"Les jeunes vierges du paradis" - Réponse à monsieur Parent

Tout est affaire de bon sens et de dialogue

Tribune libre

[Monsieur Parent->23957],
Vous écrivez :
Un dieu est un symbole d’ignorance. Il est commode d’expliquer l’inexplicable par un mythe quelconque.”
En quoi un dieu peut-il être un symbole d’ignorance ? Est-il commode d’expliquer l’inexplicable par un quelconque mythe ?

En général, les philosophes des religions considèrent que Dieu constitue une prémonition que possède l’homme, avant toute culture religieuse particulière, cela n’empêchant pas la diversité de ses figures, cette diversité dépassant les religions elles-mêmes. Le grand historien des religions Mircea Éliade affirmait que le mythe raconte comment, grâce aux exploits des Êtres surnaturels, une réalité est venue à l’existence, que ce soit la réalité totale, le Cosmos, ou seulement un fragment ; une île, une espèce végétale, un comportement humain, une institution.
C’est donc toujours le récit d’une création : on rapporte comment quelque chose a été produit, a commencé à être. Il s’agit donc d’un mode de perception de l’inconnu qui se fonde sur une somme d’éléments anciens, transmis par la tradition et traitant de dieux et d’êtres divins, de combats de héros ou de descentes aux enfers, etc. Pour la psychologie des profondeurs, ces éléments se retrouvent toujours à la base des contenus des mythes et subissent toutes sortes de transformations sans pour autant perdre leur pouvoir évocateur fondamental.
Les philosophes des sciences ou des religions et les anthropologues vous diront qu’effectivement, toutes les institutions créées par l’homme depuis la nuit des temps procèdent de ce mécanisme de base que Carl Jung associait à un instinct religieux qui le pousse à donner forme à des croyances sur lesquelles s’édifieront aussi bien la science que la religion. De la plus lointaine antiquité jusqu’à nos jours, on peut observer la véracité de cette affirmation. Ainsi, à notre époque, le mythe du phénomène ovni se voit-il étroitement associé à celui des dieux venus du ciel ou des esprits du mal venus des enfers. Dans un ouvrage consacré à la psychologie du phénomène ovni, j’ai démontré comment le mythe qui s’est édifié autour des manifestations qui l’entourent comble le besoin de l’homme moderne de renouveler le mythe de création du monde dans lequel il évolue, dans une perspective unifiant science et religion. Le mythe de la science et de ses héros bat sérieusement de l’aile lorsqu’on découvre soudain combien ils n’étaient pas toujours aussi désintéressés que leurs biographies nous le laissaient croire. Et que dire des idoles du sport ou du cinéma qui n’ont souvent de grand que l’argent qu’ils gagnent ? Sans parler de nos dirigeants politiques qui sont devenus de véritables experts en camouflage.
Lorsque vous écrivez que : “Chaque civilisation a eu son dieu, toujours le seul vrai d’ailleurs et chacune s’est battue pour lui et certaines personnes ont même perdu la vie pour lui, pour ce mythe omniprésent et omniscient dit-on. Réalisez-vous l’ânerie de perdre la vie pour un mythe ? Imaginez, devenir un martyr, quelle belle fin !”, vous faites référence aux religions institutionnalisées dont certaines factions sont tombées dans l’extrémisme où se mêlent ignorance, souffrance, mégalomanie et tyrannie.
Il est évidemment facile de faire le procès des croisades, de l’inquisition ou des missions. Bien sûr que les pires excès s’y sont produits. Mais pourquoi confondre tout cela avec le phénomène religieux et ce qu’il nous révèle sur nous-mêmes. Comme je l’ai déjà écrit sur Vigile, ce que tout bon psychologue sait et ce que tout bon théologien ou tout bon philosophe devrait savoir, c’est que l’appartenance à une religion implique une dépendance ainsi qu’une soumission à des données irrationnelles ne se rattachant pas directement à des conditions sociales ou physiques, mais qui émanent plutôt de l’attitude psychique d’un individu. Appartenir à une confession religieuse tient à une prise de position vis-à-vis le monde qui nous entoure, alors que la religion constitue d’abord une « relation » individuelle à Dieu ou une recherche de la libération.
L’éthique de toute religion repose sur ces bases. Bien sûr, plus grande sera l’institutionnalisation des confessions, plus grands seront les risques que les individus se perdent dans la masse des fidèles qui appartiennent à une religion donnée, mais qui n’en pratiquent finalement aucune. Dès lors, il s’agira davantage d’une affaire sociale où l’individu devient un rouage du système en dehors duquel il ne trouvera pas de salut. Or, l’homme a besoin d’être relié au monde extérieur et seule une organisation sociale lui permettra de s’accomplir. En même temps, il lui faut acquérir son autonomie spirituelle et morale s’il veut trouver un but à son existence. Même l’athée répond à ces critères.

Lorsque vous écrivez : “Ce qu’on oublie de dire c’est que ce mythe cache quelque chose de plus précieux pour l’homme : le pouvoir. Quel que soit la civilisation, l’époque ou le dieu qu’on vénère, les prêtres de ce dieu ont toujours été des privilégiés, des gens de pouvoir, ceux qui avaient des sous, les conseillers des rois, empereurs et tyrans de tout acabit. Tout le monde sait que le Vatican, entre autres, est scandaleusement riche et, à une certaine époque, régnait sur les rois du temps. Les chrétiens, les catholiques plus particulièrement, ont été des combattants féroces pour leur dieu, pour que finalement s’élargisse le cercle de leur pouvoir. Ils assassinaient à qui mieux mieux par la volonté de ce dieu adoré…” , vous ne parlez pas de la religion catholique ni même du Christianisme. Je vous crois suffisamment instruit pour savoir que vous ne les confondez pas avec les régimes théocratiques, où les institutions prétendent à des prérogatives leur accordant pouvoirs temporels et droit de décider pour leurs citoyens. Dans de tels systèmes, qu’ils soient chrétiens, musulmans ou judaïques, la soif de pouvoir voient évidemment les signes extérieurs de la foi ainsi que les rituels et leur puissance évocatrice perdent leur véritable sens et devenir des outils de propagande ou des gestes répétitifs accomplis par des êtres dénués d’authenticité sur le plan spirituel, mais bien décidés à ancrer leur domination qui repose sur une vision faussée de la vie spirituelle.
Vous dites encore : “Aujourd’hui, retour du pendule, ce sont les musulmans qui sont prosélytes, qui luttent pour agrandir leur influence, leur dieu Allah étant, là aussi bien sûr, le seul vrai dieu. On se déguise en martyr pour aller taquiner les jeunes vierges au paradis. On s’immisce dans les civilisations occidentales, lentement, comme un cancer qu’on voudrait généraliser. Leur but ultime est de prendre le contrôle de nos sociétés. Je n’invente rien, ils le disent ouvertement. C’est toujours la même chose, le même principe de pouvoir et de domination. Si nous n’y prêtons pas attention, c’est ce qui va se produire, nous ne serons plus maîtres chez nous, et tout ça se fera insidieusement, accommodements raisonnables suivis par d’autres accommodements dits raisonnables.” Ceci est peut être vrai pour les islamistes, mais je suis persuadé que ce n’est pas le cas pour les musulmans modérés, ni pour ceux qui parmi eux militent en faveur d’une interprétation plus contemporaine des préceptes de leur religion, basée sur les connaissances issues de l’étude les sciences humaines et de l’histoire comparée des religions. Plutôt que de m’en prendre à la faction intégriste, je préfère entamer un dialogue avec les hommes de bonne volonté qui ne manquent pas, même chez les musulmans.
Quant à l’affaire des minarets, je peux comprendre l’attitude suisse à leur égard, leur manque de vision sur l’épineuse question des accommodements les ayant conduits à des problèmes de coexistence de plus en plus ingérables. Cependant, nous sommes bien loin de pouvoir nous comparer à certains pays d’Europe. Le minaret dans la tradition musulmane joue le même rôle que le clocher dans les religions chrétiennes. Traditionnellement, le clocher nous invitait à participer au culte, aux différentes fêtes de l’année liturgique, à la prière (l’angélus) ; nous annonçait un décès (le glas), un baptême ou un mariage, nous prévenait d’un incendie, etc. Certaines villes d’Europe tiennent encore des concours de sonneries dont les équipes de sonneurs viennent du monde entier et font entendre des dizaines de différentes sonneries aux rythmes et aux sonorités toutes plus complexes les unes que les autres et qui émaillaient la vie quotidienne des diverses communautés dont elles émanent. De même, le chantre du minaret fait-il l’appel au culte et à la prière pour les membres de sa communauté. Les différents chants qu’il entonne appartiennent à la tradition et sont associés aux divers temps de l’année liturgique de leur pratique religieuse particulière. Ces chantres, pour employer une expression qui nous est propre, appartiennent à une confrérie qui remonte aux origines de la religion islamique et sont les détenteurs d’un art aussi complexe et raffiné que l’est celui de la tradition grégorienne dont nous avons, pour notre part, presque complètement oublié l’existence.

Nous avons, dans les années soixante-dix, décidé de faire taire nos clochers parce qu’ils dérangeaient la quiétude de nos quartiers. Nous en avons réduit l’emploi au minimum. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas en faire autant pour d’éventuels minarets. Au nom du respect du droit à la pratique religieuse, nous pourrions certainement permettre l’usage limité de l’appel à la prière ou à la célébration pour certaines périodes ou fêtes de l’année liturgique musulmane. Tout est affaire de bon sens et de dialogue.
Mon père, qui fut un grand liturgiste, m’a appris très tôt que dans la vie, il fallait savoir profiter de toute chose sans jamais abuser de rien.

Toutes les religions ont produit des êtres accomplis dont l’exemple ne peut qu’entrainer l’adhésion à une vie spirituelle authentique. Les navrantes hommeries des exploiteurs et des ignorants n’y changeront jamais rien. Les mythes et leurs divinités en participeront toujours ; ils sont parties intégrantes de ce que nous sommes et de ce que nous devenons.
Claude G. Thompson


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4 commentaires

  • Claude G. Thompson Répondre

    4 décembre 2009

    Monsieur Larose,
    Si nous détruisons nos clochers, c’est parce que nous ne participons plus à nos pratiques religieuses comme nous le faisions autrefois et que nos diocèses sont pour la plupart en faillite technique. Par ailleurs, certaines communautés se sont battues pour conserver leur église par respect pour leur histoire et leur patrimoine tout autant que dans le but de les utiliser ne serait-ce que pour célébrer mariages, baptêmes, funérailles et grandes fêtes de l’année liturgique auxquelles ils veulent encore participer.
    Il est vrai que les temps changent, mais « rester sur le plancher des vaches » ne signifie sûrement pas que nous devions interdire à autrui le droit bien légitime d’ériger ses propres lieux de cultes, qu’il s’agisse de mosquées ou de temples. À ville LaSalle, les sikhs ont construit un magnifique temple qui, loin d’être étranger à la culture locale, constitue au contraire une preuve d’intégration et un apport à notre culture. Comme pour les mosquées, contrairement à nous avec nos églises, les gens s’y rassemblent en grand nombre. De plus, ni les musulmans ni les hindous ni les individus appartenant aux différents cultes pratiqués au Québec ne sont des invités. Ils vivent ici et participent à notre vie collective en tant que citoyens québécois. La tolérance n’a rien à y voir, il s’agit plutôt d’une question de respect.
    Les minarets ne servent pas à marquer le territoire de l’Islamisme. Que des islamistes s’en servent à cette fin et en détournent le sens premier est une chose, mais la réalité historique nous apprend qu’il n'est pas une obligation coranique. Ils s’inscrivent plutôt, comme pour nos clochers, dans une tradition architecturale pour appeler les fidèles à la prière par la voix d’un muezzin, ou crieur. Le plus ancien minaret se trouve en Afrique du Nord à Al-Qayrawan en Tunisie, il fut construit entre 724 et 727. Le minaret, comme pour nos églises, n’occupe pas un espace privé, mais un espace public et, tout comme nos clochers et les coupoles des temples, indique la présence d’une communauté musulmane.
    Personne, que je sache, n’a demandé que soient érigés des minarets au Québec, encore moins qu’y soient assignés des muezzins. En France, la majorité des communautés musulmanes ne désirent pas qu’en soient érigés et ne voit pas l’utilité que pourrait avoir les appels à la prière de leur sommet. Il n’y a dans tout ça rien de gauchiste ni d’élitiste, encore moins qui aille à voir « à cirer » du peuple et de son identité. Ce n’est pas être bien pensant que de respecter nos concitoyens, cultures et religions comprises. Surtout, ça n’enlève rien aux nôtres, ça ne peut au contraire que les enrichir.
    Entre une éolienne dans votre cour et un temple, une église ou une mosquée dans un quartier, il y a une différence incommensurable, à moins que vous ne soyez un quartier à vous seul.
    Claude G. Thompson

  • Jean-François-le-Québécois Répondre

    2 décembre 2009

    Je suis pour ma part, agnostique.
    Je pense qu'en ce qui concerne l'existence de Dieu, on ne peut pas la prouver... comme on ne peut pas prouver qu'il n'existe pas, non plus.
    Mais on ne peut ignorer le besoin de spiritualité, chez l'être humain. Et le fait que les êtres vivants sont liés les uns aux autres, aussi.
    Alors, bien que je ne sois pas quelqu'un qui nécessairement croie en ce qu'on nous enseignait dans les cours de catéchèse, à l'école primaire, je garde un esprit ouvert. Ou j'essaie, en tout cas.
    Loin de moi l'idée que Dieu s'il existe, ressemble à un grand-père imposant, avec une grosse barbe blanche, et qu'il surveille chacun de nous à tout instant.
    Mais aux gens tels que Richard Martineau, qui résument tout le phénomène religieux et spirituel chez l'être humain, à «quelque chose que quelqu'un a écrit sur un parchemin», j'ai envie de répéter une phrase que je trouve intéressante: «un peu de science éloigne de Dieu, mais beaucoup de science rapproche de Dieu»...

  • Rodrigue Larose Répondre

    2 décembre 2009

    (Je viens de constater que je ne me suis pas identifié avant de poster le message commençant par Restons sur le plancher des vaches. C'est un commentaire du texte de Claude G. Thompson.)
    Rodrigue Larose

  • Archives de Vigile Répondre

    2 décembre 2009

    Monsieur Thompson,
    Restons sur le plancher des vaches.
    Les temps changent: la religion est devenue affaire privée. il ne s'érige pratiquement plus de fiers et religieux clochers. Au contraire, on les démolit. Pourquoi un invité viendrait-il ériger quelque chose de semblable, mais quasi totalement étranger à la culture locale, dans votre cours ou dans votre pays? Oui, j'entends: la tolérance...
    La population suisse ne s'est pas trompée: les minarets servent à marquer ostensiblement et publiquement le territoire de l’Islamisme . Ce n'est pas un secret. Leur multiplication est synonyme d'expansion religieuse et d'emprise sociale croissante. Au moment où l’on démolit les églises chrétiennes ou que celles-ci entrent dans le patrimoine historique et au moment où l'on a gagné la séparation des pouvoirs, les Suisses ont décidé de prévenir toute dérive ostentatoire pour éviter la propagation de la pandémie; car on ne peut ignorer les visées expansionnistes d'un certain Islamisme actuel.
    Un minaret, comme une église, occupe un espace plus que privé.
    Une de mes religions, c'est l'environnement. Soit. Bien que tourné vers les énergies vertes, j'imagine difficilement que la municipalité représentant les citoyens me laisserait installer un éolienne dans ma cours, dans le quartier en fait. Un petit sondage dans le voisinage m'en dissuaderait rapidement aussi. Le motif est pourtant des plus louable; et je suis chez moi. Personne ne voudrait voir ça dans le paysage ou l'entendre tourner. Avec raison. Sans problème, je comprendrais qu'ils sont concernés. En effet, mon geste privé a une portée publique non négligeable. Ainsi en est-il des minarets, aujourd'hui silencieux en occident; mais, au nom d'accommodements publics qui se seraient multipliés par ailleurs, qui sait un jour? Aussi bien trancher partout... à la suisse, à la racine. Fi d'une certaine élite gauchiste - qui n'a rien à cirer du peuple et de son identité - et bienpensante!