RAPPORT GAGNÉ

Un cheval de Troie dans le sirop d’érable

Comme économiste agricole, je suis inquiète

1a1bb172761d847642085adb173c4af3

Idéologie et économie font très mauvais ménage

Le rapport Gagné qui vient de paraître sur l’industrie acéricole québécoise fait couler beaucoup d’encre, et pour cause. Il a pour toile de fond une couleur très idéologique en plus de ratisser beaucoup plus large que son mandat initial.

De fait, le rapport émet des recommandations de libéralisation de la commercialisation du sirop d’érable sans vraiment en évaluer les conséquences, ni même expliquer la logique économique derrière l’organisation présente du secteur qui évolue dans une mise en marché collective. Libéraliser le secteur, voilà qui réglera bien des problèmes, dont celui de l’augmentation de la production acéricole américaine. L’économiste agricole en moi se sent interpellée, surtout lorsqu’on connaît l’historique de ce secteur. Qui plus est, ce rapport fait une recommandation qui va bien au-delà du secteur acéricole et qui propose de modifier la Loi sur la mise en marché des produits agricoles, alimentaires et de la pêche afin de permettre au ministre de l’Agriculture ou au gouvernement de formuler périodiquement des orientations sur l’organisation de la mise en marché collective de tel ou tel produit. L’économiste en moi est alors inquiète…

Qu’est-ce que la mise en marché collective ? C’est une organisation collective de la commercialisation des produits agricoles mise sur pied par les producteurs agricoles afin d’atténuer certaines imperfections de marché, comme on les appelle en économie. Cette organisation devient obligatoire une fois votée par une majorité de producteurs et est gérée par un office de producteurs avec une structure démocratique. Cette capacité de rendre l’organisation des producteurs obligatoire provient d’une délégation des pouvoirs coercitifs de l’État établie en 1956 au moyen de la Loi sur la mise en marché des produits agricoles. Cette loi consacre le principe que le désir de la majorité lie la minorité. À cette époque, le législateur avait pris grand soin de poser des balises aux pouvoirs délégués aux producteurs. Il a ainsi créé la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec (RMAAQ), un organisme paragouvernemental et semi-autonome qui assume, par exemple, le rôle de tribunal pour régler les conflits découlant de l’application de la loi, d’homologation des décisions des offices de producteurs et de protection de l’intérêt public. Cette organisation de la mise en marché des produits agricoles est utilisée dans toutes les provinces canadiennes et dans plusieurs secteurs agricoles.

Économie agricole 101

D’abord, cours d’économie agricole 101. Il est faux de croire que le laisser-faire en agriculture mène toujours aux vertus que l’on attribue à la main invisible, concept construit par Adam Smith au XVIIIe siècle et concept fondateur du libéralisme économique. Cette main invisible, en contexte de libre concurrence, fait en sorte que les individus et les entreprises, propulsés par leur intérêt personnel, se comportent dans un sens conforme à la prospérité générale. Or, ce concept est théorique, et la réalité a maintes fois montré que la coordination spontanée des ressources par le marché peut mener à une situation globale plus défavorable. Dans le secteur agricole, cela se traduit souvent par une instabilité constante des prix avec tous les effets que cela peut avoir sur les revenus agricoles, les niveaux d’investissements, etc. Une adaptation coordonnée, comme l’action collective, peut alors s’avérer plus performante pour l’ensemble d’une filière. Le rapport Gagné ne manque d’ailleurs pas de mentionner à plusieurs reprises que le secteur acéricole a connu un remarquable développement à la suite de la mise en place d’outils collectifs de mise en marché.

Parfois, notamment dans le secteur agricole, cette action collective doit être obligatoire afin d’être efficace. De fait, dans un contexte d’action collective, les agents économiques peuvent avoir des comportements individuels rationnels, mais qui s’avèrent irrationnels au niveau collectif. L’action collective avec contrainte de participation permet alors une plus grande efficacité de stabilisation et d’organisation des marchés. De fait, un système qui laisse le libre choix, comme le propose le rapport Gagné, crée ce qu’on appelle en économie des passagers clandestins, qui profitent des bénéfices de l’action collective sans en subir les contraintes.

Qui plus est, de nouvelles analyses économiques avancent que l’autorégulation de l’industrie encadrée par une institution publique peut mener à une meilleure efficacité économique que l’autorégulation de l’industrie ou l’intervention publique seules, lorsque l’incertitude environnementale est grande, comme il est souvent le cas en agriculture. La mise en place d’une mise en marché collective des producteurs encadrée par un dispositif institutionnel intègre et indépendant est donc en fait à l’avant-garde de son temps et est loin d’être dépassée comme certains l’affirment. La discipline économique évolue… elle aussi.
> Lire la suite de l'article sur Le Devoir


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->