Pourquoi les indépendantistes catalans sont seuls au monde

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Les États ne veulent pas soutenir un processus de morcellement qui pourrait avoir des conséquences fâcheuses pour leur propre intégrité territoriale


Vues du Québec, les peines de neuf à douze ans de pénitencier infligées à des indépendantistes catalans par la justice espagnole sont aussi injustes qu’incompréhensibles.


On peut vraiment se faire infliger en Europe des peines réservées aux violeurs récidivistes ou aux braqueurs pour délit politique ?


Plus étonnant encore : les dirigeants et la presse européenne traitent l’affaire comme une sorte de fait divers local, nullement comme une injustice. Quelques vagues députés britanniques ou français dénoncent ces peines totalement exagérées, mais au-delà de ça… bof !





PHOTOS ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE


Les neuf dirigeants indépendantistes catalans condamnés lundi à la prison : (haut) Raül Romeva, Joaquim Forn, Jordi Turull, Oriol Junqueras, Josep Rull ; (bas) Jordi Cuixart, Carme Forcadell, Dolors Bassa et Jordi Sànchez





Pas si étonnant, en fait : les pays européens refusent de s’immiscer dans les affaires internes et respectent officiellement les décisions des tribunaux des autres pays, pour qu’on respecte celles des leurs. Même chose pour le Canada, quel que soit son gouvernement. Justin Trudeau n’ira pas s’en mêler.


 

Les neuf, impliqués à divers titres dans le mouvement souverainiste catalan, n’ont pourtant commis aucun geste violent, ni incité à la casse.


Mais voilà, la Constitution espagnole rend illégale toute tentative de sécession. Les neuf se sont donc rendus coupables aux yeux de la justice de « sédition » et, pour quatre d’entre eux, de détournement de fonds publics. Entendez par « détournement de fonds publics » non pas le tripotage du Trésor pour se construire une villa, mais plutôt l’utilisation de l’argent de l’État espagnol pour faire avancer leur cause – inconstitutionnelle.


En Espagne même, de gauche à droite, les grands partis appuient sans réserve la décision de la Cour suprême. Le président socialiste Pedro Sánchez a dit qu’il allait faire appliquer ces peines. À droite, on a applaudi. Un peu plus à droite, on a déploré que les peines ne soient pas assez sévères, on aurait voulu des condamnations pour « rébellion » et des peines de 25 ans. Seule la gauche radicale, Podemos, a dénoncé la sévérité des peines – sans avoir la moindre sympathie pour le mouvement souverainiste.


El País, le journal réputé « progressiste », a soutenu ces condamnations hier en éditorial.


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Le parallèle avec la situation québécoise, où deux référendums ont été tenus et reconnus de facto par le gouvernement fédéral, est évidemment tentant. Mais pas très utile.


Il faut aller à Madrid pour voir à quel point les plaies de la guerre civile des années 30 sont encore vives. Toutes les familles l’ont vécue dans leur chair. Le général Francisco Franco, qui a dirigé le pays en dictateur pendant presque 40 ans, est mort en 1975. La Constitution date de 1978 seulement. Pour bien des Espagnols, y compris des Catalans, c’est le fantôme de ce traumatisme qui ressurgit quand on parle d’indépendance.


Comme une double ironie de l’histoire, qui ne meurt pas : c’était hier le 79e anniversaire de l’exécution du leader autonomiste Lluís Companys, qui avait déclaré la Catalogne État indépendant (dans une Espagne républicaine et fédérale, mais passons) ; et c’est d’ici la semaine prochaine qu’on exhumera le vieux Franco, à la demande du gouvernement socialiste, pour qu’on n’aille plus lui rendre hommage à son mausolée. La famille s’y est opposée, sans succès. Franco, qui a réussi à faire extrader Companys de France avec l’aide des nazis, pour l’exécuter à Montjüic le 15 octobre 1940…


C’est un peu court, donc, de résumer la condamnation à des relents de franquisme. C’est plus large et plus profond.


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Pour la gauche espagnole, le mouvement sécessionniste catalan est le fait d’une région riche qui veut se désolidariser de l’Espagne au moment où elle traverse une crise économique profonde.


Dans le reste de l’Europe, le mouvement n’a que peu de sympathie, car il menace la stabilité et la prospérité du pays, donc de l’Europe, et risque d’inspirer d’autres régions autonomistes.





PHOTO JOAN MATEU, ASSOCIATED PRESS


Des dizaines de milliers de Catalans ont manifesté, hier à Barcelone, contre les peines de prison imposées lundi à des dirigeants séparatistes pour leur rôle dans la tentative de sécession de 2017.





L’Écosse a une histoire totalement différente, ayant déjà été un royaume avant de s’unir à l’Angleterre. Mais le référendum sur la sécession (2014) avait été dûment négocié avec Westminster, de la question (claire) aux règles du jeu (majorité simple).


Le précédent écossais joue donc autant pour les Catalans (pourquoi ne pas permettre un vote si les Anglais le permettent ?) que contre eux (la légalité écossaise était reconnue par le gouvernement central).


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Il faut relativiser la ferveur « indépendantiste » catalane. En 2006, 73 % de la population a appuyé par référendum un nouveau statut autonome pour la Catalogne, reconnue comme nation. Un statut autonome, soit dit en passant, bien moins important que celui du Québec – la région reçoit un budget de Madrid et ne perçoit pas ses propres impôts, notamment.


Mais voilà, en juin 2010, à la demande du Parti populaire au pouvoir, le Tribunal constitutionnel espagnol a annulé l’essentiel de l’accord. C’est là que l’appui à la sécession, relativement marginal, a commencé à monter. Une sorte d’accord du lac Meech venait d’être déchiré par « le reste de l’Espagne », si on tient absolument à un parallèle canadien.


J’ai assisté à la campagne électorale en 2017, après le référendum « illégal » et la déclaration d’indépendance qui a suivi. Si l’Espagne revenait à l’entente de 2006, ou si la Catalogne avait le même degré d’autonomie que le Pays basque, un référendum sur l’indépendance échouerait, d’après les gens à qui j’ai parlé.


Sauf qu’au lieu d’une autonomie plus grande, Madrid a défait l’accord de 2006 et remplacé la négociation par la répression. Et les leaders souverainistes ont poussé le bouchon pour tenir un référendum. C’est là qu’on a vu des scènes aberrantes de policiers qui frappaient des gens allant simplement voter.


Au final, qu’on en impute la faute à Madrid ou à Barcelone, qui a voulu forcer le jeu, le résultat n’avait aucune valeur, n’a été reconnu par personne.


Deux ans plus tard, voilà des militants et politiciens pacifiques condamnés à des peines de criminels endurcis. Ça n’a évidemment aucun sens, vu d’ici. Il ne peut pourtant y avoir qu’une solution politique, négociée.


La prochaine étape est claire : un mandat d’arrêt est maintenant lancé, en toute logique juridique, contre l’ex-chef du Parti démocratique catalan Carles Puigdemont, exilé en Belgique depuis deux ans. Plus de manifs sont à prévoir. Plus de répression aussi.


Il n’y a aucune sortie de crise à l’horizon. L’enfoncement dans la logique juridique rigide ne fera qu’augmenter le sentiment d’injustice et la force du mouvement souverainiste.


Mais jusqu’ici, et pour l’avenir prévisible, les Catalans sont à peu près seuls au monde.




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