La ministre de l’Éducation, Marie Malavoy, et le ministre de l’Enseignement supérieur, Pierre Duchesne, ont annoncé un renforcement de l’enseignement de l’histoire pour la rentrée 2014. Les programmes d’histoire de l’école primaire et du secondaire seront modifiés et un nouveau cours obligatoire d’histoire nationale fera partie de la formation générale au niveau collégial. Sans nous prononcer sur la pertinence de ces changements, ni nous opposer à la mise en oeuvre de cette promesse électorale, nous tenons à manifester notre inquiétude : le renforcement d’une composante du curriculum se fait généralement au détriment d’une autre, et nous croyons que c’est en grande partie au détriment de la géographie que s’est opérée la dernière grande réforme scolaire. S’il est d’une grande importance de connaître son histoire et s’il est un devoir de l’État de bien l’enseigner, nous croyons qu’il est tout aussi crucial de bien connaître et de bien enseigner le territoire, ses enjeux et ses dynamiques.
Lors de la dernière réforme, les anciens programmes d’éveil aux sciences humaines de l’école primaire ont été remplacés par le programme Géographie, histoire et éducation à la citoyenneté, qui n’apparaît qu’au deuxième cycle. On a reproché aux contenus géographiques d’être orientés par l’histoire et d’être tournés vers le passé.
Au secondaire, les programmes des deux disciplines ont pu être refondus indépendamment, ce qui leur a permis de conserver leur autonomie respective. Le nombre d’heures dédiées à l’histoire a cependant été considérablement augmenté, ce qui a eu pour effet de diminuer le nombre d’heures dédiées à d’autres disciplines, dont la géographie. Dans les anciens programmes, la géographie et l’histoire se partageaient un nombre égal d’heures, soit 100 heures par an : la géographie était enseignée en 1re et 3e secondaire, l’histoire, en 2e et 4e secondaire. Selon le Régime pédagogique de l’éducation préscolaire, de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire (art. 23), c’est maintenant 150 heures qui sont prévues pour la géographie et 150 heures pour l’histoire et l’éducation à la citoyenneté au premier cycle du secondaire. La géographie est cependant absente du deuxième cycle, alors que 100 heures sont dédiées annuellement à l’histoire et l’éducation à la citoyenneté en 3e et 4e secondaire. La dernière réforme a donc entraîné une diminution de 50 heures d’enseignement pour la géographie, cantonnée au premier cycle du secondaire, et une augmentation de 150 heures pour l’histoire.
Par ailleurs, la notion de territoire a remplacé la notion d’espace comme notion directrice du programme de géographie, ce qui a permis d’ouvrir de nouvelles perspectives cadrant bien avec l’objectif socioconstructiviste de formation de citoyens. Le nouveau programme s’en est trouvé plus dynamique, plus concret, parce que tourné vers les enjeux des sociétés. Par ce changement, et par l’appartenance au domaine d’enseignement de l’univers social, on a cependant fait le choix de transférer une partie des contenus de géographie physique au domaine de la science et de la technologie et d’opter pour une géographie résolument sociale. Le fait que la géographie appartienne au domaine d’enseignement de l’univers social n’est pourtant pas gênant : que ce soit au secondaire, à l’université ou ailleurs, la géographie, comme science à l’interface des sciences humaines et des sciences naturelles, ne cadre jamais tout à fait dans les carcans administratifs qu’on lui impose, et c’est justement sa force.
L’homme et le territoire
Si un territoire est d’abord socialement construit, il s’inscrit toujours dans un géosystème qui peut structurer, contraindre, enrichir et expliquer les activités qui s’y déroulent ou ne s’y déroulent pas. La géographie humaine et la géographie physique sont compatibles avec la notion de territoire. Nous croyons que la séparation de la géographie humaine et de la géographie physique a eu pour conséquence d’accentuer les clivages entre la géographie enseignée à l’école, la géographie universitaire et la pratique professionnelle.
Par exemple, la géographie physique universitaire semble de plus en plus appliquée et elle tend à se rapprocher de la géographie humaine par le désir de produire des connaissances qui s’intègrent dans des outils de gestion et d’aménagement du territoire, point de rencontre des deux facettes de la géographie. Par l’entremise d’objets d’études intégrateurs, comme les risques naturels, les changements environnementaux et la protection et la valorisation des paysages, elle contribue à des enjeux actuels de nos sociétés. La géographie est une science incontournable pour répondre aux besoins grandissants d’adaptation de nos sociétés aux changements environnementaux et sociaux qui s’accélèrent.
On a reproché, avec raison, aux géographes d’avoir été absents des débats lors de la dernière grande réforme de l’enseignement. Nous espérons cette fois contribuer à remédier à cette situation. Nous rappelons l’importance de bien connaître son territoire, non seulement pour mieux l’aménager, mais aussi pour se l’approprier et s’y investir comme citoyen. La connaissance du territoire permet le développement d’un lien affectif prometteur d’une identité inclusive. Un peuple ignorant de son territoire comme de son passé y laisserait une partie de son identité. Le renforcement de l’enseignement de l’histoire ne doit pas se faire au détriment de la géographie.
* Manon Savard, Simon Bélanger, Pascal Bernatchez, Kati Brown, Thomas Buffin-Bélanger, Gwenaëlle Chaillou, Jérôme Dubé, Clermont Dugas, Bernard Hétu, Guillaume Marie, Antoine Morissette.
Quelle histoire pour la géographie?
S’il est un devoir de l’État de bien enseigner d’où l’on vient, nous croyons qu’il est tout aussi crucial de bien connaître et de bien enseigner le territoire, ses enjeux et ses dynamiques
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