Que reste-t-il de Duplessis?

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Le Devoir continue le dénigrement du plus grand premier ministre québécois


Le 7 septembre 1959, il y a soixante ans, MauriceDuplessis succombe à une hémorragie cérébrale, au beau milieu d’un chalet de bois au style rustique de Schefferville où l’accueille la compagnie Iron Ore. Le 10 septembre 1959, à l’heure où ses électeurs lui rendent un dernier hommage à la cathédrale de Trois-Rivières, la police provinciale qu’il a fondée apparaît bien en vue aux côtés du corbillard noir, coiffée de ses casques coloniaux blancs.


Le journaliste Pierre Laporte écrit alors dans les pages du Devoir que l’entourage du premier ministre, bien au fait de ses ennuis de santé, avait déjà songé, quelques mois plus tôt, à le faire soigner « dans une clinique américaine », lui qui ne cessait pourtant de vanter la qualité du système de santé de sa province.


Duplessis s’était toujours opposé à l’implantation d’un régime d’assurance maladie, l’écartant du revers de la main par une boutade goguenarde dont il avait le secret. « La meilleure assurance maladie, c’est la santé », répétait-il.


Le premier ministre se méfiait d’une éducation trop libre. « L’instruction, c’est comme la boisson », raille-t-il : il y en a qui ne la supportent pas. Cette perspective convie la province à mettre l’accent surtout sur la formation technique. Ce qui n’empêche pourtant pas les universités d’attribuer des doctorats honorifiques en série aux membres du gouvernement ainsi qu’au premier ministre. Toutes les universités du Québec vont accorder un doctorat honorifique à Maurice Duplessis, la palme en la matière revenant à l’Université Laval, qui trouve le moyen de lui en accorder pas moins de trois.


Que reste-t-il des conceptions sociales et politiques de cet homme qui exerça le pouvoir à titre de premier ministre de 1936 à 1939, et de 1944 jusqu’à sa mort en 1959 ?


En 1948, Duplessis va s’attirer un fort capital de sympathie chez les nationalistes en adoptant pour le Québec un étendard distinctif. Croisement du drapeau de Carillon et de l’étendard du Sacré-Coeur, avec son symbole de la croix et son lys monarchique, est préféré sans conteste au drapeau tricolore républicain des révolutionnaires de 1837-1838.


Bête politique


Séduit par le principe de l’autonomie provinciale, sans pour autant être tenté de la maximaliser à travers l’indépendance politique, Duplessis invite les Québécois à produire deux déclarations de revenus à partir de 1954. Cela n’a pas cessé depuis.


Duplessis, c’est d’abord une formidable bête politique. Alain Lavigne, collectionneur passionné de centaines d’objets lancés par l’Union nationale, a déjà expliqué qu’en matière de publicité électorale, l’Union nationale avance tel un irrésistible rouleau compresseur. Pour la seule campagne électorale de 1956, les dépenses atteignent 9 millions de dollars. À titre de comparaison, aux élections de 2018, la CAQ de François Legault a comptabilisé des dépenses d’un peu plus de 6 millions de dollars. D’ailleurs, faut-il voir dans la CAQ et ses accents populistes quelques traits hérités de ces années passées ?


À l’automne 2011, au moment de la création de la Coalition avenir Québec (CAQ), l’homme d’affaires libéral Charles Sirois et l’ancien ministre péquiste François Legault annoncent que, par la création de cette coalition, ils entendent se situer en marge des « vieilles chicanes » qui, selon eux, entravent le développement économique. Le professeur Jonathan Livernois, auteur d’une brève histoire du duplessisme intitulée La révolution dans l’ordre, n’a pas manqué de rappeler que le discours adopté par Duplessis en 1936, au moment où les conservateurs et l’Alliance libérale nationale de Paul Gouin font alliance, n’affirme pas autre chose.


Au fil des manoeuvres qui le conduisent, en 1936, au fauteuil de premier ministre, Duplessis affirme qu’« il y a trop longtemps que les couleurs partisanes ont obstrué la vision des différents groupes politiques au détriment de la province. Il n’est pas question de couleurs, de partis dans cette lutte, il est question de purifier l’atmosphère de l’administration provinciale ». Très efficace pour railler les excès du gouvernement libéral d’Alexandre Taschereau, il n’en reprendra pas moins les mêmes pratiques, les poussant même plus loin. Mais jusqu’où peut-on filer longtemps la comparaison entre la CAQ et le régime Duplessis ?


Contrôle


En 1937, la crainte qu’il entretient au sujet des possibles avancées d’idées de gauche le conduit à faire adopter la loi dite du cadenas. Cette mesure permet de placer sous scellés les locaux utilisés par tout groupe soupçonné de propager des idées de gauche, sans qu’il soit pour autant nécessaire de discuter ces idées. La loi finira par être invalidée.


Au sortir de la guerre, après sa réélection en 1944, le régime de l’Union nationale s’en prend à un restaurateur, Frank Roncarelli. Parce qu’il défend la liberté de parole des témoins de Jéhovah, Roncarelli voit son permis d’alcool être révoqué. Roncarelli va poursuivre Duplessis jusqu’en Cour suprême. L’affaire fait jurisprudence en matière d’exercice du droit de conscience.


Sous Duplessis, les syndiqués sont volontiers présentés comme des ennemis du droit de propriété. En 1949, lors de la grève de l’amiante, la police provinciale va sévèrement tabasser les grévistes. Les incidents violents se multiplient. Des tentatives musclées ont même lieu pour évincer les locataires des maisons que loue la compagnie à ses ouvriers. Au palais de justice de Sherbrooke défilent des témoins qui attestent du mauvais parti fait aux ouvriers avec la collaboration du gouvernent.


Plusieurs ministres de Duplessis seront épinglés, à la fin des années 1950, par un scandale que Le Devoir suivra de très près. Dans la vente de l’État à l’entreprise privée d’infrastructures de gaz naturel, plusieurs ministres se sont procurés, quelques jours seulement avant la transaction, des actions qui conduisent à des gains irréguliers.


Sous la gouverne de Duplessis, la province se retrouve dans une position paradoxale où, tout en adhérant aux grands principes de la société industrielle nord-américaine de l’après-guerre, elle demeure en marge de ceux-ci en raison d’une volonté de se montrer coûte que coûte fidèle à des valeurs inspirées des traditions d’un monde rural et catholique déphasées par rapport à la réalité du Québec des années 1950.


Dans Les intellectuels et le temps de Duplessis, le politologue Léon Dion définissait la pensée politique du premier ministre comme celle d’un être autoritaire aux idées composites dont les talents comme les défauts tenaient, au fond, à son aptitude à naviguer à vue, soufflant tour à tour sur la voile du nationalisme, du libéralisme économique et du conservatisme, profitant de plus de quelques courants religieux qui le portaient plus loin.


Que retient-on de Duplessis ? En 2016, un ex-député du Parti québécois, Martin Lemay, a fait paraître un panégyrique, préfacé par le chroniqueur Mathieu Bock-Côté. Dans À la défense de Maurice Duplessis, Lemay rejette du revers de la main les critiques adressées au régime Duplessis, arguant pour les contrer que « les Québécois ont été les victimes consentantes d’une des plus grandes opérations de mystification de leur histoire et […] de l’histoire occidentale ». Depuis sa mort, Duplessis aura en tout cas fasciné bien des esprits, au-delà des boulevards peu pittoresques qui portent désormais son nom.









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