Le péquisme analysé

Sur l'indépendance, le populisme, et la rectitude politique

Grand entretien avec le philosophe Richard Gervais

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Une analyse de l'impuissance péquiste et de la naïveté des souverainistes


Richard Gervais est philosophe. Auteur de Dialectique et totalitarisme (Hurtubise, 1991), un maître ouvrage pour comprendre un des principaux chapitres de l’histoire du XXème siècle, il a aussi consacré sa réflexion à la question nationale québécoise, pour laquelle il s’est engagé à la fois comme intellectuel et comme militant. Sa réflexion tranche clairement avec le discours souverainiste dominant des dernières décennies, dont l’échec ne fait plus de doute aujourd’hui. À l’heure des bilans, il est indispensable de sortir la réflexion nationale de ses catégories habituelles. C’est dans cet esprit que je l’ai interviewé, dans le cadre des grandes entrevues qu’il m’arrive de mener sur ce blogue. On lira avec plaisir, et souvent jubilation, ses réponses qui permettent de voir la réalité à partir d’une perspective trop souvent censurée, ou du moins, étouffée dans un Québec où l'espace du pensable ne cesse de se rétrécir. Nous sommes ici devant un esprit libre qui ne se prosterne pas devant les codes de l’idéologie dominante. Que l’on soit d’accord ou non avec ses propos, ils ont l’immense vertu de nous sortir du ronron idéologique du souverainisme officiel et professionnel en plus de nous offrir une réflexion aussi puissante que vigoureuse sur les grands thèmes de la politique contemporaine, qu’il s’agisse du nouveau clivage entre populistes et mondialistes ou sur les dangers de la rectitude politique.


Bonne lecture !



***


1] Ceux qui vous lisent le savent, vous avez toujours défendu une vision particulièrement affirmée de l’indépendantisme québécois, au point même de contester l’obligation du passage référendaire que se reconnaît le Parti Québécois depuis 1974. Le Québec semble aujourd’hui plus éloigné que jamais de l’indépendance. L’idéal demeure mais il ne semble plus représenter un projet politique susceptible de se réaliser dans un horizon historique raisonnable. Quel jugement portez-vous sur l’état actuel du combat indépendantiste?


Avant de parler de l’état actuel du combat pour l’indépendance, je voudrais dire un mot de ma conception de l’indépendantisme, puisque vous y faites allusion vous-même en la qualifiant de « particulièrement affirmée ». Il y a là un point vraiment crucial et qui, de toute façon, permet de mieux jauger l’état actuel du mouvement.


Ma position ne devrait pas surprendre.


Mon opposition à la « stratégie référendaire » repose sur des raisons fortes que j’ai, comme vous le savez, exposées dans un certain nombre d’articles parus au cours des vingt ou quinze dernières années . Ces raisons, tant pratiques que théoriques, historiques que normatives, sont multiples, mais j’en résumerais aujourd’hui le principal en disant que le défaut majeur, rédhibitoire, de ce recours référendaire est le consentement à l’incapacité politique de nos représentants à l’Assemblée nationale.


Si ma conception de l’indépendantisme québécois peut en effet paraître « particulièrement affirmée », c’est à cause d’un contexte historique particulier. Car soutenir, comme je le fais, que l’accession à l’indépendance, qui est la transformation de la « province de Québec » en État pleinement souverain, se fait au moyen d’un acte législatif de l’Assemblée nationale, c’est énoncer une vérité première, incontournable. Mais on a tellement pris l’habitude de se tenir loin de cette vérité et des conséquences qu’elle entraîne pour l’action, que d’y revenir paraît énorme. On s’est tellement convaincu aussi que l’indépendance du Québec demandait une infinie préparation multisectorielle, que l’acte législatif de la faire a été tenu pour rien. Dans les milieux indépendantistes, ma thèse est certes minoritaire, mais dans la population, dès qu’on discute de ces questions, c’est autre chose. Que ma position puisse ressortir comme une originalité, pour ne pas dire une excentricité, vient de ce qu’elle prend à contrepied l’orientation dominante véhiculée par le péquisme — laquelle est cause du gâchis historique qu’on connaît.


Le Parti québécois agonise sous nos yeux. Quoi qu’il advienne de cette formation, l’important est de mettre au rancart le péquisme, cette doctrine sous l’égide de laquelle l’expérience de l’indépendantisme québécois s’est effectuée au cours du demi-siècle écoulé. Sans bilan critique du péquisme, la poursuite avantageuse de l’expérience n’est pas envisageable. Refaire cinquante autres années de péquisme, ouille !... Si j’étais Madame Indépendance, je dirais : non merci !...


Pour le malheur de notre mouvement d’émancipation politique, le comment exact de l’indépendance a donc été brouillé par les meneurs du jeu. L’indépendance même faisait l’objet de définitions généralissimes à cent lieues de la mise en œuvre : projet de société, maîtrise de son destin, normalité des peuples, pays qui vient... Ou encore, la moins imprécise peut-être : responsabilité de ses lois, traités et impôts (Jacques Parizeau, Jean-Martin Aussant). Mais étant donné que la façon d’arriver là, le comment de l’indépendance, restait dans les limbes, ces formules agréables à entendre entretenaient le rêve sans orienter l’action. Sur la façon d’arriver à l’indépendance, qui est LA clef de l’affaire, le Parti québécois laissait courir toutes sortes d’idées floues, approximatives ou carrément mystificatrices (mobilisation de l’opinion, pédagogie populaire, pression de la société civile, union sacrée de la nation, états généraux, coalition arc-en-ciel, négociations avec Ottawa, assemblé constituante, reconnaissance internationale, signature d’un registre public, gestes de rupture, élection référendaire, référendum...) Faute d’orientation précise et bien fondée, l’éventail s’élargissait au gré des circonstances et surtout des sensibilités politiques d’un chacun (échéance éloignée ou rapprochée; effort minimale ou maximale de formation politique des militants; vision du fédéral partenaire ou adversaire; promotion de nationalisme à sauce au choix : culturel, civique, constitutionnel, provincialiste, québécois, canadien-français; rapprochement ou distanciation avec le socialisme; exigence de majorité plus ou moins élevée...) De beaux débats... à n’en plus finir... Qu’au PQ, on se targuait d’avoir...


Sur le référendum en particulier, qui tenait lieu de sésame, et plus exactement sur la prétendue obligation d’y recourir, mon opposition ne devrait pas surprendre non plus. Pas parce que ça fait presque vingt ans que je la trimbale, mais tout simplement parce que, le référendum, les citoyens n’en veulent spontanément pas. Encore là, c’est une lubie du consultativisme bienheureux qui veut que le référendum soit nécessaire et bon en soi. Au contraire, j’ai entendu mille fois de simples citoyens dire (entre autres quand je faisais du porte-à-porte pour le Parti indépendantiste) : on ne voit pas la nécessité du référendum; on se demande pourquoi le PQ s’obstine là-dedans; qu’ils la fassent l’indépendance s’ils croient à leur affaire; etc. Moi-même, citoyen heureux, mais pas bienheureux, je n’en ai jamais trop pigé l’avantage. Si d’ailleurs l’exercice était si incontournable que ça, pourquoi le PQ trouvait-il toujours le moyen d’en reporter l’échéance?!... Le simple citoyen sait d’instinct que les élus sont là pour décider, pas pour consulter. Il voyait bien du reste que l’ingérence malveillante et grosse comme le bras du fédéral venait distordre ou compromettre l’exercice référendaire. L’obstination péquiste à reconsulter les citoyens avait quelque chose de tordue, de perdant, de pas net, et a contribué à faire décrocher les citoyens. Les gens n’étaient pas surpris des sondages qui montraient l’un après l’autre qu’ils n’en voulaient pas, de référendum. Rien n’y faisait, les « stratèges » péquistes se persuadaient au contraire qu’un effort pédagogique plus soutenu de leur part s’imposait pour élever le peuple hésitant à la splendeur de leur démarche, puisqu’aussi bien l’indépendance du Québec ne peut évidemment sortir que d’un gigantesque chantier participatif... Alors voilà, si ma position détonne, c’est essentiellement au regard de celle que le Parti québécois a importée dans le mouvement, lequel, faut-il le rappeler, n’est pas du tout né référendiste. Un petit rappel s’impose.


Le péquisme


L’étapisme référendaire, on le doit à Claude Morin et à René Lévesque qui, manœuvrant en tandem, l’ont introduit dans le Parti québécois au congrès de 1974, vous y faites allusion. Il n’a plus jamais quitté le programme depuis. On a complètement enterré le fait par exemple que le congrès de février 1973 stipulait encore : « Étant donné que le Parti québécois préconise clairement l’indépendance du Québec, la souveraineté sera acquise en principe par proclamation de l’Assemblée nationale, sans qu’il soit nécessaire de recourir au référendum. » On a complètement mis sous le boisseau également la brochure de 1972, Comment se fera l’indépendance — vite épuisée et que les Éditions du Parti québécois se sont bien gardées de réimprimer — dans laquelle René Lévesque, Jacques Parizeau Jacques-Yvan Morin et Camille Laurin confiaient au journaliste du Toronto Star, Robert McKenzie : « Un gouvernement péquiste à Québec mettra immédiatement en branle le processus de sécession sans aucun autre recours à l’électorat par un référendum ou une seconde élection. » Tellement disparue du paysage, cette brochure, que quand je l’ai citée dans un article de 2005 (« La souveraineté par mandat électoral », L’Action nationale), le juge à la retraite Marc Brière, militant indépendantiste de la première heure, m’a contacté pour savoir où j’avais déniché ça et pour s’assurer que mes citations était authentiques !... (Il faut dire, pour la petite histoire, que la revue avait tronqué ma note explicative : elle n’en avait laissé que la première phrase** .)


C’est justement la lecture de Claude Morin, artisan de ce funeste virage, qui m’a mis sur la piste. Il se trouve que Claude Morin, qui a été au cœur de l’action, est aussi parmi les rares parlementaires du Québec à avoir pris à tâche de décrire avec force détails et souci d’exhaustivité la part qu’il a prise aux événements, le rôle qu’il a joué au Parti québécois, les buts qu’il y poursuivait, la manière dont il s’y est pris.


Claude Morin a joué un sale tour aux Québécois et à leur aspiration nationale, un sale tour au Parti québécois et à l’espoir d’indépendance qu’il portait, sale tour joué avec le puissant aval de René Lévesque. Pour l’ancien ministre péquiste, responsable des affaires interprovinciales, la province du Québec, en tant que « patrie des Canadiens-français », formule qu’il chérissait, méritait un statut particulier dans l’ensemble canadien, non un statut d’État indépendant séparé du Canada. Son arnaque aura été politique : c’est celle d’avoir utilisé le parti indépendantiste officiel aux fins de visées provincialistes, et donc fédéralistes, et d’avoir pour ce faire changé la fin en prétendant ne changer que le moyen. Morin expose noir sur blanc sa prouesse, d’autant qu’il s’enorgueillit d’avoir de la sorte œuvrer dans le sens des « revendications traditionnelles du Québec », autre formule qu’il utilisait souvent. Il ne cache pas que, pour lui, l’indépendance est un projet excessif, « riniste », qui fait peur et qui va à l’encontre desdites « revendications traditionnelles du Québec ». Aussi voulait-il que le parti renonce au slogan « un vote pour le PQ est un vote pour l’indépendance », sans faire fuir les militants et les votants qui y prêtaient foi. Le référendum a été son truc — que lui ont d’ailleurs suggéré les discussions qu’il avait avec des hauts fonctionnaires fédéraux à Ottawa (comme il le raconte lui-même). Les partisans de l’indépendance pensèrent ou voulurent croire qu’il s’agissait d’une « stratégie pour l’indépendance », une « étape » démocratique nécessaire et obligée vers leur objectif commun. En réalité, il s’agissait bien d’une « stratégie », mais pour éviter l’indépendance, d’une « étape » qui déliait de l’obligation de la faire en cas de victoire électorale. Le recours référendaire n’a jamais été autre chose aux yeux de ses promoteurs qu’un moyen de pression auprès d’Ottawa pour obtenir des compétences supplémentaires au sein de la fédération canadienne (en télécommunications, en culture, etc.) et peut-être éventuellement un statut provincial particulier. Pour René Lévesque, l’indépendance était une « police d’assurance », on se souviendra de la formule (qui remonte d’ailleurs à Lionel Groulx), une possibilité qu’on évoque en face d’Ottawa pour lui faire lâcher du lest. Quand, dans les années 1980, il se lança dans le « beau risque », comme il disait, il ne faisait que laisser derrière l’aventure référendaire pour revenir à sa politique de toujours. Tout compte fait donc, la démarche péquiste n’a jamais, sauf au début, avant 1974, consisté à rompre avec le Canada, à abolir la souveraineté canadienne sur le Québec — sinon dans la tête de militants bons soldats. Elle a consisté au contraire à consacrer cette souveraineté en la réaménageant. Quand un État fédéré (la province du Québec) réclame des compétences à un État fédéral (le Canada), cela n’abolit pas la souveraineté de celui-ci sur celui-là; cela la confirme au contraire, puisqu’il s’agit à la base d’un acte d’allégeance.


Malheureusement, les autorités péquistes jamais ne sont revenues sur ce dévoiement capital du parti — dévoiement qui pourtant changeait subrepticement le but (l’indépendance) en prétendant ne toucher qu’au moyen (le mode d’accession). On a fait passer l’affaire pour un souci supérieur de démocratie, un plus grand respect de l’électorat. Puis on s’est contenté le moment venu du casting, pas mal moins compromettant pour l’orientation politique, d’un Claude Morin « informateur de police », payé par la Gendarmerie royale du Canada, et d’un René Lévesque vrai « libérateur de peuple », scandalisé par son ministre... L’introduction par effraction du référendum dans le Parti québécois, qui ne s’était pourtant pas faite sans brasse-camarade ni opposition (Jacques Parizeau, Jean Garon et alii), a été effacée. Le credo référendaire s’est installé à demeure dans le parti et aucun de ses porte-parole ensuite ne l’a remis en question. Jacques Parizeau a déclaré à quelques reprises être indépendantiste et pas nécessairement référendiste. Sauf que, se disant « bon soldat », il a reconduit la stratégie du référendum au point d’en organiser un, celui de 1995. Et puis il faut dire que le référendum en soi n’est pas un crime. Il fait partie des moyens de la démocratie. Le problème, outre son introduction par subreption, est qu’on lui a fait une place démesurée, au point d’éclipser le pouvoir représentatif, et on y a tenu mordicus comme un passage obligé malgré la grossière ingérence d’Ottawa. 


Considérant cette obstination référendiste, vous pensez bien que je me suis fait peu d’amis dans les instances du parti (dont j’étais membre) en écrivant des choses comme celles-ci :


« Les partisans de cette voie [référendaire] étaient pas mal moins soucieux de démocratie que de provincialisme gonflable. À preuve, ils n’ont même pas su riposter aux empiètements antidémocratiques du fédéral dans ‘’leurs’’ référendums »;


« En posant le référendum comme condition de légitimité de l’indépendance, l’étapisme frappait d’illégitimité toute action indépendantiste menée sans mandat référendaire »;


« En prétendant légitimer l’action indépendantiste après, l’obligation référendaire la délégitimait avant et de ce fait rendait l’après inaccessible ».


C’était en mars 2004, dans une lettre adressée « aux indépendantistes et en particulier aux membres du Parti québécois », que j’avais fait parvenir à une trentaine de personnes parmi lesquelles des cadres du parti. La revue L’Action nationale allait peu après la publier comme « lettre ouverte » dans son numéro de mai-juin de la même année. En lisant ma lettre, l’ex-ministre péquiste Yves Michaud a pris la peine de m’appeler pour me dire que lui non plus n’avait jamais été chaud partisan du référendum, que le fédéral avait corrompu celui de 1995, que l’élection lui paraissait un procédé plus sûr et en tout cas moins facile à trafiquer. Quatre ans plus tôt, on s’en souviendra (cf. l’« affaire Yves Michaud »), l’Assemblée nationale, sous le poids du premier ministre Lucien Bouchard, péquiste lui aussi, avait faussement et ignoblement condamné le citoyen Michaud pour des propos soi-disant antisémites. Curieux quand même, soit dit en passant, que le PQ sache utiliser la toute-puissance de l’assemblée législative pour certaine cause et se tue à l’ignorer pour d’autre !... Aussi curieux que la mollesse légendaire du PQ qui sait sans problème se muer en dureté quand il s’agit d’écarter les « purs et durs » !...


Mon intervention était particulièrement étoffée et tranchante, d’accord, mais elle n’était pas la seule, loin s’en faut. Dans son contenu, aussi, elle atteignait à des conclusions peu fréquentes dans les milieux indépendantistes. Il n’empêche qu’elle s’inscrivait dans un courant critique plus large. C’est malgré des milliers de militants que les référendistes eurent le dessus; malgré des voix multiples et persistantes qui demandaient un changement de stratégie (voir p. ex. Revoir le cadre stratégique de Robert Laplante, directeur de L’Action nationale); malgré les appels à « retourner toutes les pierres » (comme invitait à le faire Lucien Bouchard); malgré les remue-méninges internes (p. ex. la « saison des idées » lancée par Bernard Landry); malgré la création d’autres formations et partis souverainistes rivaux (p. ex. le Parti indépendantiste, créé en 2007-2008 et dont j’ai été président fondateur); malgré le comité de réflexion et d’action stratégique dirigé par Bernard Landry, auquel j’ai participé comme représentant des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO); malgré y compris les rappels occasionnels de Jacques Parizeau (« Le Québec est entré dans la confédération sans référendum et il se retirera de la confédération sans référendum, conformément aux règles du parlementarisme britannique »); malgré quoi encore?... Tous ces partisans soi-disant « pressés », « radicaux » ou « suicidaires » de l’indépendance qui exprimaient là leur opposition n’étaient pas nécessairement comme moi contre le recours référendaire ou ne l’étaient pas toujours de façon aussi claire ou déterminée, mais tous ils appréhendaient d’une façon ou d’une autre le déclin du Parti québécois si celui-ci ne remettait pas l’indépendance au cœur de son action électorale et parlementaire. C’est hélas exactement ce qui s’est passé. Et en dépit du lessivage historique que vient de subir ce parti aux dernières élections, ses dirigeants affirment ne rien regretter, ni dans le guidage, ni dans le programme !... Des référendistes purs et durs, quoi !...


Référendum et illusion citoyenne


Il est éclairant de se demander pourquoi, malgré l’opposition, la combine à l’origine du référendum a été couronnée de succès et pourquoi elle a été oubliée par la suite. La réponse qu’on donne à cette question impacte, pour parler hexagonal (!), sur la vision qu’on peut avoir de l’état actuel de la cause indépendantiste et sur sa réorientation stratégique. On ne le note pas souvent (en fait, quelqu’un quelque part a dû faire ce lien), mais une des raisons pour lesquelles la funeste stratégie référendaire a réussi à s’imposer dans le Parti québécois tient à l’« ADN social-démocrate » de ce dernier. J’emprunte l’expression à l’ex-ministre François Gendron, indéfectible référendiste, qui insistait il n’y a pas longtemps sur l’« ADN social-démocrate » du PQ. (L’ancien doyen des élus péquistes, aujourd’hui à la retraite, voulait dissuader Pierre-Karl Péladeau, capitaliste toujours suspect, de revenir à la direction du parti.) Or justement, la plupart du temps avec la social-démocratie progressiste, dès qu’il est question de consultation citoyenne, d’implication populaire, de démocratie participative et autres incandescences du parler-ensemble, elle tombe en pâmoison. C’est ainsi que les membres du parti, bien que bousculés, ont pu se laisser séduire par l’engagement de leur direction à en appeler directement au peuple. Ça venait les chercher dans leur illusion citoyenne... Vous pensez bien qu’on n’était pas pour arriver au pouvoir et proclamer l’indépendance sans demander la permission à tout le monde et à son père !... Quant à moi, je vois, sous cette attitude, une sorte de démocratisme dissolvant qui rêve de venir à bout des irritants immémoriaux du pouvoir de l’homme sur l’homme. Le monde aurait évolué pour le mieux, grâce notamment à la prolifération des droits de l’homme, au point d’entrer maintenant dans le post-politique. Il n’en tiendrait qu’à nous de faire enfin de la « politique autrement » et de reléguer le détestable pouvoir au musée des vieilleries. Ah, que d’idioties sous cette prétention du « autrement » !... Que d’ingratitude et de mépris pour les ignares qui nous ont précédés...


À la base de ce triste et long gâchis, il y a donc selon moi l’espèce de religion socialo-démocratique dans laquelle nous baignons. En fait, la démocratie telle qu’on aime l’aimer n’est pas la démocratie réelle. De régime d’attribution du pouvoir, attribution à un nombre forcément restreint de personnes électoralement sélectionnées (sinon, ça ne s’appelle pas du pouvoir), la démocratie représentative devient, dans nos esprits de postmodernes en phase terminale de dépolitisation, une affaire largement onirique : un régime de disparition tendancielle du pouvoir par sa distribution impossible à tout un chacun. C’est la belle illusion citoyenne du pouvoir partagé par tous — et donc inexistant — à laquelle je viens de faire allusion et qui tend à décerveler politiquement tout le monde. Dans notre histoire récente, elle a réservé à nos élites nationales le rôle inoffensif de provinciaux humiliables à merci.


Cette dépolitisation tendancielle s’est exprimée chez nous dès la définition de l’indépendance comme « projet de société », baliverne entendue mille fois, qui court toujours et qui a pour illustre caractéristique d’écarter la dimension du pouvoir, pourtant intrinsèque à l’idée d’indépendance. Qu’est-ce en effet que l’indépendance sinon le pouvoir (de la même façon que la dépendance est un non-pouvoir, ou le pouvoir sur soi exercé par un tiers)? Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’indépendantisme chez nous s’est donc tenu dans l’infrapolitique : il se gardait du pouvoir, sinon pour faire autre chose que l’indépendance; et quand il traitait d’indépendance, c’était en dehors du pouvoir.


La démocratie représentative, vue au travers de ce prime « citoyen », c’est tout-à-la-démocratie et rien-à-la-représentation. Dans ce contexte où la représentation tombe en discrédit, où le sens de sa nécessité se perd et où on l’assimile au pouvoir qu’on abomine, il va sans dire que l’option de soumettre la question nationale au verdict des représentants est frappée de disgrâce. Et comme ce sont les politiciens qui font la politique, c’est-à-dire les représentants, on s’interdit de la sorte toute véritable politique indépendantiste. Cela donne ce qu’on connaît trop bien, le péquisme : le refus obstiné de conjuguer l’exercice du pouvoir avec la projet d’indépendance. Indépendantiste, le péquiste l’était loin du pouvoir; au pouvoir, il cessait d’être indépendantiste. 


En effet, l’indépendance maintenue comme idéal — vous y faites allusion dans votre question —, cela a signifié dans notre contexte son maintien à distance du politique, l’échec de sa traduction en action électorale et parlementaire. C’est comme si le Parti québécois, créé pour faire de la province de Québec un État indépendant, avait voulu refaire quelque chose comme... l’abbé Groulx de l’entre-deux-guerres et le programme de l’Action nationale libérale. Lionel Groulx insistait que « notre État français, nous l’aurons » moyennant un redressement national à long terme. Il parlait de rattrapage étalé sur des dizaines d’années en éducation (généraliser l’accès, enseigner notre histoire nationale), en économie (intervention de l’État, maîtrise de notre épargne, promotion de l’entreprenariat canadien-français, nationalisation de l’hydro-électricité) et ce genre de choses. Mais à ce moment-là, on en était encore à expliquer que la Conquête britannique n’était pas une bénédiction de la Providence pour les Canadiens français. L’Église, de tout le poids de sa hiérarchie, ne craignait pas l’assimilation linguistique de ces derniers quand ça pouvait servir, jugeait-elle, la préservation de leur foi. Le Mouvement Desjardins, fondé en 1900, était loin d’être ce qu’il est devenu : ses actifs atteindront le milliard de dollars à peu près au moment ou naît le PQ. L’hydro-électricité a été nationalisée en 1963. Notre appartenance nationale était au Canada français, pas nécessairement au Québec, sinon comme gros morceau de l’affaire plus large. Et ainsi de suite. Mais à la fondation du Parti québécois donc (1968), on n’en était plus là. Je veux dire que « notre État français » n’était plus une simple finalité lointaine, un idéal qu’on peut seulement « espérer par-dessus [son] temps », comme disait Groulx (Directives, dans Mes mémoires, t. III, p. 340). Il était devenu un des choix qui s’offrent sur l’arène où rivalisent les partis hic et nunc. En un mot, l’État québécois était à l’ordre du jour politique et c’est de cet ordre du jour que procède la naissance même du Parti québécois. Mais voilà...


Dès qu’il était question du pouvoir, dès qu’il était question de faire leur entrée à l’Assemblé nationale, les péquistes s’avançaient presque en imposteurs, comme si le pouvoir n’était pas pour eux, à moins de se départir de leur option indépendantiste. Et c’est exactement ce qu’ils faisaient. Ils laissaient leur idéal au vestiaire — pour le reprendre à la sortie, histoire de pouvoir l’arborer dans les réunions du parti ou autres moments opportuns. Vous vous souvenez de la fameuse apostrophe de Jean Charest à l’élection d’avril 2003 sur l’« agenda caché » : en plein débat télévisé, le chef du PLQ accusa Bernard Landry, chef du PQ, de dissimuler à la population sa véritable priorité, la souveraineté. L’accusation a eu grande portée. Pourquoi ? Parce que, comme on dit, la vérité choque. Frapper pile dans la culpabilité péquiste, mettre à nu d’un coup le problème que pose devant l’électorat le fait de séparer son action parlementaire et son programme partisan, ne pouvait pas ne pas avoir d’impact. Si la cause de l’indépendance est en friche aujourd’hui, c’est en grande partie, en partie décisive, parce que ses porteurs en ont fait un idéal destiné à une lointaine réalisation, sans échéance définie, au lieu de la décliner en programme de gouvernement pour quand on y accède. Ce n’est pas un hasard si des partis indépendantistes rivaux du PQ ont vu le jour après le référendum de 1995 (en particulier à partir de l’investiture de Pauline Marois, laquelle renonçait même au référendum). Parmi ceux-là, le Parti indépendantiste (2008) et Option nationale (2011) avaient significativement pour slogan : l’indépendance « c’est maintenant ». Quand on fait le bilan de tout ça, on se dit que l’affaire du Parti québécois aura été de sublimer la politique indépendantiste en idéal au lieu de traduire l’idéal indépendantiste en politique. On objectera peut-être que, quand même, en 1995, il y a eu une vraie tentative. Parlons-en...


La tentative de 1995



En 1995, Jacques Parizeau a effectivement essayé de faire servir le référendum à la cause de l’indépendance, mais avec la triste suite que l’on sait. Même lui s’est montré finalement naïf devant la hargne guerrière du fédéral, ses manœuvres intrusives, ouvertes comme clandestines, et son bafouage parfaitement assumé de la souveraineté électorale québécoise. Parizeau a fait l’erreur de concéder au camp du non une victoire arrachée par la fraude. (On connaît tous Le référendum volé de Robin Philpot, réquisitoire dont, soit dit en passant, le Parti québécois ne s’est pratiquement jamais servi, ou si peu, ce qui montre bien le manque de pugnacité de ce parti.) Le fédéral est en effet intervenu dans l’exercice sans lésiner sur les moyens, légaux comme illégaux. Il a distordu l’exercice avec l’argent même des contribuables québécois. Les forces du non, dont le fédéral prit le contrôle de fait, contrevinrent aux règles dûment établies par l’Assemblée nationale, en particulier les plafonds de financement. Elles ont gonflé le vote fédéraliste par l’artifice de la naturalisation à la hâte de milliers de néo-Canadiens — que les commissaires félicitaient aussitôt de la chance qu’ils avaient de pouvoir contribuer par leur « non » à l’« unité canadienne » !... Et j’en passe. Parizeau m’a expliqué, dans une conversation privée, qu’il ne mesurait pas alors l’ampleur des manœuvres frauduleuses et, en particulier, de ce vote illégal. Pourtant, les soupçons et les preuves s’accumulaient déjà (voir les rapports du Directeur général des élections, ses enquêtes et ses projets d’enquêtes). Et de toute façon l’ingérence hostile d’Ottawa était si grosse, grossière et antidémocratique (elle répondait à une véritable « logique d’occupation », comme l’avait souligné à l’époque Robert Laplante, directeur de L’Action nationale) que le gouvernement québécois avait amplement de quoi interrompre ce référendum ou remettre en question son résultat. Bien sûr, il y aurait eu crise, mais une crise qui aurait tourné à l’avantage du camp indépendantiste — pour peu bien sûr que ses dirigeants eussent su en profiter. Et puis, si on recule devant l’éventualité d’une crise politique, autant cesser tout de suite de se battre, n’est-ce pas?!... Toujours est-il qu’au lieu de rester en poste et de prendre tous les moyens à sa disposition pour dénoncer les tricheurs et reprendre l’initiative, Parizeau leur a donné raison en démissionnant et en concédant la victoire. Il a rendu payant leur crime. Il les a laissés, eux, faire l’histoire.


Peut-être Parizeau a-t-il cédé parce qu’il se voyait mal dans le rôle du mauvais perdant. Ce grand homme politique avait de la classe. Jouer les chiens battus n’entrait pas dans son code d’honneur. Sans doute aussi était-il fatigué de subir la pression interne de son propre camp, dont plusieurs lui reprochaient « son » référendum inopportun et prématuré. Le chef avait tenu promesse contre vents et marées; il avait perdu; il se retira. Telle fut la lecture que Parizeau fit de la situation. Le problème, c’est qu’en réalité il n’avait pas perdu. C’est par la tricherie que le non avait dépassé le oui. On le savait, on s’en doutait dès le soir du référendum. À mon avis, le véritable collapsus réside dans ce fait d’avoir tout de suite reconnu comme valide le résultat (50,58 % non; 49,42 % oui) et transformé du coup la tricherie en victoire, les tricheurs en vainqueurs — et les votants du oui en immenses dindons de la farce...


Le fond de l’affaire


Pourquoi, au contraire, le camp du oui ne s’est-il pas tout de suite dressé contre ce résultat frelaté? Pourquoi ne pas avoir contesté ce score mal acquis et prononcé d’autorité la disqualification des tricheurs et l’annulation de l’exercice ? Réponse : on a fermé les yeux sur le coup pour la même raison qu’on les avait fermés avant. On venait de laisser Ottawa, comme s’il avait un même droit à représenter les Québécois, s’immiscer dans la campagne référendaire des semaines durant au mépris de nos règles démocratiques et des prérogatives de notre Assemblée nationale. Pourquoi donc cette passivité sur le coup comme avant? La raison profonde en est, je crois, celle-ci : on n’a pas réagi parce qu’au lieu de se considérer légitime en vertu de son élection, on voulait tirer sa légitimité du référendum. On prenait le référendum pour un dispensateur de légitimité. Faute capitale pour des représentants. Avec un oui à 60 %, 70 % ou 80 %, on se serait senti en voiture, légitimé béton. Mais avec une légitimité partagée pratiquement kif-kif — car c’est de cette façon irréfléchie et politiquement irresponsable qu’on voyait les choses —, on a laissé filer. À quoi bon persister, pensait-on, puisque l’adversaire se trouvait légitimé à même hauteur que nous !... Le plus loin que Parizeau se soit permis d’aller a été de dénoncer l’utilisation abusive de « l’argent et des votes ethniques » par le camp du non — ce que des conseillers à l’ego bien oxygéné lui reprochèrent, dont... Jean-François Lisée. Il faut dire que Parizeau n’avait pas hésité devant la contradiction quand il invita les Québécois à « retrousser leurs manches, à se cracher dans les mains et à recommencer » : il disqualifiait d’un bord le « vainqueur » en le requalifiant de l’autre pour un match revanche !...


Ce référendum était intrinsèquement vicié du moment qu’on considérait sa tenue comme obligatoire. Il l’a été extrinsèquement de par l’ingérence indue et hostile d’Ottawa. En régime de représentation démocratique, pareille consultation ne peut être que facultative (et d’ailleurs consultative, jamais exécutoire). Le législateur (l’Assemblée nationale) reste souverain, maître de ses décisions. Dans cette histoire donc, le parlementaire québécois n’a pas saisi que la légitimité de l’acte d’indépendance lui appartenait en tant qu’élu et qu’un mandat ou un aval en sus quel qu’il soit, de type référendaire par exemple, n’était aucunement requis. En s’en remettant à une consultation directe de la population, nos parlementaires donnaient congé à leurs prérogatives de représentants, comme si c’était chose possible. Ils prétendaient refiler la décision à la volonté générale sans se rendre compte qu’ils ne le pouvaient pas, puisque cela équivalait à s’auto-nier comme représentant, à écarter le gouvernement représentatif pourtant seul habilité à décider. Dans un gouvernement représentatif — une « république », si l’on voulait parler comme au XVIIIe siècle (abbé Sieyès, J. Madison), une « démocratie représentative » pour parler comme aujourd’hui —, la décision revient, par nécessité, au représentants élus. Ceux-ci peuvent prendre de bonnes ou de mauvaises décisions, adopter des lois excellentes ou désastreuses, précipiter ou retarder indéfiniment leur adoption, mais ils ne peuvent pas échapper à leur statut de décideurs, se désinvestir de leur mandat représentatif, faire comme si le pouvoir ne leur revenait plus. Il leur est impossible autrement dit de se défaire de leur capacité, sous peine de trahir leurs mandants ou plus exactement leurs électeurs. Se déclarer incapable équivaut en effet à faire défection. Nos référendums en 1980 et en 1995, conçus comme devoir démocratique, obligation de renvoyer la décision aux électeurs, ont été de telles défections parlementaires, des désertions de responsabilité, des aveux d’incapacité. Raison fondamentale pour laquelle les autorités fédérales ont pu rentrer là-dedans comme dans un ventre mou et jouer leur rôle de vrais chefs politiques en face de prétendants inhibés ou désarmés par leur propre fait. L’Assemblée nationale s’éclipsait au moment même où on avait besoin d’elle dans toute son autorité et ses prérogatives; elle pliait l’échine devant le fédéral qui contestait précisément sa légitimité représentative en la matière. Le référendisme québécois oubliait qu’en régime représentatif comme le nôtre, ce sont les élus qui dictent les lois, qui disent la raison d’État, pas ceux qui les élisent. Les élus, hélas, n’étaient pas armés de l’idée que la décision d’indépendance leur revenait et que le recours au référendum ne pouvait pas, par principe, abolir leur mandat ou leur devoir de représentation.


Voilà donc à mes yeux le fond de l’affaire, la leçon principale à tirer de l’expérience historique récente si l’on veut envisager l’avenir avec quelque chance de succès ou en tout cas y entrer les yeux moins fermés...


Qu’on m’entende bien. Quand je parle d’incapacité, je n’ai pas en tête les qualités personnelles des politiciens, mais leur figure publique. Des candidats, députés ou leaders péquistes, j’en ai connu et j’en connais plus d’un qui sont loin d’être des incapables sur le plan personnel, et de toute façon, ce n’est pas de cela qu’il s’agit. La capacité dont je parle est une qualité du pouvoir, une qualité du rôle politique qu’on joue. Il s’agit d’une compétence politique assumée, d’un pouvoir dont on se sait investi et qu’on est prêt à exercer. Un pouvoir politique qu’on refuse d’utiliser, qu’on feint de ne pas avoir, qu’on se prétend inhabile à exercer, je l’appelle de l’incapacité politique consentie. En ne reconnaissant pas la décision d’indépendance comme incombant aux parlementaires de l’Assemblée nationale, le Parti québécois s’empêchait d’élever l’indépendance à la hauteur d’un vrai choix politique, car c’est au Parlement qu’un tel projet se matérialise.



Précisions


Ce mode d’accession à l’indépendance (l’Assemblée nationale adopte la Loi d’indépendance), nous le dénommions souvent, surtout au début, la voie électorale. L’expression n’est pas fausse. Ce sont bien les représentants, issus donc d’une élection, qui votent l’indépendance, comme toute autre loi. Nul besoin d’une permission de plus. C’est en toute légitimité et en toute légalité que les élus soumettent à l’Assemblée nationale le projet de loi d’indépendance. Au demeurant, ce sont bien leur qualité d’élus qui leur confère ce droit, leur appartenance partisane n’ayant rien à y voir. En dépit de ce qu’on appelle la ligne de parti, c’est bien individuellement, un à un, que les parlementaires sont appelés à dire oui ou non aux projets de loi. Un supposé mandat référendaire a d’autant moins à voir là-dedans qu’un représentant ne se prononce pas sous mandat impératif. Comme je viens de l’expliquer, un référendum ne remplace ni n’oblige le législateur — au point que s’il y a référendum, ça reste les élus réunis en corps législatif qui décident et qui peuvent toujours décider à l’encontre du résultat référendaire. Tout ça donc justifiait l’appellation de voie électorale d’accession à l’indépendance, par opposition à voie référendaire. Or le Parti québécois et pratiquement toute la classe politico-médiatique étaient tellement acquis à l’idée d’un recours référendaire obligé, la croyance à l’indépendance comme expression de la volonté directe du peuple était si bienséante et balsamique, qu’on ne voulut même pas examiner la voie électorale et, quand on s’y intéressa, ce fut à condition qu’elle voulût dire que la décision incombait aux électeurs, non aux élus. Ainsi, plusieurs l’assimilèrent à l’« élection référendaire », mixture impossible où l’on confond le législateur et la loi, la sélection des décideurs (élection) et la décision qu’ils ont à prendre (loi). Va pour la voie électorale, se disaient-ils, à condition d’y emboutir le référendum, avec entre autres sa nécessaire majorité absolue des voix. Et l’on assista bientôt à un festival des majorités exigibles. Dans notre régime politique, pour être le gouvernement, il faut, comme tout le monde le sait, détenir la majorité relative des sièges au Parlement. Or pour les indépendantistes — et pour eux seuls ! — les majorités exigibles prirent curieusement leur envol... Ils devaient, paraît-il, obtenir la majorité absolue des sièges, ou la majorité absolue des voix, ou même les deux, quand on n’exigeait pas d’eux des majorités renforcées (p. ex. 60 %, 75 %). Y compris dans la mouvance souverainiste, on flirtait avec ces majorités en folie sans se rendre compte de l’injustice électorale, ni du ridicule, car elles font entorse aux règles mêmes du régime dans lequel on entend pourtant jouer et notamment à l’incontournable primauté de la majorité sur la minorité. Ça aussi je l’ai dénoncé à son heure, mais c’était à peu près comme devant... le silence éternel des espaces infinis : je vous jure que le dogme référendaire n’a rien senti, pas même le besoin de se défendre. Compte tenu de tout ça, je me dis aujourd’hui qu’il aurait été mieux avisé, plus précis et plus opportun sans doute de parler de voie législative d’accession à l’indépendance. Mais ce petit changement d’épithète aurait compté pour bien peu dans l’affaire et il n’aurait certainement pas dissipé à lui seul la brume socialo-citoyenne dont je parle...


On se refuse encore aujourd’hui à l’idée que l’indépendance est entièrement et exclusivement justiciable du gouvernement représentatif. Privé de ce principe, l’indépendantisme québécois, pas plus que les autres indépendantismes comparables dans le monde (Catalogne, Écosse), n’arrivera à rien. À moins que l’État prédécesseur (le Canada) ne s’éclipse comme par miracle — et même là, il faut toujours bien que l’État successeur (le Québec) se reconnaisse lui-même. Le péquisme aura été cette abyssale innocence qui voulait croire ce miracle possible. Atavisme sans doute du Canada français que nous étions et dont René Lévesque et ses amis politiques ne se sont jamais départi...



2] Le Parti Québécois a connu une longue décomposition politique, s’étendant sur une vingtaine d’années. Tous ne l’expliquent pas par les mêmes raisons mais une chose est certaine : il n’incarne plus l’expression dominante du nationalisme québécois. Vous écriviez même récemment que la CAQ a remplacé le PQ comme principal parti des Québécois francophones. Qu’est-ce que les Québécois ont rejeté en congédiant le PQ, et en quoi se retrouvent-ils aujourd’hui dans la CAQ?


Je crois que les Québécois viennent de se donner un gouvernement national. En même temps, à ce scrutin du 1er octobre 2018, ils ont infligé toute une correction au Parti libéral du Québec, le parti le plus antiquébécois depuis peut-être le régime népotiste et anglotrope Taschereau-Godbout, battu par l’Union nationale en 1936 !...


L’arrivée au pouvoir de la Coalition Avenir Québec, parti nationaliste mais non indépendantiste, n’est pas une mauvaise nouvelle. J’y vois la fin d’un mensonge, le mensonge péquiste. Et c’est bien à regret que je le dis : mon indépendantisme m’a toujours fait voter pour le Parti québécois — à l’exception des élections de 2008, où je me suis présenté moi-même dans Bourget pour le Parti indépendantiste que je venais de fonder avec Éric Tremblay (parti qui s’est effondré avec l’apparition d’Option nationale de Jean-Martin Aussant). Le PQ, comme je viens de l’expliquer, gardait l’indépendance dans son programme, mais faisait tout pour éviter de la faire : il n’a même jamais cru qu’il en avait le pouvoir, la capacité. C’est sur cette duperie qu’il roule depuis les années 1970. Fin de la duperie péquiste, donc.


La victoire de la CAQ au scrutin d’octobre 2018 marque un tournant. Cette élection met fin à quarante ans d’alternance au pouvoir d’un parti indépendantiste et d’un parti fédéraliste. Le parti qui vient d’être éjecté de ce jeu d’alternance de facto est le Parti québécois, figurant l’indépendantisme — qui avait devant lui le Parti libéral du Québec, figurant le fédéralisme. La CAQ a donc détrôné le PQ de sorte que les deux grands partis qui dominent maintenant à l’Assemblée nationale sont tous les deux fédéralistes (l’un nationaliste québécois, l’autre antinationaliste québécois). De ce point de vue, pas grand changement, car le PQ aussi figurait le nationalisme. Le fait est donc marquant. À mon avis, la parenthèse péquiste vient de se refermer sous nos yeux. Et j’espère surtout que ce sera celle du péquisme. L’effondrement du PQ en tant que tel consacre une tendance lourde observée depuis le référendum de 1995. Son déclassement par la CAQ au dernier scrutin général ne correspond pas à une déconvenue momentanée, concomitante à un pic accidentel de faveur pour la CAQ. Vous avez raison, s’agissant du PQ, de parler de « décomposition politique s’étendant sur une vingtaine d’années ».


La surprise, si surprise il y a, n’est pas que la CAQ ait déclassé le PQ — ce scénario était envisagé, sinon prédit, depuis déjà pas mal d’années. La surprise est d’avoir chassé du gouvernement le PLQ, et de si magistrale façon. Malgré son évidente détestation du Québec national, le PLQ paraissait indélogeable à cause du double avantage dont il profite depuis quelques décennies : la fragmentation déplorable du suffrage national québécois (qu’on appelle aussi francophone, sans me consulter !?) et, fait concomitant, l’appui quasi total du suffrage national canadien (qu’on appelle aussi anglophone et allophone, en me consultant encore moins !?). C’est pourtant l’exploit que la CAQ a réalisé : rallier le suffrage québécois assez pour supplanter le bloc compact du suffrage canadien. En octobre dernier, si l’enjeu électoral n’a pas porté sur l’indépendance, les Québécois se sont néanmoins donné un gouvernement national et ils ont très clairement dit non au parti antinational de Philippe Couillard qui les méprisait depuis quinze ans. C’est à mon sens sur ces clivages nationaux profonds que s’est joué le dernier scrutin. C’est dire à quel point le Parti québécois, créé pour incarner nos préoccupations et aspirations nationales, a échoué et s’est coupé de la nation. Les Québécois n’ont donc pas voté pour ou contre l’indépendance, mais ils ont clairement rejeté le parti le plus hostile à cette visée et c’est bien pour faire valoir leurs préoccupations et aspirations nationales qu’ils ont préféré la CAQ au PQ. Ceux qui, pendant la campagne, argumentaient qu’un Québec gouverné par la CAQ allait être pire qu’un Québec gouverné par le PLQ se trompaient lourdement. Ils reprenaient à leur compte la petite propagande péquiste qui diabolisait la CAQ comme ultralibérale et dénigrait son chef comme vire-capot de l’indépendance. Ils étaient à mille lieues des Québécois.


Le PQ a rompu de fait avec l’indépendance depuis au moins le référendum de 1995, de sorte que voter contre ce parti n’est pas nécessairement voter contre l’indépendance. Je prends la date de 1995 simplement parce qu’à ce moment-là au moins on parlait d’indépendance dans l’espace public. Mais, sous la récente direction de Jean-François Lisée, ce parti n’était même plus crédible en général sur les questions d’intérêt national comme l’identité, la langue, le patrimoine, la démographie (français langue commune, anglicisation de Montréal, intégration des immigrants, accommodements religieux, danger islamiste, crucifix à l’assemblée nationale, etc.) Or ces questions, qui préoccupent vivement les Québécois comme nation — Québécois pas du tout affalés dans « le confort et l’indifférence » comme d’aucuns les dépeignent par projection (projection psychologique, s’entend, non filmique !) — ont été à mon avis déterminantes dans le résultat électoral d’octobre dernier. La CAQ de François Legault a mieux su rejoindre les nationaux — chose que les péquistes supposaient leur revenir de droit.


J’entends des péquistes affirmer que ce n’est pas eux, mais le peuple d’en bas qui ne comprend pas, qui n’accède pas encore à sa petite grandeur (« quelque chose comme un grand peuple », disait le séducteur René Lévesque). La vérité crue — que la direction péquiste aura bientôt mis la moitié d’un siècle à ne pas voir — est que son attentisme désespérant, sa procrastination réflexe, son contorsionnisme invétéré, son inusable défaitisme, son illusionnisme référendaire et, cerise sur le gâteau, sa superbe terminale lui auront aliéné jusqu’aux partisans de l’indépendance. Le Parti québécois avait fini par ressembler à un boxeur sans entrain qui rase les câbles la tête derrière ses gants, qui espère que l’adversaire l’oublie et qui se permet quelques blagues pour que les parieurs continuent d’affluer... Ce qui devait arriver arriva donc : au scrutin du 1er octobre 2018, le PQ a subi un véritable knock-down. Cette fois en effet, les fans, qui avaient commencé à l’abandonner bien avant ce scrutin, pouvaient compter sur un challengeur moins inhibé, moins condescendant, moins professoral et plus peuple, en un mot plus... national. La Coalition Avenir Québec est en effet plus sensible aux grandes inquiétudes de la nation. Elle s’est fait élire par une solide majorité et sa victoire, n’en déplaise aux péquistes qui se sont fait ravir le titre de champion de la nation, marque bel et bien le retour du Québec national aux commandes, même si cela ne s’est pas fait autour de l’enjeu de l’indépendance.


Car bien sûr, la CAQ tourne le dos à l’indépendance. Et cela ne fait qu’annoncer des piétinements à venir. Le Canada fera à coup sûr obstacle aux mesures trop nationalistes à son goût du nouveau gouvernement québécois. (L’histoire à valeur emblématique de la Charte de la langue française, la Loi 101, est là pour le prouver : depuis son adoption en 1977, cette grande loi nationale a été dépecée sans discontinuer par ses contempteurs bien arcboutés sur les institutions canadiennes.) François Legault venait à peine d’endosser ses fonctions de premier ministre provincial qu’Ottawa l’avertissait : les mesures que vous envisagez en matière de laïcité de l’État sont déplorables, contraires à l’esprit canadien et elles seront contestées s’il le faut devant les tribunaux. C’est en substance par ces mots d’intimidation que le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, chevalier international du multiculturalisme, s’est élevé contre la volonté caquiste d’interdire le port des signes religieux chez les fonctionnaires québécois, en particulier le voile islamique. Autre rebuffade : le rapport d’impôt unique. Trudeau vient d’opposer à Legault une fin de non-recevoir. Et des refus, et des fins de non-recevoir, il y en aura d’autres. L’élection de la CAQ ne change pas la nature du Canada, sa Constitution, ses réflexes, son hostilité à l’endroit du Québec national. Le Québec peut bien s’installer dans une espèce de « beau risque » perpétuel, mais ce serait croire qu’il se tient debout quand il se couche pour mourir à petit feu.


Autre chose importante je crois, parce qu’élément du nouveau contexte : en congédiant le PQ, les Québécois disent non à l’envahissante rectitude politique et à son cosmopolitisme bienheureux. Les journalistes donnent un nom à ce non : le populisme. Personnellement, le mot ne me fait pas peur, ni la chose. Je crois que l’élection de la CAQ est l’expression d’un certain populisme, qui monte chez nous comme ailleurs dans le monde occidental. Il est vrai que la CAQ tient à s’en démarquer. À une journaliste qui lui demande si on peut interpréter son élection comme une « victoire du populisme », François Legault répond : « Je ne me considère pas populiste et je rejette toute forme d'association avec Madame Le Pen ou avec les partis populistes. » Je pense que le chef de la CAQ n’a pas grand-chose à gagner à ce jeu-là. À se démarquer du populisme, la CAQ estomperait ce qui la distingue des péquistes qui nous trahissent et des libéraux qui nous haïssent et elle réduirait son audience populaire.


La diabolisation médiatique de dirigeants comme Marine Le Pen est une chose; la tendance populiste de fond dont je parle en est une autre, qu’on l’appelle comme on voudra. Je remarque bien la connotation péjorative que les médias s’efforcent de conférer au mot, mais c’est un effet du politiquement correct que je combats. L’important, c’est le populisme lui-même et le positionnement de la CAQ par rapport à cette tendance contemporaine de fond. En réaction à la mondialisation débridée (ouverture des frontières, migration massive, abrasion des souverainetés nationales), le fait est que le populisme monte au sein des électorats occidentaux et que sa diabolisation décline. Le nationalisme indéniable de Legault le rapproche de cette tendance de fond, qu’il veuille l’admettre ou non. Bien sûr, rien n’est encore fixé, à commencer par la définition même du mot populisme, mais tendanciellement c’est ce que je crois observer.


Le populisme, dis-je, est une tendance ample et profonde qui monte partout en Occident. Il y a d’un côté les peuples attachés à leur pays (identité, culture, patrimoine, frontières) et de l’autre des élites en orbite dans le cosmopolitique. Disons, pour ramasser, d’un côté les nationalistes et de l’autre les internationalistes. C’est un des grands antagonismes des temps présents. Ce qu’on appelle le populisme, aussi protéiforme que soit cette tendance et flous encore les contours de la notion, le populisme, donc, est pour l’essentiel une riposte des nationaux contre les forces dénationalisantes et mondialisantes à l’œuvre en Occident depuis des décennies. L’expression politique la plus visible en est par exemple l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro au Brésil, de Viktor Orbán en Hongrie, de Matteo Salvini en Italie, de Sebastian Kurz en Autriche, de Donald Trump aux États-Unis, etc. Ces nouveaux dirigeants ne se laissent pas nécessairement réduire à la seule dimension populiste et d’énormes différences existent entre les uns et les autres. Mais un profil commun se dégage et qui dénote une tendance allant croissant contre le mondialisme et contre le multiculturalisme qui l’accompagne. Autre expression de ce populisme : le ras-le-bol contre le politiquement correct, contre la bien-pensance médiatique (les « fake news » de Trump, ça vous dit quelque chose?), contre la tyrannie morale du diversitaire... L’élection de la CAQ participe, mutatis mutandis et en version assez affaiblie faut-il dire, de cette réaction nationaliste, souverainiste, non-immigrationniste, pro-frontiériste... qui traverse les sociétés occidentales, lesquelles gobent de moins en moins les promesses fleuries de la mondialisation et, au Québec, les mamours haineux du multiculturalisme canadien.


Considérons le président des États-Unis. Donald Trump a beau être une face à claques et un fieffé malappris, il n’a sûrement pas été élu pour ses exécrables manières en société ni pour son toupet en or. Chez nous, les rieurs qui ne savent qu’ironiser sur son cas ou les scandalisés qui n’arrêtent pas de ne pas en revenir devraient passer à un niveau plus sérieux d’analyse. La politique protectionniste de Trump, son mot d’ordre « America first », son bras-de-fer commercial avec la Chine, sa révision des ententes de libre-échange avec le Mexique et le Canada, son resserrement des politiques d’immigration, son projet de mur à la frontière mexicaine, la dureté qu’il affiche avec son voisin multiculturaliste canadien, etc. relèvent de la tendance que je signale. On peut chicaner sur la justesse ou l’opportunité de telle ou telle mesure, mais non sur le profil global qui s’en dégage. À part ça, on aurait avantage à se rendre compte qu’on n’est guère mieux servi de ce côté-ci de la frontière avec Justin Trudeau, commis-voyageur du multiculturalisme croco-larmoyant. En plus, Trump illustre le ras-le-bol du peuple américain, non devant la politique en général, comme le veut la rengaine médiatique du « cynisme citoyen », mais devant la political correctness, dont je viens de parler, avec son armée de dévots stationnés partout dans les médias, les maisons d’enseignement, les administrations publiques et le... Parti démocrate.


Une certaine logique ferait conclure que le Parti québécois aurait dû, lui, bénéficier de cette montée des « souverainismes » dans le monde. Ce serait oublier à quel point ce parti s’est coupé de la nation et combien se sont fanés ses titres à la défendre. Le PQ préfère se plier aux commandements de la rectitude politique, tendre la main à la gauche « sociétale » très tendance dans le Plateau Mont-Royal !... Sauf que...


Sauf que... Que voulez vous? Le peuple est populiste, la nation est nationaliste, le Québec est québécois. Toutes choses que la CAQ incarne mieux que le PQ. Non que celle-là les incarne à merveille, mais celui-ci les incarnait tellement mal !... Le peuple québécois, en effet, pas plus que les autres peuples, n’est diversitariste, communautariste, multiculturaliste, néo-féministe, déconstructionniste, laïcard, immigrationniste, sans-frontiériste... Il ne descend pas dans la rue pour les couples de même sexe; il ne vibre pas aux emportements de la communauté LGBTQI2sNbA+*** ; il aime l’immigration quand elle s’intègre et quand elle parle sa langue; il ne crie pas victoire quand on démolit des églises ou qu’on les recycle en mosquées; la mineure en « études féministes, des genres et des sexualités » de l’Université de Montréal ne le fait pas accourir; le crucifix au Salon bleu ne lui fait pas pousser des boutons; pour lui, les mâles de l’espèce humaine ne sont pas des violeurs en série qui s’ignorent ni les femmes des violées multimillénaires qui s’ignorent tout autant; l’écriture inclusive ne le branche pas particulièrement, ni le dégenrage des toilettes publiques, ni le droit des pères à enfanter ou à allaiter... Par-dessus tout, il déteste les donneurs de leçon qui l’enjoignent d’ouvrir les bras à ces supposées avancées civilisationnelles, sous peine de... dénonciation. Ah !... La furie dénonciatrice...


Cela dit, la pugnacité caquiste sur les enjeux dits identitaires ou nationaux, sur la politique nationale pour le dire en un mot, risque de s’avérer fragile et décevante. Désaimanté du pôle de l’indépendance, le mouvement national court d’échec en déconvenue et risque de se ratatiner en « survivance canadienne-française » jusqu’à l’extinction. Le « beau risque » à perpétuité n’a aucun sens du point de vue national et une politique nationale dépolarisée de la possibilité de l’indépendance n’est que ça, « beau risque » à perpétuité. C’est un des dangers qui guettent la CAQ. Une politique nationale juste doit donc impliquer la possibilité de l’indépendance. Cela ne veut pas nécessairement dire l’avoir dans son programme de parti. Le fameux « article 1 » du PQ n’a rien permis du tout, sinon faire espérer les nigauds que nous étions. Cela veut dire cependant des gens convaincus que le pouvoir provincial est la clef du pouvoir national, qui savent donc que l’indépendance s’acquiert par une loi adoptée par les parlementaires québécois dument réunis à l’Assemblée nationale et non par une consultation citoyenne quelle qu’elle soit. Au contraire, avec des parlementaires qui ne se savent pas capables d’indépendance, en vertu de leur qualité de représentants, les Québécois ne se sentiront pas vraiment au pouvoir, leur insécurité identitaire persistera, la nation ne sortira pas de sa vulnérabilité chronique et, bien évidemment, l’indépendance pourra attendre...


À propos de ce que je viens d’appeler le « beau risque » perpétuel, c’est beau viser la bonne-entente, mais le faire seul de son côté n’a pas de sens. « La bonne-entente que je veux, déclarait Lionel Groulx dans son retentissant discours de 1937 au Colisée de Québec, c’est la bonne-entente à deux. La bonne-entente debout. Pas la bonne-entente de dupe ». En le citant, son biographe précise très à propos : « celle-là [la bonne-entente debout], pour l’obtenir, il faut aussi être en mesure de s’en passer » (Charles-Philippe Courtois, Lionel Groulx, Éd. de l’Homme, 2017, p. 375). Or, il n’y a aucune chance pour que le bonne-ententisme, comme programme politique, devienne autre chose que de l’à-plat-ventrisme quand, pour commencer, l’autre partie à l’entente ne te reconnaît pas comme partenaire de niveau. C’est le cas en matière de langue, en matière de laïcité, en matière d’intégration des immigrants, pour mentionner les points de friction les plus évidents. Dans ces domaines qui opposent la québécisation du Québec à sa canadianisation, le Canada impose ses prérogatives régaliennes : c’est lui le législateur souverain. Il invoque aussi sa responsabilité dans la « protection » des Canadiens vivant au Québec et qu’on appelle, par anticipation gai-luronne, la minorité anglaise — perdant de vue que sur le plan politique, c’est nous, Québécois, les minoritaires. Il est clair déjà, il est archi évident, que les aspirations nationales du Québec sont incompatibles avec le Canada multiculturaliste — le multiculturalisme et sa mécanique juridique et constitutionnelle ont été introduits au Canada précisément pour mater le Québec national. C’est ce grand jeu canadien que le PQ avait fini par perdre complètement de vue, contrairement au peuple québécois pas mal moins engourdi que ses supposés guides. Le PQ a tellement perdu sa crédibilité, même au chapitre d’une politique simplement nationale, et ses choix stratégiques sous Jean-François Lisée ont été si mauvais, que la CAQ n’a guère eu de difficulté à faire meilleure figure que lui. Le PQ, avec son flirt assidu de QS, son adhésion empressé à l’idée d’un débat des chefs en anglais, son opposition au durcissement de la Loi 101, à l’interdiction du cégep anglais pour les non-anglophones, son feu d’artifice de propositions bonnes pour le village des Schtroumpfs (p. ex. la vitesse réglementaire sur nos routes), ses tentatives désespérées d’humour en fin de campagne, le PQ, dis-je, ne vibrait tout simplement pas aux mêmes fréquences que la nation. Lisée, au lieu de sortir du péquisme autocontradictoire, s’est pensé en parachèvement des Bernard Landry ou des Pauline Marois, il s’est voulu la fine fleur oxymorique de la résignation combattante ou du défaitisme gagnant, et ç’a donné ce que ça méritait. La vraie nouveauté dans cette campagne électorale n’a donc pas été Jean-François Lisée, son pathétique humour mis à part peut-être, mais la présence d’une concurrence sérieuse dans le créneau national. La CAQ a semblé pas mal plus connectée sur les inquiétudes des nationaux. Si l’on parle de rempart contre les forces antinationales, la CAQ de Legault avait tout simplement l’air plus présente et fiable que le PQ de Lisée, aussi « illogique » que cela puisse paraître aux indépendantistes un peu lents à piger. Toujours est-il que la CAQ, volontiers ridiculisée par les péquistes, vient de nous débarrasser d’un gouvernement viscéralement antiquébécois, ce PLQ si acharné à dénationaliser le Québec, à le canadianiser.


En 2003, analysant l’élection générale du 14 avril où le gouvernement péquiste de Bernard Landry s’était fait montrer la porte au profit du PLQ et avait idiotement perdu une formidable tranche de 10 % de l’électorat souverainiste, son électorat naturel, je tirais la conclusion suivante :


« La contre-performance du Parti québécois a permis à l’alliance électorale du PLQ de commencer à se recomposer. Historiquement, l’entrée en scène du PQ avait effrité l’alliance électorale qui faisait la force des libéraux depuis les années 1960, alliance du vote francophone et du vote allophone (= non francophone), et sonné le glas de l’Union nationale. L’exploit historique du PQ a donc été de briser cette alliance et de réduire le PLQ au rôle de ‘’parti des Anglais’’ et assimilés . » (« De l’usage indépendantiste du pouvoir », L’Action nationale, XCIII, 5-6, mai-juin 2003, p. 156.)


Aujourd’hui, après le scrutin d’octobre 2018, on peut dire que la CAQ a commencé à recomposer le vote national québécois et à réparer les dégâts diviseurs du PQ. L’avenir de la nation est loin, très loin d’être assuré par ce simple résultat, mais pour le moment c’est ça.


Un péquisme hautain et à côté de la plaque se plaint que les Québécois auraient élu la CAQ par manque d’esprit national. C’est le contraire qui est vrai. Les Québécois ont élu la CAQ par sursaut national, non par oubli de leur intérêt comme nation. Corollaire : le Parti libéral du Québec a mordu la poussière parce qu’il ne pouvait dissimuler plus longtemps sa détestation des nationaux sous ses salamalecs immigrationnistes, ses yeux doux aux leaders communautaires, ses exhortations à l’ouverture adressées aux Québécois qui étaient autant d’accusations de fermeture.


Il faut bien prendre la mesure de l’enjeu justement national qui se joue là. La réalité n’est pas qu’on conteste au Québec dans l’abstrait le droit à l’indépendance, au cas où l’envie lui en prendrait on ne sait trop quand. La réalité est qu’on lui conteste dans le concret, ici et maintenant, le droit, la légitimité et l’autorité d’agir, dans son cadre provincial, comme pôle d’intégration, comme autorité posant les normes communes en fonction de son identité, de sa culture, de ses valeurs... Le débat autour du port des signes religieux (surtout le voile islamique) chez les fonctionnaires va le démontrer encore et encore, si le gouvernement Legault persiste — et il est à souhaiter qu’il persiste. On nous conteste donc même la marge provinciale qu’on a d’agir en fonction de normes nationales nôtres, par nos lois et règlements, notre administration publique, nos écoles ou autres. Le conflit est direct avec le multiculturalisme canadien.


Alors non, le Québec selon moi n’est pas plus éloigné de l’indépendance qu’il ne l’était avant la dégringolade du Parti québécois. En élisant la CAQ, le Québec a voté majoritairement national. S’il y a de quoi, l’éclipse du PQ libère le créneau de l’indépendance qu’il obstruait depuis trop longtemps. Créneau qui toutefois, pour le moment, reste vacant... À moins de prendre les vocalises des « solidaires » en phase maniaque pour une offre d’indépendance. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas le moment de faire la gueule fine sous prétexte que François Legault est un ex-indépendantiste, transfuge du PQ, quand on sait à quel point ce PQ a niaisé avec l’indépendance — y compris quand il était au pouvoir, ce qui est proprement ahurissant quand on y pense. Car l’indépendance du Québec, qu’est-ce sinon la transformation du pouvoir provincial en pouvoir d’État plein et entier au moyen d’un acte déclaratoire de l’Assemblée nationale (Loi d’indépendance) ?



3] Plusieurs affirment qu’un nouveau clivage politique prend forme au Québec : le débat entre les souverainistes et les fédéralistes serait remplacé par celui entre les nationalistes et les multiculturalistes. D’autres voient plutôt les Québécois se diviser selon l’axe gauche-droite. Soyons pessimistes : non seulement nous ne savons plus ce qui nous rassemble, mais nous ne savons plus non plus ce qui nous divise! Quel est selon vous le clivage politique le plus opérant pour penser aujourd’hui la démocratie québécoise?


Vous avez raison de poser la question parce que, comme le chantait Sylvain Lelièvre : « c’est plus mêlant qu’avant » !... En ironisant à peine, on pourrait dire qu’avant, la droite était au pouvoir et la gauche dans l’opposition et que maintenant, la gauche est au pouvoir et la droite dans l’opposition !... C’est dire la problématicité du clivage gauche – droite qui structurait notre univers politique jusqu’à récemment encore. On continue certes à utiliser cette dichotomie politique, mais les réalités qu’elle recouvre ont pas mal changé.


Je pense que, dans notre société comme dans les sociétés occidentales en général, le débat nationalisme – mondialisme (ou populisme – multiculturalisme, ou comme on voudra) est en train de prendre le pas sur le débat classique gauche – droite et que par conséquent la question nationale québécoise se pose dans un contexte modifié. D’ailleurs, la gauche et la droite se retrouve du même bord, celui du mondialisme.


L’affrontement est majeur et il déterminera longtemps, à mon avis, l’histoire qui se fait. Il mobilise déjà une foule de notions. Il y a quelques temps, je me suis amusé à en repérer quelques-unes et à les opposer terme à terme plus ou moins rigoureusement. Cette simple énumération, non exhaustive, donne à voir la portée du nouveau clivage et les enjeux qu’il peut charrier.


- souverainisme (nationalisme, patriotisme)/mondialisme (internationalisme, cosmopolitisme)


- populisme/multiculturalisme


- conservatisme/progressisme


- transmission (de l’héritage, de la civilisation)/déconstruction (de l’héritage, de la civilisation)


- revalorisation de l’État-nation/dépassement de l’État-nation


- identitarisme/diversitarisme (communautarisme, etc.)


- natalisme/immigrationnisme


- frontiérisme/sans-frontiérisme


- enracinement (éloge de l’)/déracinement (éloge du)


- raison d’État (bien commun)/droits-de-l’hommisme (individualisme)



Ce diptyque, on le voit en un clin d’œil, recoupe peu la dichotomie classique gauche – droite. Longtemps la gauche a englobé sociaux-démocrates, socialistes, marxistes... La gauche inscrivait son militantisme ou ses sympathies dans le cadre de la lutte des classes et elle épousait la cause des travailleurs contre les capitalistes et leur système. Les partis communistes et socialistes en étaient, les syndicats ouvriers en étaient, ainsi que les associations de défense des consommateurs, de locataires, les groupes d’éducation populaire et ce genre de regroupements. Ils s’attaquaient essentiellement au grand problème de la distribution inégale de la richesse sociale. En un mot, malgré la variété des méthodes et des actions auxquelles elle pouvait recourir, la gauche était associée à la quête de la justice sociale. Raison pour laquelle d’ailleurs, en dépit de la présence influente du marxisme en son sein (matérialisme athée), d’innombrables chrétiens en faisaient partie et même tout un pan du christianisme s’y identifiait (catholicisme social, etc.). À droite, on avait donc les tenants du système capitaliste et tous ceux qui s’en accommodaient; tandis que la gauche englobait les opposants à ce système. Les lignes de partage étaient d’ordre socioéconomique.


Aujourd’hui, il y a toujours des gens qui prétendent s’opposer au système et on continue pour cette raison de les classer à gauche. Il faut cependant voir que, primo, le profil de cette gauche a changé; secundo, le système contre lequel elle se dresse a changé lui aussi; tertio, gauche et droite se rejoignent aujourd’hui sur plein de questions.


Les nouveaux gauches sont, à l’instar de leurs devanciers, imbus de la même « certitude arrogante d’incarner la marche du monde », pour utiliser une belle et forte formule d’Alain Finkielkraut à propos de la « gauchitude ». Ces néo-gauches comme les gauches « classiques » sont d’abord convaincus qu’il existe telle chose qu’une marche du monde vers le mieux — cela, il va sans dire, grâce à tous les valeureux de leur sorte qui mettent l’épaule à la roue du progrès et malgré les salauds qui mettent des bâtons dans la même roue : réactionnaires, conservateurs, passéistes, misonéistes, « fascistes ». Tout le credo du progressisme est là, avec l’absolu sentiment de son bon droit et qui, faut-il le dire, recèle un potentiel de violence considérable. Mais malgré ces points communs de la nouvelle gauche avec l’ancienne, on sent que l’étiquette convient moins, qu’elle masque des évolutions sous-jacentes, que le clivage traditionnel gauche – droite perd de sa prépondérance et de sa pertinence. Et pour cause.


Le profil de la gauche a changé, disais-je : elle est devenue sociétale. Hier, le progressiste se revendiquait socialiste, syndicaliste, marxiste. Aujourd’hui, il s’affiche, en vrac, droit-de-l’hommiste, diversitariste (ethnique, religieux, sexuel, etc.), pro-immigration, antiraciste, inclusif, pro-LGBTQ+, féministe, contre les stéréotypes de « genres », contre l’« appropriation culturelle », contre les discriminations qu’il croit repérer partout et ainsi de suite — la liste est sans fin. On parlait de gauche sociale, maintenant on parlera de gauche sociétale (mot en train peut-être de s’imposer en Europe — francophone, à tout le moins). Ce qui en effet branche cette gauche-là est moins la « question sociale » classique que, disons, les « questions de société », les soi-disant questions du « vivre-ensemble » — du moins est-ce sous ces vertueuses rubriques qu’elle aime inscrire ses impérieuses préoccupations.


Le système ennemi, lui aussi, a changé : ce n’est plus le capitalisme, mais la civilisation occidentale. Le fin mot de toutes ces tendances revendicatrices est sans doute l’exclusion. Leur dénominateur commun : lutter contre les exclusions avérées ou supposées et prendre fait et cause pour leurs victimes réelles ou prétendues. Noir, Rouge, racialisé, femme, immigré, homosexuel, transgenre, minoritaire ou minorisé de toute sorte — la liste ici aussi est extensible à l’infini —, tout individu ou groupe identifié à une catégorie mise au ban d’une façon ou d’une autre de la société majoritaire, blanche, patriarcale est l’objet des sollicitudes de ce néo-progressisme. Le « système » honni responsable de toutes ces discriminations n’est plus le capitalisme; il s’avère être en fin de compte la civilisation occidentale elle-même ou l’« ordre mondial », comme les néo-progressistes le disent parfois pour paraître moins sautés. Il suffit pour s’en convaincre de faire une petite saucette en « études féministes, des genres et des sexualités » à l’Université de Montréal par exemple, ou encore de lire ne serait-ce qu’en diagonale un bulletin de la Ligue des droits et libertés, ou enfin d’assister à un dîner-causerie avec un professeur militant « sociétal » ou quelque autre maître ès-déconstructions des préjugés de l’homme blanc hétéro. Hyper-bioniques ils sont, ces intellectuels-là, et généreux de leur temps avec ça. Ils sont habiles à voir derrière les coulisses du système et à te démontrer combien aliéné tu es, manipulé, marionnetté en homme machiste, en femme soumise, en xénophobe, en homophobe, en islamophobe, en intellophobe et pour tout dire en alouettophobe... En ce sens-là, ces recherche-activistes (il font de la recherche-action, non?!) ressemblent aux avant-gardes de naguère qui voulaient élever les victimes de l’ordre capitaliste à la conscience de leur exploitation de classe et les amener par là à renverser le système; les avant-gardes de maintenant veulent élever les victimes de l’ordre occidental à la conscience de leur exclusion catégorielle et les enrôler dans l’effort de déconstruction civilisationnelle en cours. On a toujours affaire au progressisme, donc, mais recyclé. De ce progressisme recyclé, je vois saillir quatre traits, d’autant plus remarquables qu’ils contrastent fort avec l’ancien progressisme.


Le premier de ces traits, je viens de le mentionner, est l’anti-occidentalisme. L’ancienne gauche marxisante gardait quelque chose de très occidental. Elle adhérait à l’héritage des Lumières (raison) et à l’idée d’émancipation par les sciences et les techniques, comme à celle du progrès par l’industrialisation et l’augmentation consécutive des richesses disponibles pour tous. Karl Marx figure au panthéon des génies de l’Occident au même titre que ses adversaires doctrinaux Adam Smith, David Ricardo, Proudhon et les autres. Socialistes ou syndicalistes, mutualistes ou autogestionnaires, marxistes ou proudhoniens, réformistes ou révolutionnaires « classiques », tous supposaient l’Occident apte à régler ses problèmes en puisant à son propre fond. Ils ne pensaient pas devoir sortir de leur civilisation d’appartenance pour les régler. L’Occident, supposaient-ils, possédait ce qu’il fallait pour remédier à ses maux. À gauche comme à droite, si on ne partageait pas les mêmes objectifs, on savait que l’Occident avait les moyens de leur atteinte. De nos jours, la gauche « altériste » en rajoute dans la détestation de sa civilisation d’appartenance. Elle cherche la rédemption chez l’Autre ou chez elle-même en tant qu’ouverte à l’Autre. Le mal à éviter à tout prix, le péché mortel, est désormais l’occidentalocentrisme. Après le « fardeau de l’homme blanc », lequel prenait sur lui de civiliser la planète (Rudyard Kipling), on aurait maintenant le « sanglot de l’homme blanc » (Pascal Burckner), la malédiction qu’il mérite pour avoir écrasé tout le monde de son paternalisme, de son colonialisme, de son impérialisme, de son christianisme... C’est ainsi qu’on en arrive, suivant la pente de ce délire néo-progressiste, à faire ami-ami avec les islamistes. Les terroristes du djihad islamique, qui viennent tuer jusque dans nos villes, ne feraient que se défendre contre l’hégémonisme occidental et l’exclusion dont ils sont victimes. Il paraît même que ces excités de la kalachnikov nous rendraient service en guerroyant contre une civilisation vermoulue et orgueilleuse, la nôtre, avec laquelle nous sommes en bute nous-mêmes. Article du credo néo-progressiste : les ennemis de l’Occident sont nos amis. La posture du tout-à-l’Autre, négatrice de Soi, répudiatrice de son appartenance civilisationnelle, ne peut conduire qu’à ça.


Le deuxième trait remarquable concerne l’intérêt pour les minorités. Bien sûr, la gauche reste encore associée à la justice sociale, mais elle ne la limite plus à la justice distributive et déborde vers l’assomption des minorités. Ce trait est en contraste flagrant avec le tropisme caractéristique de l’ancienne gauche tournée vers la majorité : prolétariat, masses travailleuses, lot commun, monsieur et madame Tout-le-Monde, gens du peuple. D’autant plus contrastant que ce nouveau défi de promouvoir les minorités, c’est à la majorité elle-même qu’il est lancé — alors qu’on ne demandait pas à la classe bourgeoise de sauver la classe ouvrière!... Le majoritaire, l’Occidental, doit faire un travail sur lui-même, s’autocritiquer, se défaire de ses préjugés, accepter sa rétrogradation et la montée en grade concomitante du minoritaire, sans quoi il révèlera son racisme, sa xénophobie, son phallocratisme, son islamophobie, son homophobie... En vertu de ce principe des minorités, on exigera par exemple que soit permis le mariage entre homosexuels (minoritaires); que soient désexuées ou dégenrées les toilettes publiques qui obligent les entre-deux ou les indécis (minoritaires) à choisir et à se révéler; que dans les cafétérias, à côté des menus habituels, soient offerts des menus halal pour les musulmans (minoritaires); que des lieux de prière soient aménagés pour les cultes différents (minoritaires); que le crucifix trônant à l’Assemblée nationale soit enlevé pour ne pas offenser les non-chrétiens (minoritaires); et caetera. 


Le troisième trait à signaler est que cette gauche rejoint la droite sur bien des points. Je pense qu’on saisit quelque chose d’essentiel à notre réalité politique quand on considère, non plus seulement ce qu’on subsume séparément sous l’une et l’autre de ces notions, gauche-droite, mais ce à quoi ensemble elles s’opposent. La gauche et la droite tendent à se ranger ensemble dans le camp des mondialistes contre celui des nationalistes. On le voit très bien précisément chez nous. Québec solidaire (la gauche) et le Parti libéral du Québec (la droite) communient au même multiculturalisme. Les positions prises par QS pour une immigration massive (amenez-en des immigrants, sans restriction), pour la consultation sur la discrimination systémique proposée par l’ancien premier ministre libéral Philippe Couillard (examen de conscience collectif supposément nécessaire sur nos tendances racistes, islamophobes, etc.), pour le port des signes religieux chez les fonctionnaires (concession à l’islamisme sous couvert d’accommodements raisonnables), contre la charte québécoise des valeurs (supposément inspirée par le nationalisme étroit et l’électoralisme divisif), ces positions « solidaires » sont les mêmes que celles du PLQ. Tous deux promeuvent la soi-disant ouverture à l’Autre, pur paravent bien-pensant de la fermeture à Soi et du mépris des siens. Malgré certaines apparences trompeuses, ces deux partis sont viscéralement contre le Québec national.


Le quatrième et dernier trait que je vois à ce progressisme recyclé est son côté donneur de leçons très marqué, son côté immanquablement moralisateur et qui, chose paradoxale pour une « avant-garde », fait vieux style. On a parfois l’impression d’avoir affaire moins à une gauche politique qu’à une droite morale. On retrouve ici la même ambigüité qu’avec la notion de political correctness : confusion du politique et du moral. Cela aussi tranche avec la gauche socioéconomique qui hier encore, toujours plus ou moins marxisante, nous expliquait les déterminations objectives de l’histoire, les lois d’airain du capitalisme, la primauté de l’infrastructure économique sur les dimensions superstructurelles, dont la morale, et qui se voyait à la tête de masses en mouvement. Il est vrai qu’au sein de ces avant-gardes militantes, il pouvait régner une morale de fer, des lignes de conduite strictes, une éthique du sacrifice. Mais à l’extérieur, le discours propagé avait saveur prolétarienne, collectiviste, organisationnelle et ce genre de choses. Ce discours n’avait pas grand-chose à voir avec la teneur moralisatrice, sourcilleuse, inquisitrice, méprisante et tartuffière de la néo-censure progressiste. Il y a un monde entre par exemple le Gabriel Nadeau-Dubois qu’on connaît aujourd’hui et, disons, le Michel Chartrand d’hier; et ce monde, c’est le monde ordinaire, justement. Chartrand ne le méprisait pas, ce monde ordinaire, et ses flèches, il les réservait aux profiteurs d’en haut; GND, lui, ses flèches, il les lance aux Québécois-Québécoises de souche qu’il ne cesse de mettre en garde contre eux-mêmes. Si GND se retrouve à Québec solidaire, nid de néo-gauches antinationalistes, c’est qu’il voit dans ce parti un rempart contre l’intolérance larvée des Québécois : xénophobie, racisme, anglophobie, islamophobie... Les deux tiers des Québécois approuvent-ils, comme c’est le cas maintenant, le gouvernement caquiste qui veut diminuer le taux d’immigration et interdire le voile islamique chez les employés de l’État? Nadeau-Dubois, ne craignant pas le ridicule, avertit que les sondés sont sous l’influence des médias. Ce laïcard, il ne lui manque que la soutane pour ressembler tout à fait au vicaire d’autrefois qui, renchérissant sur son curé, prêchait contre la « maudite boisson », les danses collées, la luxure et autres plaisirs auxquels le peuple s’adonnait sous l’influence du Malin !... La soutane et, quand même, quelques thèmes de sermon en plus. Autre exemple entre cent. L’an dernier, mois pour mois (janvier 2018), le co-porte-parole de Québec solidaire, tout à son réflexe habituel, trouva le moyen de chapitrer le petit peuple pour son islamophobie, allant jusqu’à pointer du doigt sa propension meurtrière à l’endroit des concitoyens de confession musulmane! Vous avez dû voir passer ça comme moi dans l’actualité. Nous serions tous des émules d’Alexandre Bissonnette, des tueurs de musulmans sur le bord de passer à l’acte. Quelle chance nous avons toutefois de pouvoir compter sur des gardiens de la vertu comme GND pour s’interposer entre notre chauvinisme dangereux et les communautés sans défense qui ne demandent qu’à vivre et à prier en paix! Québec solidaire en Casques bleus du multiculturalisme! Ça se passait à Québec, en marge de la commémoration de l’attaque meurtrière survenue un an plus tôt à la grande mosquée. Pour notre leader étudiant passé dans les majeures, l’attentat de Québec prouve hors de tout doute maintenant que les Québécois sont habités par un réel « ressentiment antimusulman, une haine envers la communauté musulmane bien réelle et qui fauche des vies ». C’est ce qu’il raconta à Patrice Roy pour le téléjournal de Radio-Canada.


Que voulez-vous, à force de déconstruire son monde de l’intérieur, on finit par collaborer avec ses destructeurs extérieurs. Salissures pour sa propre culture, bénissures pour celle des autres. Comment ne pas voir aujourd’hui que tout le mouvement intellectuel dit de la « déconstruction », qui a durablement gagné une grande partie des élites savantes de l’Occident après la Deuxième Guerre mondiale, jusqu’à devenir un véritable tic dans les sciences humaines et sociales, préparait les têtes enflées du progressisme actuel à donner dans la « collaboration » et en particulier dans l’« idiotie utile » de l’islamisme. Pour ces néo-gauches, la menace de l’islamisme conquérant et du djihadisme armé n’existe pas ou à peine. À les entendre, cette menace est largement amplifiée par l’imagination paranoïaque, xénophobe et islamophobe de la « droite » démagogique, conservatrice, populiste. Sont-ils seulement conscients, ces porteurs de lunettes grosses comme des prismes, de la persécution actuelle des populations chrétiennes dans le monde ? Ils s’en battent l’œil, en tout cas. Peu ou prou 150 millions de catholiques, protestants ou orthodoxes sont persécutés dans une cinquantaine de pays et notamment au Proche et au Moyen-Orient. On les exclut du travail, on les discrimine, on les bat, on les assassine, on les torture, on les séquestre, on les emprisonne, on les pourchasse, on arrache les enfants à leur famille, on détruit leurs églises, on interdit leurs écoles, on les extermine, on les massacre et ainsi de suite, tout ça par le fait des autorités publiques en place ou avec leur complicité. (Voir le film de Raphaël Delpard, La persécution des chrétiens dans le monde). Mais nos progressistes regardent ailleurs, vers l’avenir « laïque » qu’ils sont en train de bâtir avec l’aide de leurs amis de confession autre, lecteurs du Coran et manieurs de kalachnikov halal. Un peu rude quand même, cette aide, mais bon : les ennemis de nos ennemis sont nos amis, n’est-ce pas ?...



4] Le politiquement correct domine la vie publique un peu partout dans le monde occidental. Il exaspère d’ailleurs les populistes qui se tournent vers des partis que l’on dit populistes et qui expriment souvent, que l’on en apprécie ou non le style ou les idées, le ras-le-bol du commun des mortels. Il s’impose aussi au Québec, comme on le voit dans les universités, comme on l’a vu aussi cet été avec les querelles autour de SLĀV et de Kanata. Quel regard portez-vous sur ce phénomène?



C’est du grand burlesque : outrancier, superlatif, farfelu. Mais, hélas, combien révélateur de la dégradation du débat public et de son décervelage parfois. Car il y a des gens, bien placés dans les médias, pour trouver ces critiques-là sérieuses. Il ne s’agit pas d’écologie, là, ni de la question nationale, ni d’affaires graves de ce genre. Il est question de gros petits ego — des unités transcendantales, croyez-en Kant, qui ont pris la vraie mesure d’elles-mêmes ! — de gros petits ego donc qui bondissent sur la scène en accusant le public de leur avoir fait mal. Des fils de « victimes » de l’histoire qui viennent venger leurs pères en haïssant à tue-tête les fils de leurs « bourreaux » ! Ce cirque est payé et entretenu par le politiquement correct, encore et encore, et vous avez tout à fait raison de poser votre question concernant SLĀV et Kanata en la mettant dans cette perspective.


Politiquement correct = politique correctionnelle


Ah, la political correctness !... Curieux, quand même, comme appellation, non? Et d’où nous vient tout à coup cette floraison de tribunaux de la bien-pensance, de la bien-parlance, de la bien-écrivance, de la bien-comportance ?... Véritable « tyrannie du Bien », écrivait Philippe Muray. Ça nous vaut la flambée actuelle de dénonciations qui recrute partout ses « flambeurs » et en particulier ses « pétroleuses » nouvelle mouture. J’y vois une autre manifestation, non de la révolution, mais de l’esprit révolutionnariste, utopiste. Les gens du MeToo, du Balance-ton-porc et autres porceletteries du même genre ne prendraient pas le crachoir tant que ça s’ils visaient seulement tel ou tel « salaud ». C’est plutôt ce à quoi on fait servir ces dénonciations individuelles qui est l’alpha et l’oméga de l’affaire. Monsieur X a été filmé la main dans la petite culotte de Mlle Y : ce n’est que la pointe de l’iceberg. Les êtres humains mâles devraient se rendre compte du danger que leur nature comporte, faire leur examen de conscience, participer avec nous, les pures, à purger le monde de toutes les mains baladeuses et à désexualiser enfin les rapports homme – femme et blablabla... Il y a du casse-la-baraque là-dedans, une volonté plus vaste de déconstruction civilisationnelle : cassons l’ordre du WestWhiteMan.


En même temps, il s’agit d’un discours qui vient de haut, discours qui est tenu ou avalisé par nos espèces d’oligarques mondialisés qui donnent le La aux grands médias. C’est le politiquement correct (political correctness, rectitude politique, vertuisme, bien-pensance). Ce vocable en lui-même donne à penser qu’il y a anguille sous roche. Comment une qualité morale, la correction (au sens de droiture, de bienséance), peut-elle être qualifiée de politique ? Pourquoi, en effet, politiquement correct? La raison en est que cette correction politique est une politique correctionnelle! Le terme de « politiquement correct » ne désigne, en lui-même, aucune option partisane ou politique. Ce n’est pas comme, disons, le néolibéralisme, le socialisme, le nationalisme constitutionnel ou mille autres de ce genre. Le lexème, dans sa forme, renvoie à quelque chose qui transcenderait les rivalités politiques; il désignerait la correction elle-même (la vertu, la morale) exigible de tous. En vérité, il se donne des airs métapolitiques pour mieux cacher un parti-pris politique parfaitement déterminé, celui de l’impérialisme mondialisant qui s’attaque aux vilaines protections nationales et celui du multiculturalisme qui lui sert d’arme. C’est pour mieux faire de la politique que le « politiquement correct » prétend faire de la morale.


Les imbécilités savantes


Marcel Gauchet disait il n’y a pas longtemps que ce vertuisme politique « engendre la crétinisation ». Il n’a pas tort. Comme devant n’importe quelle loufoquerie, on pourrait passer son chemin en regardant ailleurs. Écriture inclusive; abolition des distinctions de sexe (pardon, de genre); mise sous écoute rétrospective des héros et des bâtisseurs du passé; déboulonnage des statues qui les commémorent; déconstruction à n’en plus finir de l’histoire « officielle » (masculiniste, blanche et hétérosexuelle) au profit de sa réécriture en format féministe, noir, gay, minoritaire L ou G ou B ou T ou Q ou plus... Vraiment, devant tous ces combats hyper urgents de notre temps, sortis comme des champignons de la triste nuit qu’on traverse, on sait tout de suite qu’on a affaire à de parfaites imbécilités, mais si tapageuses et si médiatisées. Et l’impression se confirme à l’examen. La chasse aux dites « appropriations culturelles » fait partie de cet envahissant et polymorphe chantier épurateur en cours.


Les publications des universitaires qui font par exemple dans les gender studies, ou dans la promotion de l’écriture inclusive, ou dans les droits des personnes racialisées, ou que sais-je? procurent la pénible certitude d’être en face d’inepties forcenées. C’est parce que ces professeurs-chercheurs sont en fait des idéologues militants qui travaillent fort pour parvenir à leur niveau d’inculture. Les humanités classiques ? Hein, les essentiels de l’idéologie occidentale, vous voulez dire. Beurk... Très peu pour eux. Ça compromettrait la posture de subversifs dans laquelle ils s’adorent et endormirait la vocation annonciatrice qu’ils s’estiment avoir. Le militantisme sociétal s’apparente à une véritable cabale des incultes. En 1990, j’écrivais que le marxisme servait de passeport à l’inculture.


« Le nom de Marx prêtait à une véritable irrévérence culturelle : à quoi bon Aristote en effet quand on met fin à la philosophie? Platon quand le communisme est à nos portes? Thomas d’Aquin quand on assène un coup de mort à la religion? Thomas Hobbes quand on dissout le politique dans l’économique? » (Dialectique et totalitarisme, p. 13)


Je ne pensais pas si bien dire. Sous le progressisme d’aujourd’hui, prétentieux casse-la-baraque sociétalitaire, est à l’œuvre la même inculture cultivée. Le progressisme postmarxiste est un passeport pour l’ignorance autant que l’était le progressisme marxiste. Pour ces incultes par choix, les grandes œuvres du passé n’ont de pertinence que comme repoussoirs ou, de façon résiduelle, pour les traces d’homosexualisme, de féminisme, de cosmopolitisme... qu’ils y glaneront ici ou là. Ce qui attirera leur attention dans la Génération des animaux d’Aristote, ce sont les liqueurs séminales : l’aspirant au doctorat en gender studies, par exemple, en fera son sujet de thèse. Au diable le rapport entre connaissance empirique et théorie des universaux qui n’intéresse que la raison hétéro. On lui signale que certains interlocuteurs caucasiens, dans les Dialogues de Platon, seraient en réalité des négroïdes déguisés. Il rédige un article savant sur le sujet en condamnant l’impardonnable mutisme des érudits blancs qui sont passés pendant des siècles à côté de ces données décisives. Idem pour des traces de lesbianisme censuré débusquées dans le Discours décisif d’Averroès. On n’arrête pas le... progressisme !... Un petit expresso avec ça, cher collègue !...



Kanata et SLĀV



L’accusation d’« appropriation culturelle » appartient au même arsenal idéologique. Il y a un instant, je parlais d’exclusion comme étant le dénominateur commun de ces revendications pléthoriques qui envahissent l’espace public et qui font le pain et le beurre du progressisme sociétal. Or il y a un rapport étroit, logique, entre l’exclusion et l’appropriation culturelle. S’approprier culturellement la condition ou l’identité de l’Autre, c’est prendre sa place et donc l’écarter, l’exclure. On est donc renvoyé à la même problématique de fond.


La pièce de théâtre Kanata, qui se veut pourtant une dénonciation du « génocide culturel des Autochtones du Canada », a fait bondir d’indignation des « personnalités autochtones » à cause d’une distribution n’affichant aucun des leurs — l’esprit de famille est très fort chez eux !... Elles se sont dites, ces personnalités, « lasses d’entendre les autres raconter leur histoire » et elles ont crié au « vol d’identité ». Non seulement les fils de bourreaux doivent reconnaître les crimes de leurs pères (l’Occident à confesse), mais ils ne le peuvent qu’avec l’autorisation formelle des fils des victimes (l’Occident en pénitence surveillée), sinon il y a usurpation d’identité, « appropriation culturelle ». Les requérants exigent d’être reconnus comme descendants de victimes et, à ce titre même, comme censeurs publics des œuvres les concernant; non, donc, en vertu de leur compétence en matière artistique, mais en vertu de leur ascendance ethnique. Leur ascendance vaudrait droit d’imprimatur. Le comique de la situation est élevé à la deuxième puissance quand on sait que ces racialistes jaloux inscrivent volontiers leur combat sous le signe de l’antiracisme !...


L‘été dernier, quand a éclaté la controverse autour de ces spectacles de Robert Lepage, on pouvait sur le coup s’interroger à savoir quelle mouche pouvait bien avoir piqué ces scandalisés de l’« appropriation culturelle » — déjà qu’on se sentait honteux d’avoir ignorer ce péché jusque-là. Leur quérulence rétrospective confinait en effet au délire de revendication, paranoïa dont, en effet, ils présentent assez tous les symptômes. Mais non, ces énergumènes ne sont pas malades. Ce sont des militants, des « victimes » par vocation qui se voient en redresseurs de civilisation. On n’est pas en présence de paranoïaques en crise, mais d‘une soldatesque de diplômés ou en voie de l’être qui mène une guerre à finir contre l’Occident rouleau compresseur, bourreau des cultures, paternaliste incurable, champion de l’exclusion et de la discrimination... Sous la pression, Robert Lepage et sa compagnie Ex Machina ont reculé. Kanata a été retirée de l’affiche (pour y revenir peu de temps après, je crois). Je me souviens que dans un communiqué public, l’UNEQ (Union nationale des écrivains du Québec) s’était attristée de ce retrait, mais pour féliciter dans le même mouvement les courageux lanceurs l’alerte. Quand la lâcheté rend hommage au courage !... L’association représentante des « écrivains et écrivaines » n’a pas vu que le problème, ce sont les néo-censeurs eux-mêmes. L’UNEQ s’est faite complice de ces petits terroristes épurateurs de la culture en qualifiant leurs aberrations de « questions de société » intéressantes et en disant espérer un « climat plus propice à la réflexion » pour les aborder. Je me demande combien de temps encore va durer cette prostration de nos élites, leur contrition rituelle devant les guérilléros autoproclamés de l’inclusion en tout genre qui, écrivais-je alors, « se croient braves parce qu’ils crachent en public » et « entretiennent leurs obsessions anti-blanches comme un sacerdoce ». Ce n’était pas mal envoyé...


L’« odyssée théâtrale » SLĀV a peu ou prou subi le même sort (protestations, boucan médiatique, annulation, puis remise à l’affiche). Là encore, ce spectacle de Lepage et Bonifassi voulait faire l’éloge de la résilience exemplaire des Afro-Américains au moyen d’une reprise sur scène de leurs chants traditionnels. Trop beau cas d’« appropriation culturelle » pour qu’on ne saute pas dessus. Les médias répercutèrent les protestations groupusculaires comme si toutes la communauté afro-américaine du Québec les endossait ou devait les endosser. En réalité, il s’agissait d’agitateurs idéologiques, de militants des droits de la personne, telle Émilie Nicolas, cofondatrice de Québec inclusif. Comme pour Kanata, on cria au « vol d’identité », au « pillage culturel », à la « dynamique de colonisation » continuée et autres crimes de l’Occidental impénitent, qu’on subsume sous la belle et intimidante rubrique anthropologique de l’« appropriation culturelle ». C’est beau l’instruction. Comme plat de résistance, on nous servit le même renversé à la papaye : devant le Théâtre du Nouveau Monde, des manifestants à pancarte traitèrent de « racistes » les citoyens venus là pour assister à un spectacle pourtant en hommage aux Noirs d’Amérique et à leur culture !...



« Appropriation culturelle » et représentation


Élargissons cependant, ou approfondissons un peu. Qu’est-ce en vérité qui excite tant ces néo-confesseurs qui veulent ramener l’Occident au niveau de leur petite petitesse ? Ils s’imaginent quoi, au juste, ces ramenards ? Réponse : ils s’imaginent que chacun doit être reconnu, mais non pas représenté; que représentation ne vaut pas reconnaissance. Personne, ultimement, n’est représentable. Sous cette révolte contre les soi-disant « appropriations culturelles », je vois une forme d’anarchisme, la condamnation de toute prétention à représenter, la dénégation de toute capacité représentative. Représenter, c’est remplacer et donc invisibiliser. Les comédiens de Kanata ou les chanteurs de SLĀV prétendaient représenter les Autochtones ou les Afro-Américains. Mais non, proteste-t-on, pas question : il y aurait substitution de personne, usurpation d’identité. L’écriture inclusive, que cherche-t-elle ? Elle cherche à mettre fin à la représentation du féminin par le masculin. (C’est ce que les ignorants affirment, trop bouchés qu’ils sont pour s’aviser que le neutre existe — ça minerait leur cause et les priverait de leur excitant militantisme.) Le combat du dégenrage qu’est-ce encore sinon la neutralisation de la dichotomie homme – femme qui structurait l’humanité depuis la nuit des temps et prétendait représenter tout le monde selon l’une ou l’autre catégorie ? Et ainsi de suite.


Chez les protestataires outrés de l’« appropriation culturelle », je détecte donc la dégradation générale d’une idée, celle de la représentation démocratique ou, si l’on veut, l’utopie d’une démocratie absolument égalitaire et par conséquent sans représentation. On retrouve ici l’eau social-démocrate dans laquelle on baigne, l’espèce de prisme socio-citoyen évoqué plus tôt et qui, de la démocratie représentative, ne veut voir que la démocratie, non la représentation. Appelons ça du démocratisme, une visée de démocratisation intégrale (directe) ou un anarchisme extrême (négation du pouvoir). En tout cas, le régime qui sortirait d’une pareille dérive intellectuelle si elle devait s’imposer, le régime autrement dit dont rêvent nos « victimes » vocationnelles, en est un d’égalité absolue, dans lequel personne ne doit représenter personne puisque toute représentation institue d’emblée une inégalité (le représentant prend la place du représenté, ce qu’il ne peut faire qu’indument et d’ailleurs, méfiance, ce serait pour en faire quoi ?...). Sous la critique de l’« appropriation culturelle » se cache donc une conception ultra-anarchiste qui repousse la représentation — peut-être comme étant le secret enfin révélé du pouvoir de l’homme sur l’homme. Se profile, en un mot, l’illusion d’en finir avec le politique, terme ultime du progrès, nirvana du progressisme. Représenter, c’est s’approprier les titres de l’autre, s’arroger sa place. L’anarchiste Proudhon demandait « Qu’est-ce que la propriété ? » et il répondait : « La propriété, c’est le vol. » Après lui, nos anarcho-z-inclusivistes déclarent : Qu’est-ce que l’appropriation culturelle? C’est le vol d’identité, la représentation.



Représentation ou représentativité ?


On objectera que mon raisonnement ne tient pas, que s’il y a un mot qui fait florès aujourd’hui, c’est bien celui de représentativité. Et en effet, de tout bord tout côté on la réclame. Mais attention, représentation et représentativité ne sont pas synonymes. Il y a une différence énorme, à mieux dire essentielle, entre autoriser une personne à vous représenter et l’obliger à être représentative de vous. Confier à un représentant le pouvoir d’être votre voix in absentia, l’autoriser à parler ou à décider à votre place (ce qui est la vraie représentation, notamment la représentation au sens politique du terme) est une chose; réclamer que le représentant soit représentatif de vous ou de qui que ce soit en est une autre. Ce qu’on observe dans nos sociétés en train de devenir folles à force de se croire meilleures, c’est le rabattement de la représentation sur la représentativité. On se méfie comme la peste de la représentation, quand on ne la rejette pas carrément, mais on réclame à cor et à cri de la représentativité. On croit ainsi tenir le pouvoir à distance, le toujours haïssable pouvoir, jusqu’à son éradication finale, pourquoi pas ?... Cette quête de représentativité va donc de pair avec le refus utopiste de la représentation. On veut échapper à la vraie représentation (du même par l’autre) au moyen d’une représentation chimérique (du même par le même : la représentativité). Cela conduit à des exigences sociales saugrenues, souvent irréalistes et tatillonnes. Par exemple, les demandes de représentativité catégorielle sans fin (voir le débat sur l’appropriation culturelle), ou celle vraiment casse-pied de la visibilité (sexuelle), ou celle obsessive des quotas. Jusqu’au débat sur le mode de scrutin et la représentation proportionnelle au Parlement qui me semble entaché par cette obsession de la représentativité compensatoire. 



5] Le multiculturalisme s’est imposé partout dans nos sociétés et se fonde à bien des égards sur un discours culpabilisateur à l’endroit de la civilisation occidentale. Il est aussi instrumentalisé par l’islamisme qui emprunte le langage des droits de l’homme. Vous qui avez, dans votre parcours philosophique, accordé une grande importance à la critique du totalitarisme, croyez-vous que notre civilisation soit de nouveau confronté d’une manière ou d’une autre au phénomène totalitaire?



Oui, c’est ce que je pense. Un nouveau totalitarisme monte, l’islamisme. Bien différent des totalitarismes du XXe siècle (URSS stalinienne, Allemagne nazie), ils ont néanmoins quelque chose d’essentiel en commun. Mais d’abord, la chose qu’il m’apparaît indispensable de noter est que cet islamisme, reparti à la conquête du monde, est aidé dans sa course par nos oligarchies mondialisantes et multiculturalistes. Cela paraîtra surprenant ou paradoxal seulement à ceux qui se font de la mondialisation une excellente idée de la béatitude... Ceux qui croient la chanson selon laquelle la mondialisation serait le stade suprême du libéralisme politique, quelque chose comme l’extension du règne des libertés à l’échelle de la planète, vont être déçus. La mondialisation ne libère pas, elle massifie. Elle heurte les nations occidentales dans leur identité (valeurs, héritage, religion, souveraineté) et défait la cohésion politique des sociétés en y enfonçant le pieu du multiculturalisme (communautarisme, diversitarisme, immigrationnisme, sans-frontiérisme), préparant ainsi le terrain à la pénétration de l’islam conquérant, théocratique et liberticide, totalitaire et misogyne. Là, vraiment, l’affaire est majeure, et les « idiots utiles » du totalitarisme se recrutent hélas bien au-delà des seuls cercles de la « gauche » ou de Québec sociétalitaire.



Totalitarisme islamique



Dans Dialectique et totalitarisme, le critère principal que je faisais valoir (à côté d’autres critères) pour distinguer les régimes totalitaires (en particulier communistes) de ceux qui sont simplement autoritaires ou dictatoriaux a trait au principe de légitimité. En régime totalitaire, cette légitimité est autoréférentielle.


« Le pouvoir totalitaire refuse toute transcendance, toute extériorité par rapport à laquelle se fonderait sa légitimité. Le pouvoir totalitaire se prétend consubstantiel au tout social et donc légitime de façon immanente, intrinsèque : autolégitime. (Les notions d’immanence et de transcendance ne doivent pas [nécessairement] être prises ici au sens théologique.) La confusion ‘’totale’’ qu’il opère de la ‘’société politique’’ [l’État] et de la ‘’société civile’’ n’admet aucune altérité » (p. 94).


Partant de ce critère, on pourrait tirer aujourd’hui une conclusion rapide et dire que les régimes islamistes ne sont pas totalitaires, puisqu’il sont régulés par un référent transcendant : Allah, Sa loi, le Coran. Quiconque, individu ou groupe ou même institution, pourrait donc y invoquer ce référent transcendant, surnaturel, contre le régime et dire : « voilà, vous agissez à l’encontre de l’enseignement de référence, etc. » Une opposition pourrait se constituer de la sorte et, sur cette base, avoir droit de cité; une forme de contrôle s’exercerait sur le pouvoir et l’empêcherait d’être « total ». Mais ce serait contraire à la réalité et mal conclure des prémisses que j’ai posées.


L’évocation d’Allah fait ici illusion, parce qu’il figurerait le référent transcendant dont je parle. Sauf qu’en régime islamiste, le transcendant se trouve aplati sur l’immanent pour ne faire qu’un : l’imam est à la fois guide temporel et spirituel de la communauté. Les deux dimensions sont télescopées en une seule. Le principe des régimes islamistes, leur prétention constitutive, est dans ce télescopage que je considère caractéristique du totalitarisme. Les régimes islamistes prétendent être des incarnations de la loi divine (comme les régimes marxistes se prétendaient des incarnations de la doctrine de Marx — pensons au « socialisme réellement existant ») — incarnations sans reste, sauf indignité bien sûr, infidélité, hérésie, dissidence, déviation, reniement, apostasie, tous crimes sévèrement réprimés, comme bien l’on pense. Par allusion aux versets évangéliques archi connus (rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu : Mc 12, 13-17; Mt 22, 15-22; Lc 20, 20-26), je dirais qu’en Islamie, César ne saurait avoir des exigences différentes de celles de Dieu. Chefs politiques et autorités religieuses ne font qu’un. Il n’y a pas d’altérité de référence admissible, de principe extérieur acceptable à partir de quoi légitimer une critique du régime. Le totalitarisme est la négation en acte de pareille possibilité de recours. Aussi sa réalité est-elle toujours de stigmatiser la critique comme procédant de l’extérieur (influence étrangère, infiltration, contamination) et ses auteurs comme des éléments hostiles au même titre que des saboteurs venus d’ailleurs.


De ce point de vue, il ne fait aucun doute dans mon esprit que les régimes islamistes de ce monde sont des régimes totalitaires — en des versions plus ou moins réussies selon les cas, cela va de soi, de la même façon qu’il y avait des versions plus ou moins achevées de communisme. Aussi l’expression « totalitarisme islamique » m’apparaît-elle fondée et nécessaire. Idem pour les expressions « fascisme islamique » ou « islamofascisme » — la synonymie des mots fascisme et totalitarisme étant sous-entendue. Certaines définitions du totalitarisme en excluent le fascisme (mussolinien), mais la distinction n’est pas pertinente ici et ce n’est certainement pas dans sa distinction d’avec le nazisme que le mot fascisme a poursuivi sa carrière jusqu’à nous.


À propos de ce que j’appelle le télescopage totalitaire, il y a une particularité de l’islam qui y pousse, particularité qu’on ne trouve pas dans les sociétés d’héritage chrétien. En Islamie, la loi d’Allah que les chefs politico-religieux appliquent et font appliquer n’est pas réputée inspirée aux hommes, mais dictée aux hommes. Le Prophète en a reçu lecture. Le Coran est la parole d’Allah, non un ou des témoignages sur Allah. Ce n’est pas comme les Évangiles qui sont des récits sur Jésus et son enseignement rédigés par des hommes qu’on dit certes inspirés par Dieu, mais qui racontent eux-mêmes, qui témoignent. Dans le christianisme existe ce plan intermédiaire, celui de l’interprétation humaine. Dans l’islam, ce plan n’existe en principe pas, ce plan ne doit pas exister. Les hommes vivent et doivent vivre sous cette révélation dictée par Allah, loi à laquelle tous sont soumis et qui vaut dans tous les aspects de leur vie. Il n’y a pas César d’un côté et Dieu de l’autre. Le discours des imams ne cache pas, mais avoue et vante au contraire comme une supériorité, une vertu et une obligation la propension totalisante des régimes islamistes. En Islamie, la séparation du religieux et du politique est vue comme une tare, une erreur, une faiblesse — qu’on laisse aux sociétés inférieures comme les nôtres, sociétés issues du christianisme avec leur séparation sacrilège de l’Église et de l’État.


Si on quitte maintenant ce registre philosophique et théologique pour une approche plus empirique : est-ce que les régimes islamistes possèdent les caractéristiques généralement attribuées aux régimes totalitaires ? Y retrouve-t-on une idéologie (une « vérité ») officielle exclusive et à prétention omni-explicative, une direction centralisée (un « parti » ou l’équivalent) en situation de monopole, une indistinction de la société civile et de la société politique (État), une non-séparation des pouvoirs ? La vie et la société y sont-elles politisées d’outre en outre (morale politique, droit politique, police politique...) ? En toute rigueur, des vérifications et des comparaisons cas par cas s’imposeraient ici, mais elles ne changeraient sans doute pas grand-chose à mon propos. Ce que l’on sait de l’Arabie saoudite — pour prendre l’exemple de la gardienne des lieux saints, soutien majeur du terrorisme islamiste dans le monde — n’inspire guère de doute sur sa réponse aux critères en question. Monarchie dynastique absolue avec le wahhabisme comme religion d’État, le Coran comme Constitution, l’absence de parlement élu, l’Arabie saoudite n’est pas ce qu’on pourrait appeler un modèle de société libérale !... Idem pour Daech (ou ce qu’il en reste) : « État islamique » militaro-terroriste fondée sur le salafisme comme seule religion permise, sans pouvoir législatif puisque la loi islamique en tient lieu et donc sans assemblée parlementaire, un calife autoproclamé qui ramasse en sa personne les pouvoirs exécutifs et judiciaires. Et ainsi de suite.


Un point de méthode s’impose ici et qui réfutera une objection fallacieuse et trop répandue. La dénonciation des régimes islamistes se voit souvent opposer l’objection selon laquelle les habitants de ces pays ne sont pas tous islamistes, que les musulmans ne sont pas tous des terroristes du djihad, qu’il convient par conséquent d’éviter les amalgames, etc. L’affirmation selon laquelle tous les musulmans ne sont pas islamistes est bien sûr une vérité incontestable, mais elle ne vaut strictement rien comme argument à la défense de l’islamisme. Juger d’un régime politique, c’est l’appréhender dans son principe constitutif, dans sa prétention fondamentale. Or l’islamisme se veut théocratique (allah-cratique, comme j’ai déjà écrit par boutade). Que dans tel ou tel régime particulier l’unité du religieux et du politique soit plus ou moins poussée et que les individus n’y soient pas tous des « fous d’Allah », des enrôlés du djihad, n’infirme en rien la nature (i.e. la prétention) théocratique du régime. Il va de soi de toute façon que, sur le plan de la réalisation effective, jamais l’unification prétendue n’est parfaite ni exhaustive et qu’elle ne saurait l’être en vertu de l’indépassable finitude des affaires humaines. Impossible en effet de tout ramener à un seul plan, de se débarrasser autrement dit du moment de la réflexion (référent transcendant) ni du moment de la réalité (référent immanent).


On comprend ici pourquoi les systèmes totalitaires sont des mensonges; pourquoi, avec le régime totalitaire, on a forcément affaire à un mensonge constitutif, systémique, fondateur, imposé, forcené (voir le mensonge communiste, dont ont beaucoup parlé les dissidents à l’époque). On riait de Jean-Paul Sartre — et j’étais moi-même des rieurs — qui disait qu’on ne juge pas du communisme à ce qu’il est, mais à ce qu’il veut être. Je trouvais que le « compagnon de route » accordait un privilège indu aux régimes communistes. Et en un sens, c’est bien ce qu’il faisait. Deux poids deux mesures : le vouloir-être pour les régimes communistes, l’être pour les régimes capitalistes. Mais il oubliait que tout régime doit être jugé en fonction de son vouloir-être (sa prétention ou son principe constitutif), pas seulement les régimes communistes, et surtout que le communisme est critiquable dans son vouloir-être même. Ce qui sauve les régimes libéraux, c’est la reconnaissance intrinsèque de leur finitude, de leur indépassable imperfection, de leur contingence et l’acceptation consécutive en leur sein d’oppositions légitimes — ce qui s’appelle la tolérance, en tant que vertu des États.


Combattre l’islamisme, ce n’est pas combattre la religion


L’Occident a rompu avec la tentation théocratique, cela d’ailleurs non pas en dépit, mais grâce au christianisme. Je viens de faire allusion à l’Évangile et au fameux « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » sur lequel repose toute une théologie du politique. C’est à l’intérieur de la chrétienté que s’est dégagé au fil des siècles la dissociation principielle de la croix et du glaive. Le principe de la laïcité de l’État (séparation de l’Église et de l’État) est d’invention occidentalo-chrétienne, contrairement à ce que colporte le Mouvement laïque québécois, qui le fait plutôt remonter à une réaction antichrétienne, celle de l‘anticléricalisme des Lumières. Mais le MLQ, malgré son nom, est moins une association pour la défense du principe de la laïcité qu’une officine de l’athéisme militant. Il combat toutes les religions quelles qu’elles soient et ignore que, devant la menace du djihadisme armé et du totalitarisme islamique, les chrétiens sont des alliés — puisqu’aussi bien ils en sont des cibles privilégiées.


J’estime pour ma part que l’intelligence des religions commence par leur distinction et que les mettre toutes dans le même panier est le moyen le plus sûr de n’y rien comprendre. Au Québec, le christianisme, bien que nous ayons largement délaissé la fréquentation des églises, n’est pas seulement notre bagage culturel, notre patrimoine, notre passé, c’est notre identité actuelle, y compris pour les non-croyants, notre identité civilisationnelle disons; et nous sommes incités avec raison à la revendiquer depuis que l’islam se refait conquérant et qu’il use des moyens méprisables que l’on sait.


En passant, je n’adhère pas du tout à la sornette voulant que mes compatriotes croyants soient des minus habens, quelque chose comme des restants de ténèbres égarés dans les Lumières modernes. Il y a à cet égard une phrase remarquable de l’écrivain et libre penseur italien Erri De Luca que j’ai découvert récemment. Pour moi, cette phrase exprime le point à jamais aveugle de l’athéisme moderne, qui ambitionne d’en finir avec la foi religieuse, quand il en ignore en partant toute la dimension intrinsèquement communautaire ou fraternelle. De Luca écrit :


« L'athée se prive de Dieu, de l'énorme possibilité de l'admettre non pas tant pour soi que pour les autres. Il s'exclut de l'expérience de vie de bien des hommes. Dieu n'est pas une expérience, il n'est pas démontrable, mais la vie de ceux qui croient, la communauté des croyants, celle-là oui est une expérience. L'athée la croit affectée d'illusion et il se prive ainsi de la relation avec une vaste partie de l'humanité » (Ora prima [première heure], 1997).


Vous aurez compris qu’à mes yeux, la « question islamique » n’a rien à voir avec un épineux problème de liberté religieuse, une difficile cohabitation à atteindre entre diverses confessions, une délicate intégration des musulmans à réaliser dans la tolérance... Elle consiste plutôt dans la réponse à donner à la menace mortelle, de nature politique (sécuritaire, militaire, stratégique, géopolitique), que l’islamisme fait peser sur nos sociétés et sur notre civilisation. Il est clair que nous nous trouvons en présence d’un projet totalitaire à visée conquérante.


Il est clair aussi que les imams installés chez nous qui revendiquent pour leurs « ouailles » le droit de ne pas s’intégrer, qui soutiennent à la télé où ailleurs que le Québec est une société « islamophobe » parce qu’elle rejette ce supposé « droit » et qui reprochent aux Québécois leur manque d’ouverture, il est clair, donc, que ces imams pratiquent et exhortent à pratiquer l’« inversion du devoir d’intégration » si typique en régime multiculturaliste, comme s’enorgueillit de l’être le régime canadien — vous savez ça mieux que moi. Ils le font en effet tout adossés aux institutions canado-canadiennes, dont la Charte des droits, et encouragés par les fédéralistes du PLQ ou de QS. C’est que, pour eux, la volonté du Québec de s’affirmer comme culture commune, comme pôle d’intégration, comme la Rome où l’on fait normalement comme les Romains, heurte d’emblée leur braquage contre l’intégration et leur projet d’expansion — à moins qu’il ne renoncent au commandement d’islamiser la société et qu’ils ne renient leur foi. Aussi, en dépit parfois de leurs dénégations emmiellées, ils considèrent islamophobe le principe même d’un Québec national. Le projet de Charte de la laïcité ou des valeurs, que le gouvernement de la CAQ est en train de reprendre à son compte, frappe donc de plein fouet leur supposé « droit » d’exister comme une société dans la société — en attendant que cette société minoritaire revendique d’être toute la société !...



Le multiculturalisme n’est pas la multiculturalité



À propos de l’« inversion du devoir d’intégration » typique en régime multiculturaliste, c’est un point sur lequel vous revenez souvent vous-même avec raison. Et plus généralement sur le multiculturalisme, vous faites un bon bout de chemin pour thématiser, problématiser et approfondir cette immense affaire dans votre Multiculturalisme comme religion politique (Cerf, 2016). Je vous en félicite. Les essayistes ne sont quand même pas légion qui se penchent de façon critique sur cette question dans toute sa gravité et en en mesurant toute l’importance pour « saisir notre temps dans la pensée », comme dirait Hegel.


Bien sûr, le multiculturalisme, la plupart du temps on n’en parle pas, on ne sent même pas le besoin d’en parler. C’est un ensemble de présupposés qui ont l’air d’aller de soi. Dans les médias en tout cas, il appartient maintenant au code du présentable en matière de moralité publique : corpus omniprésent des il-va-sans-dire que les médiatiques observent... sans le dire. Quand Jacques Parizeau a affirmé que le oui au référendum de 1995 s’était fait avoir par l’« argent et les votes ethniques », il allait sans dire que sa déclaration était choquante et n’avait pas de bon sens. De même, quand François Legault déclare aujourd’hui qu’« il n’y a pas d’islamophobie au Québec », il va sans dire qu’il commet une maladresse et profère une contrevérité. Pour les journalistes et les rapporteurs en tout genre emmaillotés dans l’idéologie dominante, politiquement correcte, il va toujours sans dire...


Il arrive aussi qu’on en parle, du multiculturalisme, mais volontiers en termes mélioratifs. Le multiculturalisme serait quelque chose comme un perfectionnement de la vie politique contemporaine, un progrès historique dont on n’aurait somme toute qu’à se féliciter, à peu près comme on se réjouit de l’offre de pâtisseries maghrébines, de bonnets andins ou de bols tibétains sur les tablettes de nos marchés publics, sans parler de la viande halal !... Pourtant, le multiculturalisme n’est pas la simple et sympathique multiculturalité, il s’en faut de beaucoup. Il s’agit d’une immense affaire. C’est à mes yeux l’idéologie politique dominante de notre temps et un outil de désintégration des nations. C’est l’invitation systématiquement faite aux immigrants de ne pas s’intégrer. Le Canada de Trudeau père s’est montré à l’avant-garde des pays occidentaux dans la mise en circulation pour ainsi dire officielle de ce concept — à cause essentiellement du « problème » québécois qu’il voulait mater et sur lequel il s’était fait les dents : le multiculturalisme canadien étant un dispositif constitutionnalisé de délégitimation de l’aspiration nationale du Québec et de blocage institutionnel de ses revendications. En Europe se vivent aujourd’hui les conséquences sans doute les plus spectaculaires de cette stratégie de soi-disant « ouverture à l’Autre » qui n’est là en réalité que pour détruire la cohésion des sociétés, tasser les nationaux, diviser le peuple (territoires islamisés, revendications halal, percées de la charia dans le droit, attentats antijuifs et antichrétiens, syndromes de guerre civile larvée).


Diviser pour régner



Il y a toute une réflexion à mener sur le caractère impérial ou impérialiste du multiculturalisme, en sa qualité d’outil de démembrement des États-nations. La leçon « diviser pour régner » ne nous vient-elle pas des empires de l’Antiquité (on l’attribue à l’empereur Philippe II de Macédoine, père d’Alexandre le Grand) ? Surtout, on le sait, les États-nations modernes sont nés de la dislocation des grands empires multinationaux. Or, ces États-nations ne sont-ils pas mis en péril de nos jours par un impérialisme nouveau genre, le mondialisme ? Les nationalismes ont été les fossoyeurs de l’impérialisme ancien; l’impérialisme nouveau fossoiera-t-il les nationalismes? En tout cas, la bataille est là : la mondialisation du monde va de pair avec la dénationalisation des nations ! Et quand, comme de raison, les nations résistent, on leur reproche d’être trop... nationales ! Il en va de même pour les peuples qui rechignent au bonheur de la mondialisation, on les taxe de populisme ! Ne perdez pas de temps à rappeler aux mondialistes le vieux principe agere sequitur esse (l’agir suit l’être) : pour eux, ces peuples ne suivent pas leur pente, ils boudent leur plaisir...


Il faut revenir ici sur ce populisme mal aimé, car certains ont voulu y voir — et plusieurs y voient encore — une des sources du totalitarisme, objet de votre question. C’est à mon sens une lourde erreur, qui empêche un juste bilan des expériences totalitaires.


La vision traditionnelle veut que le populisme soit le fait du politicien qui endosse ou feint d’endosser les récriminations ou le ras-le-bol du peuple à l’endroit d’élites lointaines, insensibles et méprisantes. Ce populisme-là, qu’on n’est jamais loin de réduire à de la pure et simple démagogie, diffère cependant du populisme dans l’acception qu’il tend à prendre en ce début du XXIe siècle. Ce populisme-ci met encore en opposition le peuple et l’élite (sous la forme cette fois des perdants et des gagnants de la mondialisation); il est aussi la plupart du temps péjorativement connoté (on s’en distancie, on met en garde contre lui, on le dénonce); mais contrairement au populisme d’hier, il est le fait davantage du peuple que du politicien. Il s’agit, je l’ai indiqué, de la réaction des peuples qu’une mondialisation toute puissante tend à désolidariser d’eux-mêmes, à dénationaliser en les détournant de leurs repères identitaires, en dévalorisant leur héritage, en grugeant leur souveraineté politique et en faisant barrage à la transmission générationnelle de ce qu’ils sont. La notion de populisme donc, telle qu’elle vient de réapparaître sur la scène de l’histoire, désigne bien plus la réaction des peuples qu’un comportement de politicien. Or souvenons-nous que les régimes totalitaires du XXe siècle ont souvent été caractérisés par une alliance typique nouée entre un tribun et la populace. L’image d’Adolf Hitler vient à l’esprit, qui haranguait des foules hypnotiques et criait vengeance pour les masses allemandes laissées pour compte par l’économie capitaliste et bafouées par les voisins européens. Hannah Arendt, par exemple, a développé ce point avec insistance (The Origins of Totalitarianism, 1951). Dans cette optique, le totalitarisme apparaîtra comme une espèce de systématisation du populisme, les deux notions confinant à la synonymie. Mais ces analyses font porter trop de blâme aux peuples. La preuve en est administrée de nos jours par les peuples qu’on voit partout résister tant à la pression mondialiste qu’à la pénétration islamiste. C’est le cas ici au Québec avec la réaction populaire aux soi-disant « accommodements raisonnables » de type religieux, le rejet autant de l’immigration massive que du principe immigrationniste lui-même voulant que toute immigration soit bonne.



6] Croyez-vous qu’il soit possible aujourd’hui de reprendre le combat indépendantiste, et si oui, sur quelles bases? Le peuple québécois a-t-il encore l’énergie nécessaire pour reprendre cette bataille ou est-il entré dans une nouvelle phase de survivance? Vous avez souvent insisté sur le fait que le combat indépendantiste est d’abord une affaire de leadership. Est-ce que vous faites la même analyse aujourd’hui?


L’accession à l’indépendance, une affaire de leadership ? Tout à fait. Car la clef n’est pas dans la demande, mais dans l’offre d’indépendance. La demande est là, plus ou moins informe, plus ou moins perceptible, d’intensité variable selon les moments, mais elle reste infrapolitique. Comme un long appel prégnant auquel personne n’offre de donner suite. L’offre faisant défaut, l’indépendance reste suspendue dans les futuribles. Elle ne se mue pas en choix politique, en programme de gouvernement incarné par des politiciens qui rivalisent pour le pouvoir. Depuis la Confédération (1867), où le Québec recouvra le statut de « province » (statut perdu depuis l’Acte d’Union de 1840), l’idée que cet État fédéré devienne indépendant est restée la plupart du temps, je pense bien, dans ce que j’appelle l’infrapolitique. Avec l’entrée en scène du Parti québécois, ça devait être autre chose. Malheureusement, le PQ n’a pas été à la hauteur de sa promesse historique. Il n’a pas su transmuer le sursaut national en indépendance, pour les raisons exposées tout à l’heure.  


La clef réside dans l’offre.


Cinquante ans après la fondation du Parti québécois, la cause de l’indépendance n’est certainement pas dans un état reluisant. Le projet n’est peut-être pas sorti des cœurs ni des esprits, mais il est sorti du débat public. Les opinions les plus courantes qu’on entend à son sujet, dans des conversations privées, sont courtes et tombent comme autant d’avis de décès : « l’indépendance, ça ne marche plus », « ça n’arrivera jamais en tout cas pas de mon vivant », « l’occasion a été ratée », « c’était l’aspiration d’une génération », « la fenêtre historique s’est refermée »; « les gens sont passés à autre chose et les jeunes s’intéressent plutôt au monde, à l’environnement », ainsi de suite. Ce ne sont plus seulement des adversaires en campagne qui prononcent ces arrêts de mort, ni quelques militants ou électeurs péquistes dépités devant les tristes performances de leur parti depuis le référendum de 1995. Pratiquement tout le monde opine en ce sens, y compris ceux qui s’en désolent. L’indépendance, un rêve brisé... le souvenir d’un bel idéal, justement... C’est à peu près ça.


Il y a bien, ces temps-ci, les petits chanteurs de Québec solidaire qui se filment en train de vocaliser à l’indépendance. Ces Narcisses s’admirent momentanément en chantres de l’indépendance pour narguer le Parti québécois, sonné par le scrutin d’octobre 2018, et lui susurrer, sarcastiques, de quitter la scène en paix. Mais leurs vocalises à contretemps ne sont qu’idéalisme du nombril et guéguerre de pieds de nez. Avec son culte extraterrestre à l’indépendance, QS ne fait qu’illustrer à sa manière la longue inaptitude de notre classe politique à mettre à l’ordre du jour ce grand objectif national !...


L’état des lieux ne semble donc guère favoriser la cause de l’indépendance. Mais si le sombre portrait que je viens d’en brosser, à partir de ce qu’on en dit couramment, n’est pas faux, il est quand même tout à fait insuffisant. Car, comme j’ai dit d’entrée de jeu, la clef réside non dans la demande, mais bien dans l’offre d’indépendance. Se limiter à sonder les demandeurs, c’est imiter les politiciens attentistes qui, ne voulant pas faire ce qu’ils ont promis, font semblant d’attendre du peuple les consignes nécessaires que le peuple attend d’eux!... En politique au sens strict — et l’indépendance est une affaire strictement politique —, il n’existe pas de demande en dehors de l’offre. C’est Joseph Schumpeter, je crois, qui a le plus insisté là-dessus dans sa définition de la démocratie représentative. En tout cas, je veux dire par là que, concernant la question nationale par exemple, si celle-ci n’est pas prise en charge par des politiciens qui l’incarnent et l’« offrent » à l’électorat par leur truchement, alors cette question nationale reste infrapolitique. Après tout, essentiellement et ultimement, la politique est moins la confrontation des raisons (opinions) que l’affrontement des volontés (candidats). Les opinions favorables à l’indépendance peuvent circuler à foison dans la population, être discutées tant qu’on voudra dans la société civile et les médias, si des individus n’entreprennent pas de s’organiser et de faire le nécessaire pour qu’elle advienne à l’encontre des volontés contraires (élection, plateforme, programme de gouvernement, législation), l’indépendance reste une simple opinion mesurée à d’autres, sous forme d’idéal par exemple... Il faut donc cesser de chercher la volonté d’indépendance dans le peuple quand elle ne peut s’y trouver, au sens politique strict que j’entends ici, qu’une fois offerte. On pourra certes toujours trouver dans le peuple l’opinion, l’idéal, l’espérance, le rêve, mais pas le choix, puisqu’on ne le lui offre pas (disons que le citoyen pourra opiner, mais pas prendre parti). Il y a des situations aussi où l’offre est là mais faiblarde, peu assurée, inconsistante, pour la forme, sans échine, contorsionnée, voire démagogique... C’est un peu beaucoup ce que nous avons connu, non ?...


Est-ce que, avant, l’indépendance était dans une position si enviable que ça? C’est la question qu’on doit poser, je crois. Était-elle tant que ça à l’ordre du jour? Au fond, pour ne s’en tenir qu’à l’ère péquiste, l’indépendance a-t-elle jamais été traitée autrement que comme un rêve ou un idéal par ses porteurs attitrés? Ceux-ci l’ont-ils fait descendre sur le plancher des vaches, je veux dire, traduite en plateforme électorale et en programme gouvernemental? Surtout, des députés ont-ils jamais tenu leur qualité d’élus pour une capacité de faire l’indépendance? Se sont-ils sentis seulement une fois investis du pouvoir de décider de l’indépendance?...


La réponse à cette question est non — mis à part le recours référendaire, qui n’était précisément pas ça d’ailleurs. Le recours référendaire a été un fiasco, dont les promoteurs n’ont pas su encore tirer les leçons et dans lequel nous aurons entraîné, par influence, l’Écosse et la Catalogne. Tous ceux qui, dans le mouvement ou dans le parti attitré de l’indépendance, ont voulu effectuer cette traduction de l’idéal en projet concret ici et maintenant ont été refoulés dans les marges comme des nuisances et traités comme des adversaires. Le péquisme inventa pour eux la galeuse étiquette de « purs et durs ». Alors, non. Il n’y a pas grand-chose de consolant à voir aujourd’hui l’indépendance survivre dans le ciel des idéaux pour la semaine des quatre jeudis quand le péquisme, surtout après 1995, s’est ingénié à la garder jalousement là, dans le ciel des idéaux. Si l’on veut parler d’indépendance en toute rigueur, non comme idéal mais comme projet proprement politique, ce qui tout compte fait dans notre contexte veut dire parlementaire, alors la situation actuelle n’est à mes yeux pas plus mauvaise qu’elle ne l’était avant le naufrage du Parti québécois, consacrée par les dernières élections. À moins de confondre l’offre et la demande, l’indépendance avec un simple sursaut national. Comme parti de l’indépendance, le PQ s’est effondré depuis bien avant ce scrutin d’octobre 2018. Il est vrai que dans les années 1970 et 1980, il y a eu, disons, une fenêtre historique favorable, au sens d’une vague nationaliste que le Parti québécois aurait pu et dû traduire en politique indépendantiste et, arrivé au pouvoir, transformer en indépendance. Mais c’est expressément et délibérément ce que le PQ n’a pas fait, profiter de l’occasion pour créer l’offre d’indépendance. Il aura finalement surfé sur la vague pour la ré-aiguiller dans le provincialisme. L’aspiration nationale, fluctuante comme on voudra, est toujours là. C’est sa prise en main politique qui est déficiente. À quoi bon espérer des vents meilleurs quand les barreurs ne savent même pas tenir le cap? Depuis le référendum de 1995 surtout, peu importe les aléas de la conjoncture et les changements de chef, le Parti québécois s’est installé dans le refus de briguer le pouvoir en vue de l’indépendance et de l’exercer pour la faire. Il s’est obstiné autrement dit dans l’attentisme, supposément contraint, en réalité capitulard. Le navire Québec vogue à la dérive non pas manque de vent, mais par défaut de capitainerie.


Le démocratisme embrouille et paralyse



La direction politique fait donc cruellement défaut. Mais voyez-vous, le seul fait de soulever cette idée est un problème dans le mouvement. J’ai pu l’expérimenter moi-même à plusieurs reprises. Faites-le et l’on vous reprochera aussitôt de tout attendre d’en haut, d’espérer la venue d’un sauveur, de donner dans le dirigisme... Doux Jésus ! Ravage de l’ultra-démocratisme que j’évoquais tantôt en parlant d’illusion citoyenne... Mais de ce côté-là, je ne désespère pas, car il suffirait que se présentent de tels chefs pour balayer toutes ces fausses raisons de l’archangélisme militant. Le hic, dira-t-on, est qu’il ne semble pas y avoir beaucoup de tels chefs qui se pointent à l’horizon ces temps-ci... Mais attention, ils n’arriveront justement pas comme des sauveurs sortis d’on ne sait où, des leaders miraculeux. Ce seront tout simplement des chefs nationaux, à la tête de la province, mais qui cheffent en national, si vous me passez le mot. Vraisemblablement, donc, ce seront des dirigeants qui savent prendre les commandes, non des éjarés de la consultation ni des hypocrites de l’écoute. Et des dirigeants nationaux qui prennent autrement dit leur responsabilité de représentation nationale au sérieux et qui se savent capables de se poser comme tels devant Ottawa et de mener une politique nationale, sans en excepter l’indépendance. C’est là une condition sine qua non de l’indépendance, condition qui, dans notre situation, prime sur toutes les autres.


Petite anecdote au sujet de l’illusion citoyenne, cette illusion voulant que la base n’ait pas besoin de sommet pour avancer, qu’elle génère son propre sommet et vogue l’optimisme... basique. En juin 2013, Jean-Martin Aussant quitta inopinément la direction d’Option nationale, parti qu’il venait de fonder deux ans auparavant (et dont j’étais devenu membre). C’est l’émoi dans le village Facebook, section Québec. J’y écris que, pour ON, le coup est potentiellement mortel, vu l’importance en politique d’un chef charismatique, inspirant, qui a du flair, de la répartie. Des objecteurs outrés se font entendre. Parmi ceux-ci, Catherine Dorion, soprano lyrique d’Option nationale, explique en noir et blanc et en couleur que les troupes onistes, « courageuses », « sincères » et « responsables », sauront pallier le manque de chef. Et bien, c’est ça l’illusion citoyenne, l’illusion... basique. Je réplique : « Ce n’est pas la base militante qui va compenser pour la tête en allée; c’est la base même qui crie pour qu’on comble ce manque au plus sacrant. » Or, Option nationale, comme vous savez, allait se saborder peu après. Quant à Catherine Dorion, elle a depuis trouvé à l’Assemblée nationale une scène pour ses défilés solo de mode trash sous la bannière d’un autre parti certifié citoyen !...


Les Québécois, pas mûrs pour la liberté ?


Il faut poser sérieusement la question. Le mouvement indépendantiste ne rayonne pas de santé, d’accord, mais qu’est-ce au juste qui ne va pas dans ce mouvement? Le problème réside-t-il à la base ou au sommet? Le surplace s’explique-t-il par des conjonctures malheureuses ou par l’incapacité répétée de profiter des conjonctures même heureuses? Sont-ce les vents qui sont défavorables ou les capitaines qui ne savent pas naviguer même par vents favorables ?... Après un demi-siècle de navigation péquiste, on devrait pouvoir aisément répondre à cette question. La seule évocation de cette longue durée pointe d’ailleurs déjà vers la réponse. Il serait en effet étonnant que pendant tout ce temps la conjoncture n’ait favorisé que les ennemis de l’indépendance... La raison pour laquelle la cause de l’indépendance stagne réside au sommet de la nation, chez ses élites politiques, non à sa base. Le péquisme pense autrement et son explication de la stagnation de la cause indépendantiste est toute trouvée, pavlovienne, disculpatrice : le problème, pour lui, est dans le peuple. Le sentiment national du peuple québécois serait somnolent, ses atavismes historiques trop lourds, la conscience de ses intérêts politiques engourdie et peu sûre. Les Québécois, bref, ne seraient pas mûrs pour la liberté. La preuve n’en est-elle pas que, malgré la formidable invitation péquiste, ce peuple s’est dit deux fois non à lui-même, en 1980 et en 1995 — cas unique dans les annales de l’histoire ?... C’était déjà la conclusion que tirait par exemple André d’Allemagne au lendemain du référendum de 1995. L’auteur du Presque pays qualifiait la nation québécoise de « génosuicidaire » et il concluait que l'accession des Québécois à leur indépendance politique allait exiger un « changement profond dans la mentalité populaire » (André d'Allemagne, Le presque pays, Lanctôt Éditeur, 
Outremont, 1998, p. 12 et 66.) . Cette façon qu’ont les responsables — ou les « intellectuels organiques » qui leur chuchotent leurs répliques ! — de se laver de leurs manquements sur le dos du peuple, Parizeau un jour, je ne me souviens plus dans quel contexte au juste, l’avait qualifié d’ignominieuse. Que des pionniers de l’indépendance comme d’Allemagne en arrivent à un paternalisme aussi peu conscient de lui-même en dit long sur la mentalité infrapolitique de nos élites nationales, sur les dégâts en particulier de la conversion référendaire des années 1970 et, de façon plus générale, sur la sous-estimation systématique du pouvoir et du rôle de la direction politique. En 1995, le peuple s’est fait jouer par ces élites-là le sale tour que j’ai décrit tout à l’heure et ce serait lui le coupable, lui qui se serait dit deux fois non à lui-même !...


Ce sophisme de la double négation de soi doit être combattu absolument. Épurons le reproche, il se ramène à ceci : les Québécois ont dit non aux Québécois. Qui ne voit pas que les Québécois du début de ce raisonnement (tous les votants) ne sont pas les Québécois de la fin (les votants de souche française et assimilés, les nationaux). Car parmi les votants, il y avait des Canadiens qui se sont dit oui à eux-mêmes en votant non : ils ont suivi leur réflexe national. L’évidence crève les yeux. Pourquoi alors les met-on dans la catégorie des Québécois qui se seraient refusés à eux-mêmes, des Québécois au réflexe national altéré ?... La vérité est qu’au référendum de 1995, les nationaux se sont dit majoritairement oui à eux-mêmes (les francophones ont accordé un appui ferme au oui de plus de 60 %). Les non-nationaux, et néanmoins citoyens québécois (les allophones, y compris anglophones), ont voté à plus de 90 % pour le non. Ceux-ci ne sont pas des Québécois dont on dit qu’ils se refusent à la liberté, qui tremblent à l’idée d’assumer leur destin politique, ces fils de la France vaincue par l’Angleterre oubliés outre-Atlantique. Ce sont des Canadiens, résidant au Québec, qui ont voté selon leur réflexe national, pas des Québécois sans réflexe national. Je veux bien admettre qu’il aurait été difficile de leur refuser le droit de vote, mais ça c’est un argument pour ne pas tenir de référendum, pas un argument pour subsumer leur vote sous le nôtre. Sans parler du fait que ce référendum de 1995 n'a pas été gagné, mais bien volé par le camp du non.


Au lendemain des élections du 1er octobre 2018, le Parti québécois, dans son orgueilleux aveuglement, affirmait n’avoir rien à se reprocher, sinon des grenailles. Les grandes voix de ce parti auraient dû au contraire inviter à un bilan impitoyable de son pitoyable score. Mais non. Elles se sont contentées encore et encore de se congratuler. À mon avis, ce déni ne pourra pas durer. L’heure est trop creuse, maintenant. Saisissons toutefois l’occasion pour nous arrêter à une caractéristique étonnante de ce parti. Comment se fait-il qu’au Parti québécois l’estime de soi reste toujours si inébranlable et que le sentiment du devoir accompli aille tant contre toute raison? Réponse : précisément parce que, comme je le disais, l’indépendance est préservée dans le tabernacle des idéaux où elle sert de signe de reconnaissance entre soi et de consolation devant l’ingratitude populaire. On la veille, l’indépendance, c’est-à-dire qu’on veille à l’épargner des contaminations par la réalité. On se retrouve ainsi au chaud dans la même espérance partagée, dans la même attente d’une pentecôte venant éclairer enfin le commun des Québécois, rendant grâce à ses fidèles gardiens péquistes et confondant tous les sceptiques. Quand je parle du PQ, j’ai remarqué que le langage théologique me vient spontanément. Ce n’est pas surprenant. Ce parti a transformé le projet d’indépendance en attente eschatologique, en finalité toujours à l’horizon mais jamais matérialisable ici-bas. Le parfum d’absolue altérité que dégage ce parti, l’idée qu’il se fait de lui-même comme « parti pas comme les autres », lui vient de cette vocation de veilleur d’idéal. Pour le Parti québécois, il s’agit depuis longtemps d’espérer non de proposer, de croire à l’indépendance non de la déclarer, de rêver du pays non de le faire. Il est grand le mystère du Pays !...


Mais tout cela, je pense bien, est terminé pour le PQ. Certes, je ne suis pas devin et ne prédis pas ce qui va lui arriver. Mais il n’avait d’avenir que par son idée-force, avec laquelle hélas il n’a su que jongler sur place. Aujourd’hui, cette idée-force, il faut plus que jamais la penser en dehors du PQ. Les partisans de l’indépendance ont sans doute plus de chance de faire avancer leur cause en pesant sur la CAQ qu’en s’épuisant à réformer le PQ. Il est d’ailleurs prévisible que bon nombre d’entre eux voyageront de celui-ci vers celle-là. Le déplacement est déjà commencé. J’estime même que le PQ devrait se saborder et inviter ses militants et sympathisants à rallier la CAQ et son « nationalisme fort ».


Qu’elles sont les chances de l’indépendance ?


La montée du populisme dans le monde est certainement une chance pour l’option indépendantiste, puisqu’elle porte une réhabilitation des souverainismes nationaux et à la fois une critique du fédéralisme notamment européen. L’Europe commence à se secouer un peu de l’antinationalisme primaire et sans nuance contracté au XXe siècle à la suite en particulier de la Deuxième Guerre et des horreurs du nazisme. L’européanisme et l’idéologie de Bruxelles ont beaucoup travaillé et travaillent encore à étouffer cette réhabilitation nationaliste, mais les problèmes sociaux et les troubles causés entre autres par l’immigration massive en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Italie et dans les autres pays européens induisent une irrésistible remise en question du « multiculturalisme comme religion politique » censée la justifier. Le « vivre-ensemble » du diversitarisme gnangnan perd de son aura y compris chez nous. Les jeux sont loin d’être faits, c’est certain, mais les nationalistes québécois ont tout intérêt à bien voir que leur combat s’inscrit dans cet affrontement majeur et qui leur est en principe favorable. Penser faire du millage vers l’indépendance sur une monture aussi hostile que celle du multiculturalisme n’a pas de sens. L’incompatibilité entre les deux est même appelée à s’accentuer. L’élite nationale québécoise ne doit pas se laisser intimider par les prescriptions ou les injonctions de la bienséance multiculturaliste. L’histoire finissante du PQ montre tout le prix qu’il y aurait à payer à poursuivre dans cette voix. L’histoire commençante de la CAQ nage en plein dans cette tourmente-là.


Cela dit, je ne suis pas en train de plaider pour que les nationalistes québécois travaillent à sortir le Québec des ententes commerciales ou économiques internationales. Il y a encore quelques années, les souverainistes, dont Jacques Parizeau, s’évertuaient à montrer que l’indépendance n’est pas incompatible avec la mondialisation. Bien d’accord. Mais cela n’est vrai que si l’on ramène la mondialisation à un simple réseautage interétatique propre à faciliter les échanges de personnes, de marchandises et de capitaux, réseautage qui repose sur les souverainetés nationales. Par définition, le Québec a évidemment avantage à participer comme État souverain à pareil réseautage afin d’y faire entendre sa voix et y promouvoir ses intérêts propres. Sauf que la mondialisation est beaucoup plus que ça. Elle menace les États-nations modernes comme jamais depuis leur apparition et ne peut se développer qu’en érodant leur souveraineté. Prenons-en pour seul exemple le Pacte mondial sur les migrations qu’on vient de signer à Marrakech sous l’égide de l’ONU (décembre 2018). Ce pacte redéfinit le droit international en matière de migration carrément au détriment des pays d’accueil. Il enjoint les États participants à ne plus discriminer entre immigrants et réfugiés, entre migrants de guerre (humanitaires) et migrants économiques, entre migrants illégaux et migrants légaux, et à ouvrir leurs portes à tous peu importe leur statut. Il protège les cultures migrantes en justifiant a priori, contre les politiques d’intégration des États signataires, leur refus de se fondre dans les cultures d’accueil. Il diminue le contrôle des États signataires sur leur politique frontalière. Tout ça en vertu du multiculturalisme politiquement correct. Pas étonnant que des dizaines de pays se soient retirés de l’entente et aient refusé de signer, dont au premier chef les États-Unis, en invoquant précisément la menace à leur souveraineté. Bien entendu, nos grands médias, tout aussi politiquement corrects, ont-ils sans surprise traité ces non-signataires de « populistes » et dénoncer l’influence de l’« extrême droite » dans ces pays. Voilà donc un domaine où il est patent que la mondialisation, telle qu’elle est en réalité et non telle qu’on la rêve, va à l’encontre des intérêts nationaux du Québec. Un gouvernement comme la CAQ, avec son « nationalisme fort », pour parler comme la vice-première ministre Geneviève Guilbault, devra forcément se heurter au Canada de Justin Trudeau qui est, lui, un signataire enthousiaste de ce pacte. M’est avis que ce sont des heurts de cette sorte, inévitables dès que le Québec pose ses exigences nationales, qui peuvent mener à l’indépendance — à condition, toujours, comme je le disais, que nos parlementaires à Québec se sachent capables de légiférer en ce sens.


Autre chance de l’indépendance, le fait que le Parti québécois ait enfin cédé le créneau du national à d’autres. J’ai fait allusion plus tôt à ma campagne électorale de 2008 comme candidat du Parti indépendantiste dans la circonscription montréalaise de Bourget. Un des principaux arguments entendus au cours du porte-à-porte concernait le référendum comme stratégie pour l’indépendance : le scepticisme à cet égard était courant, je l’ai dit. L’autre argument, celui-là encore plus fréquent, était de dire : « Puisque vous êtes indépendantistes, pourquoi travaillez-vous contre le PQ au lieu de travailler avec lui ? » La réponse immédiate que nous fournissions consistait à signaler le programme non référendiste du PI, différence qui justifiait notre existence comme parti électoral tiers. Mais ça ne marchait pas davantage parce que les électeurs répliquaient aussitôt : « Vous devriez travailler à l’intérieur du PQ pour le faire changer de stratégie. » La leçon que nous en avons tirée après coup, du moins certains d’entre nous, a été la suivante. Puisque le PQ n’est pas réformable par le bas — plusieurs d’entre nous s’y étaient exténués — et qu’aucun chef ne se pointe pour le réformer par le haut, il n’y a pas moyen d’imposer un autre parti indépendantiste tant que le PQ sera là, toujours identifié à l’indépendance. Le PQ avait beau avoir de facto renoncé à l’indépendance, il n’y avait pas renoncé de jure : l’article un de son programme en faisait foi et, pour tout le monde, le PQ restait le parti de l’indépendance, y compris d’ailleurs pour les anti-indépendantistes — fait qui incitait les sympathisants indépendantistes même déçus à prendre sa défense. Il fallait donc, ou bien que le PQ se réaligne sur une vraie politique nationale, ou bien qu’il en désencombre le créneau. Or il a voulu demeurer dans le créneau sans se réaligner sur la politique nationale. Conséquence : les électeurs viennent de le chasser du créneau. Maintenant, à mon avis, le combat national ne passe tout simplement plus par le PQ. La chose à faire, même si la CAQ se dit non indépendantiste — alors qu’elle est remplie d’indépendantistes ! — est de l’appuyer dans ses mesures nationalistes (francisation du Québec, intégration des immigrants, etc.) et de la défendre contre les accusations de fascisme, de racisme et d’islamophobie dont les ennemis du Québec l’accablent. Actuellement au Québec, la question politique suprême est : qui intègre qui ? Sous les libéraux de Philippe Couillard, c’était le Canada anglais qui intégrait. La Coalition avenir Québec vient de mettre le holà et s’avance avec des mesures dont le sens est : désormais, le pôle d’intégration, c’est le Québec français. François Legault et son parti redonnent l’initiative à la nation.


Enfin, je pense que l’indépendance ne sera possible que si des hommes politiques — qui peuvent être des femmes, au cas où les féministes ne comprendraient pas — en font leur affaire et savent utiliser le pouvoir provincial à cette fin. Si les politiciens québécois ne se rendent pas compte qu’ils disposent de tout le pouvoir qu’il faut pour avoir tout le pouvoir, c’est-à-dire toute la légitimité requise pour proclamer l’indépendance du Québec, oublions l’indépendance. Les mobilisations de masse, les rassemblements populaires, les pétitions citoyennes que vous voudrez n’y changeront rien. L’appel à l’engagement des citoyens, à leur suffrage et à leur militantisme, c’est excellent et nécessaire pour arriver au pouvoir, c’est-à-dire gagner les élections. Mais ce sont ces gagnants-là qui votent l’indépendance à l’Assemblée nationale, de quelque parti qu’ils soient d’ailleurs, pas les citoyens. Jacques Parizeau aurait pu faire l’indépendance au lendemain du référendum volé de 1995. Pierre-Karl Péladeau aurait pu nous y amener s’il avait été fidèle à son poing levé et avait rénové le PQ en y amenant du sang neuf au lieu de s’associer aux éternels purs et durs de la mollesse. François Legault le pourrait lui aussi en profitant de la crise suscitée par les refus d’Ottawa aux demandes nationales de son gouvernement. Mais ça n’arrivera pas, à moins... qu’il me lise et comprenne qu’il en a la capacité !...


Faire de la politique, c’est faire l’histoire et on fait l’histoire quand on gagne. En histoire, seules les victoires comptent; les vaincus se partagent les raisons. Ne laissons plus les autres nous laisser les raisons en partage. Faisons notre histoire !


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* En guise de rappel : « Rêver l’indépendance ou la faire? Contribution à la stratégie indépendantiste » (Vigile, 3 mars 2003) ; « De l’usage indépendantiste du pouvoir » (L’Action nationale, mai-juin 2003) ; « Référendum ou indépendance? Aux sources d’un détournement politique » (L’Action nationale, mai-juin 2004) ; « À propos de ‘’Revoir le cadre stratégique’’ [de Robert Laplante] (Le Québécois, juin-juillet 2004) ; « La direction politique, facteur décisif » (L’Action nationale, mai 2005) ; « La souveraineté par mandat électoral : un vote pour le PQ est un vote pour l’indépendance » (L’Action nationale, oct. 2005) ; « Les élections et l’indépendance. Jouer au plus fin avec les électeurs n’est pas une option » (L’Action nationale, nov.-déc. 2007) ; « L’indépendantisme et les élections. Pas d’indépendance sans représentation » (L’Action nationale, sept.-oct. 2012) ; « Le pouvoir : levier de l’indépendance » (L’Action nationale, nov.-déc. 2010).


**Voici cette note in extenso : « Robert McKenzie citant René Lévesque en 1971. Extrait de Comment se fera l'indépendance, Éd. du Parti québécois, 1972, p. 19. Cette brochure reproduit en traduction française les propos de R. Lévesque, J. Parizeau, J.-Y. Morin et C. Laurin recueillis par le journaliste McKenzie dans une série de huit articles au Toronto Star parus du 6 au 15 novembre 1971. — Après la reculade étapiste de 1974, le PQ n'a jamais jugé bon réimprimer ce document ‘’historique’’ de 49 pages épuisé depuis longtemps. » — À l’époque, j’ai pu consulter cette brochure grâce au Centre de documentation du Parti québécois à l’Assemblée nationale, dont une responsable m’avait procuré une photocopie de l’unique original disponible.


***Lesbiennes, gays, bisexsuels (bigenres), transsexuels (transgenres), queer (altersexuels ou indécis), intersexuels, bispirituels (« two-spirit » — concept amérindien), non-binaire, asexuels et plus. Le + final indique bien la volonté de n’exclure personne, vraie phobie de ces obsédés du diversitaire. N’allez pas croire que c’est moi qui forge ce sigle abracadabrant pour les besoins de mon ironie. Au contraire, je le tire tel quel d’une page entière consacrée au « réseau pour la diversité sexuelle et de genre — Gaspésie-Les-Îles-de-la-Madeleine » parue dans le journal régional Graffici (février 2019) et payée par le ministère de la Justice du Québec.