C’est la grande déprime. L’atmosphère s’alourdit de compressions budgétaires en mises à pied à CBC/Radio-Canada. Les mauvaises nouvelles ébranlent chaque fois un peu plus le moral des troupes restantes.
Déjà que cette boîte avait la réputation d’offrir un milieu de travail surchargé de conflits interpersonnels. En gros, franchement, il n’y a que l’université pour avoir pire réputation de ce point de vue. Là aussi, une institution au service de la liberté de parole, de « l’agir communicationnel » ouvert et démocratique, semble trop souvent dénaturée par les ego surgonflés, les chicanes de clocher et les mesquineries de bas étage.
Il semble aussi normal pour les gros crabes de tirer dans le tas sitôt sorti du nid. La critique de l’université par un universitaire a été vue et revue. La critique de RC par un ancien radio-canadien aussi.
Cet automne, c’est au tour de Jean-François Lépine et d’Alain Saulnier de cracher dans la soupe : le premier avec un livre de souvenir journalistique intitulé Sur la ligne de feu (Libre Expression), le second, ex-directeur général de l’information, avec une enquête sur la déconstruction lente de l’institution baptisée Ici ÉTAIT Radio-Canada (Boréal).
Les mémoires de ce monde, le mien, peuvent laisser de glace, y compris les autres journalistes. Le genre gonfle un travers du métier qu’un collègue a déjà caractérisé comme du journalisme d’appropriation. En gros, la mécanique autopromotionnelle fait que le journaliste s’imbibe de l’aura de la situation ou de la personne qu’il couvre.
L’intervieweur devient donc aussi important que l’interviewé. Le reporter se met constamment en scène avec ses sujets. Le chroniqueur parle autant de lui que du monde. À tout coup, le gars (ou la fille) censé rapporter la nouvelle s’y entremêle pour répéter j’y étais, je l’ai vue, cette grande histoire, c’est moi aussi un peu, les deux pieds dans l’eau.
Le trait perce à toutes les pages dans le livre Sur la ligne de feu. Karl Kraus, grand pourfendeur du journalisme au début du XXe siècle, résumait le problème autrement, avec une autre métaphore incendiaire. « Nous avons mis l’homme qui doit annoncer l’incendie et qui devrait sans doute jouer le rôle le plus subalterne dans l’État au-dessus du monde, disait-il, au-dessus du feu et au-dessus de la maison, au-dessus du fait et au-dessus de notre imagination. »
En même temps, ces livres éclairent effectivement des parts enténébrées de l’histoire plus ou moins récente d’une grande institution du pays. Ils se rejoignent autour des récentes mutations qui font gonfler la grande déprime.
M. Lépine admet sa frustration devant la décision de ne pas reconduire son émission Une heure sur terre. Il confie avoir brigué la plus haute direction de Radio-Canada avec un plan pour la recentrer autour de sa mission fondamentale.
M. Saulnier a lui-même été remercié il y a deux ans par celui qui a doublé M. Lépine au sommet. Son essai contextualise son congédiement en le liant à l’assèchement budgétaire, mais aussi aux tentatives de contrôle politique du médiatique.
Les faits exposés semblent imparables, même si ces indéniables amoureux de RC négligent l’évidence de la crise généralisée non seulement des médias, mais aussi du monde qui a engendré celui-là en particulier. Si le diffuseur public vacille au bord du gouffre, ce n’est pas seulement parce que le gouvernement sape son institution libre perçue comme un nid de gauchistes ou de séparatistes. C’est aussi et surtout parce que le politique n’a plus besoin de cette vieille machine à construire de l’identité nationale dans un monde travaillé par la mondialisation économico-technologique et l’individualisation de citoyens-consommateurs.
En plus, comme le prouve bien la carrière respective de ces deux grands journalistes, la maison demeure encore capable de grandes choses. Deux autres livres publiés simultanément le rappellent à leur manière moins revancharde et plus hagiographique, moins critique et plus autocongratulante.
Le premier propose Tout le monde en parle – L’envers du décor (Éditions La Presse). L’ouvrage bourré d’anecdotes célèbre les dix ans de l’émission d’infodivertissement qui concentre à elle seule les mutations récentes de la nouvelle télé faite pour vendre en formatant, en ploguant et en encensant.
L’autre cadeau de soi à soi, Dans les coulisses d’Enquête (RC et Québec Amérique), revient sur « les reportages qui ont mené à la commission Charbonneau », selon le sous-titre. L’ouvrage dynamique, qui se lit comme un long reportage sur les reportages, a été rédigé par Pierre Cayouette (un ancien du Devoir) avec la collaboration de Marc-André Sabourin. Le résultat rappelle l’importance et la qualité du travail journalistique encore et toujours possible au sein de l’institution, malgré les coupures et la déprime.
Le grand chien de garde Alain Gravel est photographié en couverture, avec le reste de la meute et le patron, Jean Pelletier. Il manque Alain Saulnier dans le portrait de groupe. Une autre mesquinerie de bas étage…
MÉDIAS
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