Brian Myles - La loi 78 concourt à l’instauration « d’un régime de répression et de peur », estime Charles-Maxime Panaccio, professeur à la section de droit civil de l’Université d’Ottawa. Me Panaccio s’est joint à titre bénévole à l’équipe de conseillers juridiques des associations étudiantes qui vont contester la loi spéciale. Il passe en revue les principales atteintes aux libertés fondamentales de cette loi. « C’est la pire chose que j’aie vue au Québec en terme d’autoritarisme », dit-il en pesant ses mots. Propos recueillis par Brian Myles.
Associations attaquées
De nombreuses dispositions de la loi 78 ciblent directement les associations étudiantes dans ce qu’elles ont de plus cher : leur capacité de mobiliser la base et de percevoir la cotisation étudiante. Elles risquent de lourdes amendes si elles sont responsables, directement ou indirectement, de perturbations de cours et si elles participent à des manifestations qui ne respectent pas les règles de la police. Les associations s’exposent à des amendes de 25 000 $ à 125 000 $, et les dirigeants à des amendes de 7000 $ à 35 000 $. Mais il y a pire. Si les associations ne suivent pas les nouvelles règles du jeu, elles pourront perdre les cotisations, à raison d’un trimestre au complet par journée de cours perturbée. « C’est une atteinte grave à la liberté d’association, déplore Me Panaccio. On va leur couper les vivres sur la base d’infractions exprimées de façon très vague et imprécise. Elles seront punies de façon très stricte pour des comportements qu’elles n’ont pas commis. » En droit civil, l’employeur peut être tenu responsable des fautes de l’employé, au même titre que le parent doit payer pour les errements de son enfant. Mais dans le cas des associations, elles n’ont aucun pouvoir de tutelle sur leurs membres. « On leur en demande beaucoup. »
L’État, c’est moi
La loi 78 fait porter de lourdes responsabilités aux organisateurs et aux participants à une manifestation de plus de 50 personnes. Les organisateurs doivent s’assurer bien sûr qu’ils ont le parfait contrôle sur leur base militante et qu’elle suit l’itinéraire prévu, sous peine de lourdes amendes. Les associations étudiantes qui participent à une marche, sans en être les chefs d’orchestre, doivent aussi prendre les moyens pour que la manifestation se déroule en conformité avec le plan initial. À tout moment, si la foule exaltée bifurque spontanément en contravention du plan, il y a une possibilité que les manifestants les plus pacifiques se retrouvent en situation d’illégalité. Résultat ? « Ça va amener les gens à jouer les agents de surveillance. Les uns vont surveiller le comportement des autres », constate Me Panaccio. Encore là, c’est la liberté de réunion pacifique et la liberté d’expression qui en souffriront. Les germes de l’État policier se répandront à travers les cohortes de manifestants à qui l’on confie, bien involontaire, un devoir de surveillance.
Climat de peur
La principale critique formée par Me Panaccio vise l’esprit du projet. En forçant les organisateurs de manifestations de plus de 50 personnes à informer les policiers de leurs intentions huit heures à l’avance et en les obligeant à fournir un itinéraire, le gouvernement instaure « un climat de peur et de contrainte ». « C’est un coup de force. Ça porte atteinte au droit à la sécurité, qui inclut le droit à la sécurité psychologique », estime Me Panaccio. En donnant à la police un pouvoir accru pour encadrer les manifestations, et pour exiger des changements à la trajectoire s’il y a un risque grave pour la sécurité, le gouvernement « jette les bases d’un État policier ». « Il y a des relents autoritaires à empêcher les gens à se comporter librement », estime-t-il. Le Barreau partage aussi ces réserves. Les contraintes à l’organisation d’une manifestation deviennent si nombreuses qu’elles vont décourager quiconque de manifester. Le droit à la liberté d’expression et à la liberté d’association est durement touché.
Pouvoir discrétionnaire
La Cour suprême du Canada s’est toujours montrée frileuse à confier l’arbitrage des droits fondamentaux aux pouvoirs policiers. Dans son jugement invalidant le règlement antimasques de la Ville de Québec, en 2005, la Cour supérieure cite le plus haut tribunal du pays : « Justifier un empiétement sur un droit constitutionnel pour le motif que l’on peut croire que les autorités publiques ne le violeront pas indûment sape le fondement même sur lequel repose la Charte. » Michèle Courchesne a dit hier qu’elle faisait confiance aux policiers pour déterminer par exemple si des utilisateurs des réseaux sociaux pourront être considérés comme les organisateurs de manifestations illégales. Le législateur ne doit pas déléguer aux policiers le pouvoir d’établir si un comportement est défendu ou permis. C’est une norme trop floue. « Il y a un principe en matière de primauté du droit. Les règles doivent être précises », explique Me Panaccio. Or, la loi 78 souffre de nombreuses imprécisions, au point où il faudra s’en remettre au proverbial sens du discernement des policiers pour manifester dans la rue sans crainte de subir les foudres de la police.
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Une loi musclée
Voici les principaux éléments de la loi 78, adoptée hier à l’Assemblée nationale.
Suspension des sessions des établissements touchés par les boycottages (ou les grèves). Dispositions pour permettre la réorganisation des calendriers.
Obligation pour les professeurs de retourner enseigner.
Obligation pour les organisateurs d’une manifestation de 50 personnes ou plus de dévoiler huit heures à l’avance (pour coïncider avec les quarts de travail des policiers) « la date, l’heure, la durée, le lieu ainsi que, le cas échéant, l’itinéraire de la manifestation ».
Interdiction d’entraver l’accès d’une personne « à un lieu où elle a le droit ou le devoir d’accéder pour y bénéficier des services d’un établissement ou pour y exercer ses fonctions ».
Interdiction de rassemblement à l’intérieur d’un établissement d’enseignement et dans un rayon de 50 mètres « des limites externes » de celui-ci.
Pénalité pour une association étudiante ou syndicale qui ne respecte pas la loi.
Amende de 1000 $ à 5000 $ par jour pour un simple citoyen ; de 7000 $ à 35 000 $ pour un dirigeant d’association, de syndicat ou d’un établissement d’enseignement ; de 25 000 $ à 125 000 $ pour une association étudiante.
Quatre points d’interrogation au sujet de la loi 78
Le professeur de droit Charles-Maxime Panaccio dénonce une loi qui participe à la mise en place « d’un régime de répression et de peur »
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