Sept ans de pouvoir

Il n’est pas plus indépendant de son financement. M. Charest est financé et soutenu par des groupes d’intérêts sans cesse en mode prédation qui tentent de manière interposée de faire régner leur ordre et d’accroître ce qu’ils extraient du bien commun.

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Après sept ans de pouvoir, le premier ministre Charest a finalement annoncé un premier programme politique de droite. Depuis la mise en scène du monstrueux échec de la Caisse de dépôts et placements du Québec (la « Caisse »), la dénonciation à répétition des innombrables problèmes du système de santé et du système d’éducation jusqu’aux problèmes de financement des universités, les libéraux ont organisé leur virage en s’appuyant tantôt sur les prises de parole bien organisées des « lucides » – incluant au passage quelques souverainistes repentis –, tantôt sur les rapports de clubs d’économistes reliés au ministre des Finances du Québec, Raymond Bachand. La privatisation de la santé et de l’éducation ne sont qu’à un pas que certains, dont la faculté de gestion de l’université McGill, en décidant de s’affranchir du gouvernement du Québec, ont déjà fait.
Depuis sept ans, on ne comptait pourtant déjà plus les coups filés des trois gouvernements Charest : l’épouvantable privatisation de l’éolien; l’annonce de la disparition de 40 milliards $ par la Caisse; les pertes de 200 à 250 millions $ par année de la Société générale de financement (SGF), qui s’accumulent dans le silence le plus complet; le laisser-aller de l’industrie minière, qui touche des milliards de profit sans impôts ni réparations pour la dégradation des rivières et des sols; l’assouplissement des normes environnementales décrété pour faciliter toutes sortes de projets d’ingénierie, dont la ruineuse et inéquitable construction d’un centre de santé universitaire anglais à Montréal; l’injustifiable projet de terminal méthanier Rabaska de Lévis, l’inqualifiable programme des petites centrales hydro-électriques; le prolongement en mode PPP de l’autoroute 25 au-dessus de la Rivière-des-Prairies. Les gouvernements Charest n’ont fait que servir les groupes d’intérêts qui n’ont pas manqué de les payer rubis sur l’ongle en retour.
La tentative de virage à droite du budget 2010 illustre également les liens qui existent entre les fédéralistes québécois, les élites économiques et financières du Canada et le pouvoir fédéral. Ayant à faire face aux besoins de sa population, le Québec est entré de force dans le projet politique du Canada anglais. Ce projet de société n’est autre que l’imposition d’un État provincial minimaliste qui, dans l’indigence financière, en appelle à l’intervention salvatrice du gouvernement fédéral. Ainsi, le premier ministre Charest s’est fait l’apôtre de la démission face à Ottawa plutôt que de réclamer le respect de ses compétences et les fonds qui vont avec. En concordance avec la politique de collaboration de l’ex-ministre Benoît Pelletier, les gouvernements libéraux ont avalisé la pseudo-reconnaissance de la nation québécoise, ingurgité le ravalement du rôle international du Québec, obéi sans coup férir aux normes fédérales dans les champs de compétence provinciale. Les gouvernements Charest se sont écrasés face à un gouvernement fédéral pourtant très faible sur le plan démocratique. Ils n’ont pas, par exemple, fait payer le prix pour l’absence de compensation pour l’harmonisation de sa taxe de vente ou pour l’absence d’aide pour les industries forestière et manufacturière. Le gouvernement Charest s’est aussi montré prêt à banaliser le recul du Québec au Parlement fédéral, avec l’introduction de 30 nouvelles circonscriptions fédérales ailleurs au Canada, au lieu de réclamer de nouveaux arrangements constitutionnels pour assurer au Québec une sécurité politique et économique minimale. Tout cela a préparé le terrain à la grogne populaire suscitée par l’annonce des taxes régressives du budget 2010, d’une ampleur sans précédent depuis cinquante ans.
Après sept ans de pouvoir, était-il nécessaire au Parti libéral du Québec (PLQ) d’adopter ce virage vers une droite encore plus à droite ? À la présente distance des futures élections, il aurait pu lui être préférable d’attendre sans agir afin de préserver les chances de réélection. En réalité, il ne s’agit pas d’un nécessaire virage, mais plutôt d’une occasion d’affaires : parce que le Parti québécois (PQ) n’arrive pas à mobiliser, que l’Action démocratique du Québec (ADQ) n’en finit plus de se désagréger et que l’état de santé financière du PLQ est on ne peut plus solide, on peut commencer à croire aux probabilités de quatrième victoire électorale du PLQ aux prochaines élections.
Le printemps des découvertes; un premier ministre à l’écoute
Ce qui est remarquable, ce sont les discours des uns et des autres opposants au gouvernement Charest. Beaucoup découvrent seulement aujourd’hui, avec le budget de 2010, que ce gouvernement est prêt à aller très loin, jusqu’à briser les plus solides consensus sociaux québécois pour favoriser ses amis en pigeant dans la caisse commune. Pour ces opposants, la nouvelle mobilisation trouve sa légitimité du côté des nouveaux grands prêtres des temps modernes, qu’on appelle les «économistes de gauche». De nouvelles études démontrent qu’une gestion libérale des finances publiques est plus susceptible d’entraîner la pauvreté des masses qu’une gestion social-démocrate. Mais alors… Pourquoi ne pas avoir déniché ces auteurs plus tôt ? Pourquoi les Québécois n’ont-ils pas eux-mêmes réalisé de telles études, lesquelles leur auraient évidemment servi dans l’orientation du gouvernement du Québec et même… dans celui du Canada ? Les Québécois n’ont malheureusement pas cette liberté.
Ces économistes rappellent que les questions politiques sont les plus importantes. Les économistes, si experts soient-ils, procèdent depuis des positions politiques. Ils font des choix de carrière, et sont utilisés en conséquence par les élus et les médias. Aucun économiste n’accède à une quelconque vérité première. En outre, notre premier ministre, qui se les paye, est lui aussi payé par son parti, c’est-à-dire par les amis du régime qu’il représente. Il n’est pas plus indépendant de son financement. M. Charest est financé et soutenu par des groupes d’intérêts sans cesse en mode prédation qui tentent de manière interposée de faire régner leur ordre et d’accroître ce qu’ils extraient du bien commun.
Avec éclat, cet ordre s’est manifesté lors du passage, le 9 mars 2009, de l’ex-président de la Caisse Henri-Paul Rousseau devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM), dont la présidente était alors Hélène Desmarais, femme de Paul Desmarais Jr, fils du richissime et anti-québécois Paul Desmarais, président de Power Corporation. M. Rousseau est le gestionnaire en chef de la Caisse qui portait la responsabilité de l’énorme catastrophe. Il avait démissionné de la Caisse pour aller travailler chez Power Corporation, touchant au passage une «généreuse» prime de départ de 380 000 $ et se faisant accueillir chez Power, en sus de son salaire, par une option d'achats de 800 000 actions. Lors de son passage à la CCMM, M. Rousseau s’était fait applaudir à tout rompre par un auditoire trop heureux d’assister à cette gifle infligée à l’opinion publique. Power Corporation n’est qu’un groupe d’intérêts de type rhodésien parmi d’autres qui sont prêts à tout pour réaliser leurs fantasmes financiers, quitte à précipiter le Québec dans le vide.
Des anomalies fondamentales… à réexpliquer
Après sept ans de pouvoir, il n’est pas normal que le gouvernement Charest demeure aussi puissant à la tête de l’État québécois. Élu en 2003, puis réélu en 2007 et en 2008, il est possible qu’il le soit à nouveau. En défiant ainsi toutes les lois de l’alternance, les libéraux sont en train de réécrire la politique québécoise.
Pourtant, le Parti libéral serait le parti d’élites bien minoritaires mais néanmoins le parti habituel du pouvoir au Québec? Que les spécialistes et autres commentateurs ignorent volontairement d’étudier cette question renseigne sur l’espace de liberté qui règne au Québec. Quant à la réponse, elle se trouve dans l’électorat : les électeurs libéraux se trouvent parmi les groupes d’intérêts précédemment mentionnés, mais aussi parmi la génération née avant 1945, dont le poids est en diminution constante et, bien sûr, chez les non-francophones. Après analyse, ce dernier facteur, en forte croissance due à l’augmentation de l’immigration, est le plus important. Comme lors des élections municipales de novembre dernier, le report au pouvoir de Gérald Tremblay à la mairie de Montréal s’est fait essentiellement grâce au vote libéral de l’élite économique et financière anglo-canadienne et du vote non-francophone. En 2003, 2007 et 2008, mieux valait des libéraux au pouvoir que des francophones souverainistes, que les uns et les autres confondent allègrement avec des nationalistes, c’est-à-dire des citoyens engagés envers la communauté politique québécoise. Cela est valable autant pour la scène politique provinciale que pour la scène politique fédérale.
Les francophones sont divisés électoralement. Rien de plus normal pour une «majorité». Les non-francophones votent en bloc; compte tenu du mode de scrutin actuel, leur vote est de loin beaucoup plus payant que celui des francophones. Ainsi cautionnée, l’absence d’intégration politique leur est caractéristique. L’absorption des valeurs démocratiques occidentales prend conséquemment des années. Tant qu’il n’existe pas de citoyenneté québécoise et que l’appel des libéraux aux masses politisées loin du Québec français est payant, il existe un déséquilibre dans la valeur des votes des uns et des autres. En outre, grâce à la médiation du mode de scrutin majoritaire, le poids électoral des francophones est au mieux divisé par six. Avec 80 % de la population, leur poids électoral est légèrement inférieur à celui des non-francophones. En d’autres mots, dans les meilleures situations, il faut à Montréal environ 80 % de francophones pour faire élire un candidat nationaliste, pas nécessairement souverainiste, et 90 % en dehors de la région métropolitaine de Montréal. Quatre fois plus de francophones à Montréal, neuf fois plus en dehors de Montréal. Dans les pires situations lors des élections provinciales, une proportion de 35 % à 40 % des circonscriptions sont gagnées d’avance pour le Parti libéral, même si le poids des non-francophones ne fait que 15 % de l’électorat.
La RP, le PQ et QS
La solution de rechange est la représentation proportionnelle (RP). Elle rend possible une représentation conforme au poids démographique. Elle est donc hostile aux gouvernements des groupes d’intérêts. Elle permet l’introduction de gouvernements de coalition, fonctionnant à même une plateforme négociée entre partis, réalisant un programme faisant place à des mesures centrées autour des intérêts de la communauté politique majoritaire. Elle écarte les points de vue extrémistes, et engage l’État en direction d’une refonte des relations intercommunautaires dans tous les secteurs de la vie politique, de même qu’une refonte du régime médiatique et du financement des partis politiques. La RP permet de fractionner le vote des non-francophones entre partisans du bien commun et partisans des groupes d’intérêts. Elle fait le lien entre nationalisme et sociale-démocratie et prépare la voie pour l’indépendance. Elle est vitale pour les francophones. Elle seule peut sortir le peuple de son doute, de son incapacité et de son abstention chroniques. Elle seule rend les francophones capables de s’emparer du pouvoir et de s’offrir des choix compatibles avec leur nature propre, mais incompatibles avec l’« English Rule ».
À tout parti qui en a peur, on ne peut que répondre que c’est parce qu’il est lui-même parti de l’establishment, un des exploitants du statu quo. Côté PQ, il y a longtemps qu’il n’est plus le parti des années soixante débordant d’énergies qui dépassait le fondateur lui-même. Tant que les Fortin et Facal de ce monde seront les conseillers du chef, il y ait bien peu à attendre de ce côté. Quant à Québec solidaire (QS), ses positions apolitiques ne cessent d’illustrer le hiatus qui existe entre les sociaux et les politiques. Malheureusement, en attendant la coalition d’opposition qui sera suffisamment forte pour terrasser ou, à la limite, faire peur aux libéraux, le Québec a tout ce qu’il faut pour virer vers l’extrême droite.


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