La Formule 1 à l’heure des choix de société

Stop ou encore ?

Montréal est devenue la métropole d'une république de banane

Chronique de Patrice-Hans Perrier

Le gala d’ouverture du Grand Prix du Canada, intitulé «Le Grand Soir», a été interrompu par un concert de protestations pour lequel s’était mobilisée une impressionnante cohorte de policiers de l’escouade anti-émeute de Montréal. Deux mondes antagonistes convergeaient jeudi soir dernier vers une ligne de départ cahoteuse.
La Formule 1 symbolisant la vitesse, le luxe et le pouvoir, les étudiants et leurs supporters en goguette ne pouvaient trouver mieux afin de manifester leur réprobation face à un système qui fait dans la surenchère la plus odieuse.
La vitesse comme mythe fondateur
Les artistes futuristes italiens proclamaient, au début du XXe siècle naissant, leur amour de la vitesse et de la violence, perçues comme des manifestations de courage. La vitesse est devenue, certes, l’apanage du siècle dernier, alors que l’adage «le temps c’est de l’argent» s’imposait comme mot d’ordre d’un capitalisme appelé à régner sans partage en fin de course.
Et, contre toute attente, il semblerait que l’on soit bel et bien rendu en fin de course. En effet, l’automobile correspond à cette congestion croissante qui rend nos centres-villes invivables et irrespirables. L’automobile, reine des déplacements en solitaire, est plus que jamais un symbole individualiste et certaines féministes intempestives y voient même un puissant symbole phallique. L’adage québécois ne dit-il pas : «grosse Corvette, petite quéquette» ?
Dérapages en bout de piste
Mais, peu nous importe la protubérance de certains organes des propriétaires de bagnoles, puisque se sont leurs engins de locomotion que nous subissons à longueur de journée. L’automobile serait – de l’avis de certains environnementalistes et du parti municipal Projet Montréal – un facteur d’appauvrissement de la balance commerciale du Québec. En effet, nous importons nos bagnoles, de même que le précieux carburant qui leur permet de caracoler en menant la vie dure aux cyclistes et aux piétons. Pendant ce temps, les producteurs de matériel ferroviaire fabriquent à l’étranger des composantes pour des systèmes de transport en commun qui contribuent à améliorer le bilan environnemental et urbanistique des cités qui ont compris que la voiture était un frein au développement urbain harmonieux.
Le grand Prix du Canada n’est pas seulement un évènement honorant la Formule 1, il s’agit d’une prestation touristique et festive qui fait partie d’une formule commerciale rapportant des quantités colossales de ristournes à ses parrains. Et, faisant face à une levée de boucliers en occident, les Bernie Ecclestone et autre promoteurs du même acabit s’évertuent à chercher des débouchées du côté de certaines villes des pays dits «en voie de développement». Ainsi donc, nonobstant tout le décorum et le moussage médiatique qui l’entoure, le Grand Prix de Montréal demeure un événement tiers-mondiste, quoi qu’on en pense et qu’on en dise. Cet événement n’a pas sa place au Québec, dans un contexte où notre nation s’est distanciée du reste du Canada en ce qui a trait à la protection de l’environnement et à la diminution des gaz à effet de serre (GES). Qui plus est, l’administration Tremblay, qui se targue d’être novatrice en matière de mesures environnementales, se tire carrément dans le pied en acceptant que Montréal continue d’être la vitrine d’un évènement qui sert de prétexte aux touristes en mal de jeunes égéries à la cuisse légère.
L’aile ou la cuisse
Je n’étais pas nécessairement chaud à l’idée que nos jeunes étudiants se dévêtissent afin d’afficher leur mécontentement lors de manifestations qui me semblaient être des démonstrations d’égo superficiel et des prétextes à un exhibitionniste que je qualifiais – il y a quelques mois – de bassement racoleur. Toutefois, j’ai grandement apprécié le geste de certaines manifestantes, exhibant leurs formes aguichantes et leur moue, qui portaient des pancartes stipulant qu’elles étaient venues livrer en pâture ce que la majorité des touristes mâles étaient venue chercher à Montréal. Cette fois-ci le «médium (les corps des jeunes filles mi-nues) se confondait bel et bien avec le message (nous ne sommes pas de la chair fraîche pour les touristes provenant de classes économiques bien nanties).
Il semblerait que le mouvement étudiant – et ses ramifications au sein de la société civile – ait enfin réussi à déployer ses ailes … dans un contexte où les classes dominantes tablent toujours sur un odieux «droit de cuissage» qui s’exprime pas seulement lors du Grand Prix de Montréal et qui concerne les jeunes gens des deux sexes. Manifestation particulièrement grossière et veule, le Grand Prix de Montréal témoigne de notre posture de République de Banane, alors que nos jeunes étudiants en seront, bientôt, rendus à vendre leur corps afin de pouvoir poursuivre leurs études supérieures. Tout le reste est à l’avenant, puisque les prolétaires – manuels, intellectuels, techniciens, etc. – doivent, eux aussi, vendre leur personne au plus offrant.
Les moyens de ses ambitions
A Formule 1 représente la puissance à l’état pur. Gaspillant des quantités ahurissantes de carburant et monopolisant des armées de techniciens et de spécialistes en tous genres, il s’agit s’une dépense somptuaire qui est un pied de nez odieux au commun des mortels qui, lui, peine à «rejoindre les deux bouts» et n’arrive plus à faire le plein d’essence pour se rendre au boulot ou … à l’université.
Il s’agit de la «Grande messe» d’un pouvoir oligarchique qui est à bout de souffle, mais qui utilise comme jamais tous les artifices de la «Grande séduction» de son arsenal afin d’endormir les masses. Nos élites coupent dans les dépenses publiques, les budgets à l’éducation rétrécissent en peau de chagrin et le peu qui pourrait être consenti afin de soulager la misère du commun des mortels est balayé sous le tapis. Les «Dieux du stade» font la fête, alors qu’une cohorte de badauds voyeurs ou exhibitionnistes – c’est selon – vient défiler, comme sous l’effet d’un conditionnement pavlovien, pour admirer qui, les rutilantes Ferrari stationnées sur la rue Peel, qui, les jeunes poulettes se dandinant en direction d’une des charcuteries de viande humaine de la rue Crescent.
Rien ne va plus, faites vos jeux. L’industrie du tourisme a peur que les dérives estudiantines ne viennent priver Montréal de ses précieuses recettes estivales et Jacques Villeneuve, jadis un vibrant symbole de courage et de persévérance, s’est totalement disqualifié par ses remontrances dignes d’un parvenu totalement déconnecté de la réalité. Nous avons perdu de vue nos ambitions les plus légitimes : droit à l’éducation et égalité des chances dans une société qui ne serait plus l’appendice du capitalisme le plus débridé. Il ne nous reste plus que les moyens du désespoir … quand la colère du peuple gronde.

Squared

Patrice-Hans Perrier181 articles

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Patrice-Hans Perrier est un journaliste indépendant qui s’est penché sur les Affaires municipales et le développement urbain durant une bonne quinzaine d’années. De fil en aiguille, il a acquis une maîtrise fine de l’analyse critique et un style littéraire qui se bonifie avec le temps. Disciple des penseurs de la lucidité – à l’instar des Guy Debord ou Hannah Arendt – Perrier se passionne pour l’éthique et tout ce qui concerne la culture étudiée de manière non-réductionniste. Dénonçant le marxisme culturel et ses avatars, Patrice-Hans Perrier s’attaque à produire une critique qui ambitionne de stimuler la pensée critique de ses lecteurs. Passant du journalisme à l’analyse critique, l’auteur québécois fourbit ses armes avant de passer au genre littéraire. De nouvelles avenues s’ouvriront bientôt et, d’ici là, vous pouvez le retrouver sur son propre site : patricehansperrier.wordpress.com





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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    10 juin 2012

    Si la colère du peuple gronde, l'élite ne l'entend pas. Mais quand elle sera décapitée, elle ne l'entendra plus...