Félix Leclerc aurait eu 100 ans le 2 août dernier. Les activités entourant les célébrations de cet anniversaire montrent un intérêt toujours soutenu pour son oeuvre : désignation comme personnage historique du Québec en février dernier, ouverture de la Maison Félix-Leclerc de Vaudreuil en juin, lancement prochain d’un ouvrage signé par sa fille Nathalie, sans oublier les nombreux reportages médiatiques et les créations artistiques. À ceux qui craignent que Leclerc s’efface peu à peu dans la mémoire collective, ces exemples font la preuve d’une situation inverse, avec toute l’admiration qu’un tel phénomène suppose.
Au-delà des célébrations se cache une carrière artistique qui mérite d’être mieux comprise, ne serait-ce que pour bien situer l’apport de Leclerc au développement de la chanson québécoise et de la culture francophone. Car son oeuvre reste trop souvent transmise à travers un répertoire limité, parfois sous forme de cliché. Mieux connaître cette oeuvre, c’est en saisir toute la richesse artistique et la foncière actualité. C’est sonder un répertoire de plus de 160 chansons (dont 14 reprises), où Le p’tit bonheur, Moi, mes souliers et L’alouette en colère ne représentent que la pointe de l’iceberg. De même, c’est prendre en considération l’ampleur du legs littéraire de Leclerc, ses romans et ses calepins, son théâtre et ses contes. L’oeuvre recèle encore aujourd’hui des pièces de théâtre inédites, dont Maluron (1947) et Les temples (1966).
Américanité
Si la contribution de Leclerc à la naissance des chansonniers à guitare est largement reconnue, son apport musical reste encore à être précisé. À une époque où le piano était le roi heureux des salons, très peu de personnes savent que Leclerc fut un pionnier de l’appropriation à la guitare des musiques populaires américaines de jazz, de blues et de country. Cette influence est manifeste dès la chanson Le Québecquois (1943), et encore dans Le train du Nord (1946) ou MacPherson (1948). Celui qu’on cherche trop souvent à restreindre à l’espace francophone par sa poésie a donc évolué dans un métissage musical qui incorporait plusieurs influences étrangères. Le chansonnier en tirait des ressources expressives qui contribuent à la portée des propos qu’il soutenait.
L’oeuvre chansonnière est en outre traversée dès le début par une description contemplative de la nature, de Notre sentier (1934) et Hymne au printemps (1949) jusqu’au Tour de l’île (1975). Plusieurs de ses chansons défendent la faune et la flore à préserver, un patrimoine collectif dont Leclerc affirme déjà la possession dans la chanson Tu te lèveras tôt (1958). D’autres chansons méconnues, telles que Les Rogations (1961) et Richesses (1969), sont d’une criante actualité par rapport aux débats contemporains sur l’exploitation des ressources naturelles.
L’oeuvre nécessite à notre avis un dépassement de l’image figée d’un Leclerc qui devient subitement engagé en écrivant L’alouette en colère, au lendemain de la Crise d’octobre. Les idées qui traversent son oeuvre ont toujours véhiculé au second degré des propos de nature sociale et politique, tout en prenant position sur des enjeux de son époque. Dès la chanson Contumace (1944), Leclerc se fait un devoir de défendre l’apport de l’art au sein de la société. En préface à la pièce de théâtre L’auberge des morts subites (1962), Leclerc écrit : « Moi, en plein Québec, je veux perdre l’habitude de m’excuser d’être Canadien français et de demander pardon à mon voisin d’être catholique. » Comme il ne cesse de le répéter, en se basant sur son expérience à l’étranger, les artistes constituent une richesse à part entière en contribuant à la diffusion du bien collectif. C’est dire que ses chansons et pièces de théâtre, à travers leur symbolisme et leur prise de position, portent un engagement politique soutenu, amplifié au cours des années 1970.
Intemporel
Ce sont là les raisons pour lesquelles nous pensons qu’il importe toujours de lire et d’écouter l’ensemble de l’oeuvre de Leclerc. Non seulement parce que son apport reste important dans la chanson québécoise et la culture francophone, mais aussi pour toutes les composantes qui sont trop souvent oubliées, comme son américanité, sa ferveur écologique, son patriotisme canadien-français (précurseur de l’indépendantisme québécois), son engagement pour l’art libre, entre autres.
Osons dire, à l’encontre parfois d’une image fixée par le temps, que son oeuvre reste d’une troublante actualité parce qu’elle aborde des sujets universels et intemporels, sans compter qu’elle propose une synthèse originale des apports étrangers auxquels Leclerc a été exposé. Les artistes qui s’approprient à l’heure actuelle ses chansons sous forme de reprise, par exemple les Louis-Jean Cormier, Fred Pellerin et Marie-Élaine Thibert, montrent le pouvoir évocateur de son art et la possibilité d’une écoute renouvelée.
Enfin, à titre de spécialistes de la chanson québécoise, il nous importe aussi de rappeler que le travail à réaliser reste encore immense pour en arriver à une connaissance plus complète du littéraire et du musicien Leclerc. Trop de faits historiques restent encore inexplorés, trop d’oeuvres peu connues ou à redécouvrir. Cette année de centenaire est l’occasion de franchir un pas important dans cette direction.
*Les deux auteurs sont coorganisateurs du colloque « Pieds nus dans l’aube… du XXIe siècle : l’oeuvre de Félix Leclerc, héritage et perspectives », qui se tiendra au Département de musique de l’UQAM du jeudi 25 au dimanche 28 septembre 2014.
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