QUÉBEC - «La partisanerie et la politique ont joué un rôle déterminant dans la nomination de trois juges», a déclaré Marc Bellemare devant la commission Bastarache mardi après-midi, bien que cette affirmation contredise ce qu'il avait dit au journaliste Norman Delisle en 2004, lors d’une entrevue que l’ancien ministre de la Justice lui avait accordée.
Dans cet article du 6 janvier 2004, Me Bellemare avait déclaré que l’appartenance politique n’entrait absolument pas en ligne de compte dans le processus de sélection des juges. Toutefois, la commission a appris mardi matin que le premier ministre avait demandé à son ministre de la justice en 2003 de nommer trois juges que le collecteur de fonds du Parti libéral, Franco Fava favorisait.
«Considérant ce que vous nous avez dit plus tôt aujourd’hui, peut-on comprendre que vous essayiez de faire croire aux gens que le système fonctionnait, et qu’en fait, vous ne décriviez pas ce que vous faisiez?», lui a demandé le procureur en chef de la commission Bastarache, Giuseppe Battista.
«Il aurait fallu que je démissionne pour dire ce qui en était au journaliste!», a répliqué le témoin.
Pressions des collecteurs de fonds
Lors de son témoignage à la Commission Bastarache mardi matin, Marc Bellemare a affirmé que le premier ministre lui a clairement demandé de céder aux pressions du collecteur de fonds libéral Franco Fava et de nommer les juges Michel Simard et Marc Bisson en 2003.
«Franco est un ami personnel, un collecteur influent du parti, on a besoin de ce gars-là. Il faut l’écouter, c’est un professionnel du financement, si Franco veut Bisson et Simard tu dois les nommer», aurait dit Jean Charest à son ministre de la justice Marc Bellemare, le 2 septembre 2003.
«Je lui ai dit que c’était totalement disconvenant», a déclaré L'ancien ministre de la Justice Marc Bellemare en deuxième partie de son témoignage.
Très décontracté, l'ex-ministre a expliqué qu'il avait pourtant jeté son dévolu sur un autre, Claude Chicoine, plus jeune que Marc Bisson. Selon lui, provenant de la région de Montréal, M. Chicoine aurait été un choix beaucoup plus logique, puisque le poste qui devait être comblé se trouvait à Longueuil. Marc Bisson, fils d'un organisateur libéral, était à cette époque procureur de la Couronne en Outaouais.
Marc Bellemare affirme qu'en plus de Franco Fava, un influent collecteur libéral, l'organisateur libéral Charles Rondeau, dans une moindre mesure, a fait des pressions auprès de lui pour nommer Michel Simard.
Fava en menait très large chez les libéraux, ayant très souvent des rencontres avec la responsable des nominations au bureau de Jean Charest, Chantal Landry, insiste Marc Bellemare. «Il était plogué pas à peu près».
«Devant l'insistance de Fava et Rondeau, j'ai été embarrassé», insiste l'ex-ministre, qui a donc réclamé un entretien avec le premier ministre pour lui en faire part. «Je lui ai dit: qui nomme les juges, Franco Fava ou moi?»
Pourquoi avoir finalement accepté de nommer ces personnes alors qu'il avait en tête d'autres candidats : «Le premier ministre, c'est le pape, on lui doit tout», a rétorqué Marc Bellemare. À ce moment-là, il admet qu'il a pensé démissionner, mais qu'il ne l'a pas fait pour que les réformes du système judiciaire qu'il avait entamées soient mises en oeuvre, ce qui n'a toutefois pas été le cas.
Nomination de Line Gosselin-Després
En plus de Franco Fava, Charles Rondeau, Michel Simard et Marc Bisson, les allégations de Marc Bellemare visent également Guy Bisson, organisateur libéral et Line Gosselin-Després, juge à la chambre de la jeunesse.
Me Gosselin-Després, qui a un lien de parenté avec le ministre du Travail de l’époque, Michel Després, faisait partie des candidats que Franco Fava favorisait et que le premier ministre voulait que Marc Bellemare nomme, ce qu’il a fait le 24 mars 2004. Le ministre Després aurait également exercé des pressions sur Me Bellemare à ce sujet.
Coup d’envoi de la commission
Les audiences de cette commission d'enquête sur la nomination des juges ont commencé mardi matin à Québec. Me Bellemare est le premier témoin interrogé.
Dès son arrivée, Me Bellemare a assuré qu'il avait bel et bien l'intention «de témoigner au grand jour pour que tous les citoyens du Québec puissent juger du sérieux et de la gravité» des affirmations qu'il a faites au cours des derniers mois.
«J'espère que cette commission pourra me donner cette opportunité aujourd'hui», a-t-il ajouté, souriant, devant un attroupement de journalistes. Il n'y avait toutefois pas que des représentants des médias qui l'attendaient devant le 1091 Grande-Allée à Québec, mais aussi une dizaine de personnes arborant un déguisement de clowns.
M. Bellemare a tenu à rappeler qu'il a exprimé de sérieuses réserves au sujet de la Commission Bastarache, avant d'accepter de s'y présenter. «Les sondages publiés lundi indiquent qu'une majorité de Québécois partagent les mêmes réserves. C'est pour quoi je suis ici ce matin», a déclaré l'ex-ministre.
Discours d’ouverture
En ouverture, le Commissaire Michel Bastarache a expliqué le mandat de la commission se divise en deux parties.
Premièrement, examiner les allégations de Me Bellemare, selon lesquelles la nomination des juges permet l’intervention de tierces personnes. «Il n'y a pas d'accusés ici. Je suis ici pour rechercher la vérité à l'égard des allégations de M. Bellemare», a-t-il dit.
Deuxièmement, déterminer à l’aide de témoignages d’experts et de mémoires déposés devant la commission, si le processus en place doit être modifié pour assurer son efficacité et son intégrité. La période visée pour cet examen se situe entre 2000 à 2010.
«Nous voulons renforcer la confiance du public dans un système intègre et indépendant», a expliqué l’honorable Michel Bastarache avant de céder la parole au procureur en chef de la commission, Me Giuseppe Battista.
Me Battista a présenté les groupes de témoins. Tout d'abord, Marc Bellemare, suivi de six autres groupes ayant diverses implications dans le processus de nomination, dont tous les ex-ministres de la Justice, ainsi que de nombreux fonctionnaires et membres du Parti libéral du Québec. Il a également présenté les trois catégories de documents qui seront présentés devant la commission.
«Les avocats de la commission ont comme principale responsabilité de représenter l’intérêt public, ils ne représentent aucun intérêt ou point de vue particulier», a expliqué le procureur. Quatre avocats interrogeront les témoins au cours des audiences.
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