Signes religieux: un parti, deux points de vue chez Québec solidaire

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Effondrement de la pensée souverainiste : ce sont les anciens d'ON qui défendent le multiculturalisme canadien...

POINT DE VUE / La députée de Québec solidaire dans Mercier Ruba Ghazal et son collègue de Jean-Lesage Sol Zanetti ont aujourd’hui choisi de partager leur réflexion sur un sujet sensible : les signes religieux. Voici leurs lettres ouvertes respectives.


Pour ouvrir une nouvelle page sur la laïcité au Québec


Je suis Québécoise, enfant de la loi 101, née au Liban au sein d’une famille palestinienne et musulmane. Des femmes de ma famille, dont ma mère, portent le voile. Comme beaucoup d’enfants d’immigrants, j’ai vécu des déchirements entre mes valeurs familiales et celles de ma société d’accueil. C’est cette confrontation, douloureuse et enrichissante, qui a forgé mon identité. Une identité québécoise qui m’a amenée à embrasser le projet d’émancipation nationale du Québec et à comprendre certains malaises face au fait religieux. D’un autre côté, je me sens personnellement affectée par les insultes lancées aux musulmans. Quand je pense aux jeunes immigrantes et immigrants arrivés au Québec ces dernières années qui découvrent que les injures contre leur culture d’origine sont fréquentes, je suis inquiète. Pourront-ils un jour s’identifier entièrement à leur société d’accueil?


Le gouvernement caquiste déposera bientôt un projet de loi sur la laïcité et surtout sur l’interdiction du port de signes religieux par certains employés de l’État. Si l’on se rappelle les dérapages survenus au moment des débats sur la Charte des valeurs péquiste, on doit s’inquiéter. Des gouvernements ont fait preuve d’irresponsabilité par le passé. Il faut apprendre de nos erreurs.


Déplorons d’abord que le débat sur la laïcité se fasse toujours par l’étroite lorgnette des signes religieux, ce qui expose sous une lumière crue et sans nuance des minorités fragilisées, particulièrement les femmes portant le foulard. Ce raccourci oblige tout de même les membres de Québec solidaire à prendre position précisément sur cette question lors d’un conseil national à la fin mars. Parce que je suis préoccupée de revivre un climat malsain, parce que nous avons le devoir d’atténuer les tensions et parce que j’aime profondément le Québec, je désire ajouter ma contribution à la discussion.


Il existe autant de modèles de laïcité que de sociétés et le Québec doit façonner le sien. Le rapport Bouchard-Taylor proposait une laïcité inclusive à laquelle Québec solidaire adhère. Cette laïcité s’inspire de l’interculturalisme, un modèle d’intégration qui fait appel à la recherche d’équilibres entre la majorité «canadienne-française» et les minorités. Une seule de ses recommandations fait référence à la prohibition du port de signes religieux pour les employés disposant d’une autorité coercitive. Ces employés exercent un pouvoir extraordinaire, tels qu’arrêter des personnes et même ouvrir le feu, emprisonner, juger. Ils ont le pouvoir de changer radicalement la vie des gens! Ils sont le visage répressif de l’État. On leur impose un uniforme. Leur neutralité doit être intégrale en fait et en apparence. Québec solidaire est aujourd’hui le seul parti politique à défendre cette position.


Pourquoi je défends le compromis Bouchard-Taylor?


Je refuse de vivre dans une société où seuls les droits individuels comptent. Lorsque mes parents sont arrivés ici, ils s’attendaient à vivre dans une société différente de la leur, à être témoins de coutumes autres et à se conformer à de nouvelles règles. Contrairement à ce que les tenants du multiculturalisme disent, les immigrants acceptent que la nation québécoise puisse définir la vie en société comme elle l’entend, même si cela peut parfois aller à l’encontre de certains droits individuels. Pensons à la Charte de la langue française!


L’interdiction des signes religieux peut empêcher un petit nombre de personnes d’accéder à certains postes ou les amener à renoncer à les porter pour y accéder. Cependant, les raisons alléguées plus haut le justifient. Par ailleurs, si le Québec n’imposait aucune restriction, cela ne mettrait pas un terme aux discriminations vécues par les minorités racisées. Pire, cela donnerait l’illusion d’une société vraiment inclusive alors que des problèmes et des tensions demeurent entre la majorité et des minorités. Il est utile de rappeler que le PLQ, qui est contre toute interdiction, a abandonné en 2017 la tenue d’une commission sur la discrimination systémique. Seul Québec solidaire l’appuyait.


Nos efforts devront porter, entre autres, sur la lutte contre le profilage racial, sur une meilleure représentativité des minorités racisées dans tous les secteurs de la société et sur la réduction de leur taux de chômage, bien supérieur à la moyenne québécoise. Comme me le disait une amie d’origine palestinienne: ce n’est pas le non-respect d’un droit fondamental qui me dérange dans le compromis Bouchard-Taylor. C’est le message que cela envoie dans un contexte où les efforts pour contrer les discriminations sont insuffisants.


Pourquoi je suis contre l’interdiction pour les enseignants.es?


Certains plaideront que les enseignants.es possèdent une autorité morale et sont des modèles significatifs pour les jeunes. On est cependant très loin du pouvoir coercitif d’un juge ou d’un policier. Avant d’immigrer au Québec, je fréquentais une école de sœurs chrétiennes du Moyen-Orient. Cela ne m’a pas empêchée de devenir une femme musulmane non pratiquante et critique.


Les jeunes ne vivent pas sous une cloche de verre. Ils sont influencés par des personnes diverses, souvent différentes. Leurs enseignants.es proviennent de divers milieux. Il n’est pas nécessaire de proposer aux jeunes un modèle unique! L’important est que tous les professionnels de l’enseignement partagent et enseignent les valeurs fondamentales incluses dans la Charte québécoise des droits et libertés.


La voix du compromis


Aussi imparfait qu’il soit, le compromis Bouchard-Taylor est une voix de passage qui a le mérite de maintenir un dialogue social ouvert au lieu de nous faire sombrer dans des positions polarisantes. Je nous invite collectivement à suivre le conseil de Nelson Mandela pour «que vos choix reflètent vos espoirs et non vos peurs». Je suis persuadée que cette voix de la sagesse sera portée par Québec solidaire, afin de nous prémunir contre les voix de la discorde. Et je me rallierai au choix des membres, quel qu’il soit, parce qu’il est temps d’ouvrir une nouvelle page sur cette question au Québec. Rappelons que des choix autrement plus déterminants pour notre avenir nous attendent.


Ruba Ghazal


Députée de Mercier pour Québec solidaire




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