu’il est difficile de voir son propre conditionnement. Il est bien plus rassurant de se faire accroire qu’il n’y a plus de dominant ni de dominé, que nous sommes passé à autre chose, sans comprendre qu’en fait, nous sommes à présent en attente dans le couloir de la mort, et notre pas s’accélère de jour en jour, aidé par ces gens qui ne voient plus clair.