Souffler sur les cendres de l’enseignement religieux

Par Pierre Cardinal

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor

En juin 2005 était adoptée la loi 95 éliminant à toutes fins pratiques l’enseignement religieux des écoles du Québec. Très peu de voix se sont élevées depuis pour remettre en question cette politique. Le cardinal Marc Ouellet a tenté peu avant Noël de réactiver le débat à la faveur de la controverse entourant les accommodements raisonnables. Il revenait à la charge la semaine dernière réclamant la suspension du processus devant mener au retrait définitif, jusqu’à ce que soient connues les conclusions de la commission Bouchard-Taylor.
Le retrait de la religion à l’école s’appuie notamment sur deux principes: la séparation de l’Église et de l’État, et l’appartenance des convictions religieuses à la sphère privée. Or, les parents se sentent dépourvus lorsqu’ils veulent parler de Dieu à leurs enfants. Ils choisissent encore l’enseignement religieux dans une proportion de 80% à l’école primaire. Mais il leur est encore plus difficile de soulever des objections face à ces deux principes, surtout quand ils sont véhiculés par une certaine élite sociale et repris parfois à l’intérieur même de l’Église.
Une identité à plusieurs niveaux
Puisque c’est la liberté de choix des parents qui est menacée, il importe de regarder le problème sous l’angle des identités. Les matières qu’on enseigne à l’école appartiennent à des niveaux identitaires différents. Par exemple, la langue française relève au Québec de l’identité collective alors que les mathématiques et les sciences sont des disciplines universelles. Pourtant, il n’y a pas d’incohérence à ce qu’elles cohabitent dans le même établissement scolaire. L’appartenance religieuse relève de l’identité communautaire et participe, au même titre que les autres connaissances, de la richesse identitaire qui est transmise aux enfants dans une école de quartier.
Il n’y a pas si longtemps encore, l’enseignement de la religion dans les écoles allait de soi parce que les identités collective et communautaire des canadiens-français se confondaient. Aujourd’hui, ce sont les conceptions laïques de l’État et l’absence du religieux dans nos vies qui coïncident, reprenant ainsi le même comportement grégaire, sans accorder d’espace pour une identité communautaire différente de l’identité collective.
Les enfants de la République
Le nouveau programme d’éthique et de culture religieuse cherche très tôt à faire d’un enfant un citoyen qui entre en dialogue avec d’autres religions, tout en le privant d’un accès commode à la sienne. L’État doit effectivement promouvoir la tolérance entre les citoyens qui composent notre société. Mais il renonce à son impartialité s’il outrepasse ce rôle et que son champ d’action bascule du côté des interventions qui limitent sérieusement la transmission de caractères identitaires. Il favorise ainsi le développement d’une certaine conception de la vie, au détriment d’une vision religieuse bien intégrée.
Dans certains cas, il peut être souhaitable que l’État rompe avec sa neutralité, pour préserver la langue française par exemple. Il s’ingère alors dans les décisions parentales et c’est à juste titre que l’on parle aujourd’hui des "enfants de la loi 101". Leur langue d’usage est le fruit de mesures restrictives pour défendre un aspect important de l’identité collective. Le problème avec la loi 95, c’est qu’elle n’était pas sensée avoir pour but de faire de la tiédeur religieuse une caractéristique identitaire de la société québécoise...
L’État montre une tendance bien naturelle à faire prévaloir le niveau identitaire qu’il représente. Mais l’appartenance religieuse relève plutôt de l’identité communautaire, par opposition à une conception communiste de l’État.
La laïcisation complète des écoles publiques avait été retardée par la méfiance que l’on entretient ici envers les concepts idéologiques. Ironiquement, le retrait de l’enseignement religieux coïncidera l’an prochain avec le 400e anniversaire de la fondation de la ville de Québec. Au lieu d’importer sur le tard un modèle déjà dépassé, l’occasion nous est offerte de remettre en question un régime qui nuit délibérément à la transmission de la foi, pour lui préférer une formule inspirée de l’ancien, qui préservait un héritage religieux dont on mésestime la valeur aujourd’hui.
Quelques chiffres:
- En 2003-2004, les parents ont choisi le cours d’enseignement religieux dans une proportion de 80.1% au primaire.
- 62.8% des personnes nées à l’étranger sont catholiques. C’est le groupe qui compte de loin la plus grande diversité ethnique.
Pierre Cardinal
Ingénieur et étudiant à la maîtrise en théologie

Université Laval, Québec


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