Il s’écrit beaucoup de choses ces jours-ci à propos du rapatriement de la Constitution, à la suite des révélations du livre La bataille de Londres de Frédéric Bastien. Mais avions-nous besoin du point de vue de Claude Morin, qui était, de son propre vœu, sur la liste de paye des services secrets canadiens à cette époque?
Pourtant, Le Devoir lui ouvre une nouvelle fois ses pages, ce samedi 13 avril, avec un article intitulé : « Si les provinces avaient su, cela aurait changé l’Histoire… »
Dans ce texte, Morin écrit : « Je suis en mesure d’affirmer aujourd’hui que le projet et les manœuvres de Trudeau auraient complètement capoté si, dans l’état d’esprit où elles se trouvaient au printemps et à l’été 1981, les provinces avaient alors été informées, ne serait-ce que sommairement, des relations politiques incestueuses entre les deux juges et certains stratèges fédéraux. Dans cette perspective, on peut dire que la réussite ultime de l’opération fédérale est due au fait que les provinces ignoraient qu’Ottawa avait triché. Si les provinces avaient su, cela aurait changé l’Histoire! »
Sans vouloir minimiser d’aucune façon l’importance des révélations de Frédéric Bastien, on peut cependant affirmer que la révélation, si elle avait eu lieu à ce moment-là, qui aurait réellement fait « capoter les manœuvres de Trudeau », était celle du rôle joué par Claude Morin, en tant qu’agent rémunéré des services secrets canadiens, au sein du Parti Québécois et plus particulièrement dans la préparation de la position du Québec dans ces négociations constitutionnelles.
Il n’y avait pas que les juges qui parlaient à l’entourage du premier ministre Trudeau…
Voici un bref rappel du rôle joué par Claude Morin lors des négociations.
Dans « Les choses telles qu’elles étaient », Morin écrit : « Je conclus de l’expérience de 1980 que la population a rejeté l’orientation souverainiste non à cause de circonstances accidentelles, mais pour des motifs ancrés en elle. Indéracinables. » En fait, Morin avait rejeté cette option bien avant que le peuple se prononce. À l’occasion du vingtième anniversaire du référendum, il reconnaît, dans un aveu non équivoque, que « ce serait mentir que de dire qu’il n’y avait qu’une seule chose qui pouvait résulter de l’opération, soit la souveraineté totale et complète. » Il précise alors qu’un référendum gagnant aurait pu aboutir à une forme de renouvellement du fédéralisme.
Mais la mission de Morin n’était pas terminée. Après la défaite référendaire, il propose de façonner un front commun avec les provinces anglophones afin de forcer le gouvernement fédéral à négocier une nouvelle fédération canadienne qui tienne compte des demandes du Québec. Il insiste pour se faire accompagner à la conférence fédérale-provinciale par ses amis : « Je n’y vais que si je suis accompagné. Je me suis donc arrangé pour faire nommer deux de mes amis avec lesquels je m’entendais très bien : Claude Charron et Marc-André Bédard », écrit-il dans « Les choses telles qu’elles étaient ». Les qualités des deux larrons se résument à être des amis de Morin, car Charron n’est pas juriste et Bédard, qui est juriste, ne parle pas anglais ! La conférence est un échec.
En avril 1981, trois jours après la réélection du Parti québécois, Morin convainc Lévesque de s’allier à sept premiers ministres des provinces anglophones et de former avec eux le front commun des provinces qui s’oppose au rapatriement unilatéral de la constitution. Seuls l’Ontario et le Nouveau-Brunswick font alliance avec Ottawa. La position du front commun des provinces est la suivante : la constitution canadienne ne pourra être rapatriée et modifiée qu’avec l’accord des deux tiers des provinces représentant 50% de la population.
Le front commun demande également le retrait du projet de Charte des droits et libertés, lequel affaiblirait trop, selon eux, le pouvoir des provinces. Pour la première fois de son histoire, le Québec ne revendique pas le droit de veto qu’il peut exercer pour tout changement constitutionnel.
En échange de cet abandon, Morin propose que toutes les provinces, dans l'éventualité où elles ne désireraient pas appliquer certaines modifications constitutionnelles, aient un droit de retrait avec compensation financière. En cas d’échec, Morin peut toujours prétendre qu’il retournera à la position traditionnelle du Québec, celle qui inclut son droit de veto, mais par cet accord, il signifie au reste du Canada que ce droit est négociable. Dorénavant, le rapport de force du Québec réside essentiellement dans le front commun des provinces. Si celui-ci éclate, la position du Québec s’effondre.
Dans les premières heures de la conférence constitutionnelle, Lévesque lance à Trudeau le défi de consulter la population avant de s’adresser au Parlement britannique pour le rapatriement de la constitution. Trudeau relève le défi et propose de soumettre la Charte à un référendum national. Lévesque accepte convaincu qu’il gagnerait au Québec.
Mais les autres provinces ne veulent pas d’un référendum. Le front commun vacille. Trudeau triomphe. Au cours de la dernière nuit de la conférence, pendant que la délégation du Québec festoie à l’hôtel Laurier à Hull, de l’autre côté de la rivière aux Outaouais les provinces anglophones négocient avec le gouvernement fédéral.
Le lendemain de ce qui sera qualifiée de « la nuit des longs couteaux », le Québec apprend que le front commun n’existe plus. Les provinces anglophones acceptent la Charte des droits et libertés, mais avec une clause nonobstant. Une province pourra se soustraire de certains aspects de cette charte, mais le droit de retrait se fera sans compensation financière.
Le Québec perd sur tous les fronts. Il n’a plus de droit de veto ni de droit de retrait avec compensation. Trudeau pourra rapatrier la constitution et y intégrer la Charte des droits et libertés, dont une des principales caractéristiques est d’avoir été taillée sur mesure pour invalider des pans entiers de la Charte de la langue française, la loi 101.
Lévesque est dévasté, le Québec s’est fait lessivé. Comment cela a-t-il été possible? Claude Charron déclare par la suite que la délégation du Québec était « mal préparée ». Est-ce suffisant comme explication?
Jacques Parizeau avait été tenu à l’écart de la délégation, mais il était allé jeter un coup d’œil sur ce qui se passait. Le spectacle, confiera-t-il plus tard, était désolant. L’« équipe du tonnerre » de Claude Morin, avec le non-juriste Claude Charron et l’unilingue Marc-André Bédard, fonctionnait de façon tout à fait débraillé.
Plus inquiétant encore, circulaient librement au sein des membres de la délégation des documents estampillés « secret » du gouvernement fédéral sur lesquels Claude Morin avait « miraculeusement » réussi à mettre la main. La délégation était euphorique : les documents dévoilaient toute la stratégie fédérale !
Parizeau trouva que tout cela ne sentait pas bon et s’empressa de revenir au Québec pour ne pas être associé à ce qui s’y déroulait.
Quelques semaines après le désastre de la conférence constitutionnelle, Loraine Lagacé informe René Lévesque, preuves à l’appui, que Claude Morin est un agent rémunéré des services secrets canadiens. Lévesque accuse le coup et, selon toute vraisemblance, est victime à ce moment-là d’un léger infarctus. Il exige de Morin sa démission; celui-ci obtempère.
Extrait de L’autre histoire de l’indépendance, de Pierre Vallières à Charles Gagnon, Éditions Trois-Pistoles, 2003
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé