Pourquoi Ottawa n'a-t-il pas de plan de match économique à long terme ?

L'idée fédérale


Dans une lettre publiée dans [La Presse le lundi 5 juillet,->29112] Jacques Marcil, économiste principal à la Canada West Foundation, nous disait que le fait d'avoir des gouvernements minoritaires à Ottawa ces dernières six années était responsable du bilan bien mince du gouvernement et, surtout, de l'absence d'un plan de match économique à long terme. Selon lui, « le groupe de députés qui siège présentement à la Chambre des communes fourmille probablement de bonnes idées de politiques économiques, mais toutes ces bonnes intentions demeurent pour l'instant sur la tablette en attendant une majorité parlementaire ».
Je supporte entièrement son argumentation quant à l'absence d'un plan économique à moyen ou à long terme au gouvernement fédéral et en faveur d'en avoir un dans le futur, Cette absence est une réalité que j'ai documentée dans un texte qui contient la citation suivante, tirée du Plan budgétaire de 2006, qui illustre bien le choix du nouveau gouvernement conservateur d'opérer sur un court horizon :

« Bien qu'il soit tout indiqué pour le gouvernement de faire part de ses intentions en matière de finances à moyen et à long terme dans des secteurs clés comme la défense et l'infrastructure, il importe, en règle générale, de mettre l'accent sur une période de planification à court terme pour laquelle les facteurs d'incertitude sont moindres et que le gouvernement peut raisonnablement s'attendre à rendre compte de son plan financier. C'est pour cette raison que les projections économiques et financières contenues dans le budget sont présentées sur un horizon de deux ans. » Page 53, Le plan budgétaire, 2006

Fait intéressant, ce même gouvernement changeait d'opinion deux ans plus tard et expliquait dans son plan budgétaire de 2008 la raison pour présenter les grands agrégats de son budget sur un horizon de cinq ans : « Toutefois, en raison des incertitudes concernant l'économie mondiale, il convient de mettre à jour les projections financières ». Tout ceci montre que nous sommes bien loin d'avoir un plan de match économique à long terme à Ottawa.
L'absence d'un plan à moyen ou à long terme explique, entre autres choses, pourquoi le plan de relance du gouvernement fédéral, notamment au niveau des investissements en infrastructures collectives, tient plus du saupoudrage que de la mise en place d'un plan stratégique de développement à long terme.
Là où mon opinion diffère de celle de M. Marcil, c'est lorsqu'il attribue au fait d'avoir des gouvernements minoritaires le fait que de nombreuses bonnes idées de politiques économiques des membres de la Chambre des communes demeurent pour l'instant sur la tablette en attendant une majorité parlementaire. Si tel était le cas, n'aurions-nous pas vu lors des deux dernières campagnes la présentation de véritables plans à moyen ou à long terme par les principaux partis politiques ? Il m'est difficile de supporter l'argument que nos parlementaires cacheraient d'excellentes idées de politiques économiques. Je pense plutôt que le gouvernement et les partis politiques n'ont pas un véritable plan à moyen ou long terme à présenter. Certes, ils ont des bribes d'un plan, mais ils sont loin d'avoir un véritable plan à moyen terme dont les éléments sont intégrés.
La dynamique est peut-être fort différente de celle que décrit M. Marcil et que je résume ainsi : on n'a pas de plan parce qu'on a des gouvernements minoritaires. Serait-il possible que le fait d'avoir un bon plan à moyen et à long terme permette à un parti politique d'obtenir une majorité des sièges à la Chambre des communes ? La peur de proposer certaines politiques publiques ne serait-elle pas reliée au rejet attendu de celles-ci, non pas à la Chambre des communes, mais par la majorité des contribuables ? Dans un tel cas, on n'aurait pas de plan parce que le gouvernement ou un parti politique ne peut créer consensus en faveur de ce plan dans la population. Une chose est certaine, un gouvernement ou un parti politique ne peut avoir de plan s'il n'est pas prêt de le défendre devant la population.
Peut-être qu'une des premières étapes à franchir pour avoir un Parlement canadien plus fonctionnel, avant même d'avoir un plan à moyen terme, serait que le gouvernement et tous les partis politiques suivent les règles de base de la bonne gouvernance dont la présentation d'analyses coûts-bénéfices de qualité des mesures proposées et la reddition de comptes de qualité. Il ne suffit pas d'avoir un plan de match et un gouvernement majoritaire, il faut aussi avoir un bon plan match géré par une équipe ayant un haut niveau de compétence et suivant les règles de la bonne gouvernance et de l'éthique.
Auteur : Jean-Pierre Aubry

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Économiste avec plus de 35 ans d’expérience dont 30 ans à la Banque du Canada. Membre du Comité des politiques publiques de l’Association des économistes québécois Fellow associé du CIRANO





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