Un « Collège royal » gouverne la Wallonie

Chronique de José Fontaine

C'est à nouveau le Premier ministre belge qui permet de comprendre à quel point la Wallonie est étouffée par un système politique opaque.
Premier ministre et bourgmestre
Ce jeudi 21 juin, le Journal télévisé de la RTBF diffusait une séquence où le Premier ministre fédéral Elio Di Rupo annonçait l'implantation de la firme suédoise IKEA à Mons et par là la création de 600 emplois. Il le faisait cependant non en tant que Premier ministre fédéral, mais comme bourgmestre de Mons! Certes «en titre» comme le sous-titrait le JT. Ce n'est pas une première : bien des ministres régionaux voire nationaux gardent leur fonction de bourgmestre. Sans cependant exercer celle de maire, les deux étant incompatibles. Mais dès qu'ils ne sont plus ministres, ils redeviennent bourgmestres. Et tout le monde sait aussi que le fait qu'ils ne le soient plus que «en titre» (ou qu'ils sont «empêchés» selon une autre façon de s'exprimer), justement ne les «empêchent» pas de rester le vrai bourgmestre. Le Premier ministre belge se présente d'ailleurs comme candidat bourgmestre aux élections communales à Mons en octobre prochain! Et l'annonce des 600 emplois d'IKEA, c'est aussi en vue des élections communales montoises. Je crois que du moins ceci, cela ne s'était jamais vu. Mais vient de loin.

Le vrai problème de ces cumuls
Le vrai problème de ces cumuls n'est pas d'abord le fait que ces bourgmestres «empêchés» (le mot est décidément joli!), mais qui continuent en réalité à tout faire, dirigeraient mal leur ville. Ils disposent d'un entourage suffisamment étoffé pour assumer de fait ces deux fonctions (et bien d'autres, on va le voir). Ils peuvent même se permettre de décider que leur remplaçant (dit «bourgmestre faisant fonction»), soit un politique de moindre envergure que des collègues locaux, cela afin que soit assurée la pérennité mayorale (en français de Wallonie c'est ainsi que l'on nomme les maires : mayeur ou maïeur), du Grand Empêché. Le vrai problème de ces cumuls, c'est qu'on les retrouve, aujourd'hui (car ce n'était pas aussi poussé auparavant), à pratiquement toutes les fonctions politiques de la Belgique wallonne (et francophone), moins en Flandre. Les présidents de partis politiques chez nous ont hérité (de fait) des prérogatives qui étaient autrefois celle du roi, de nommer les ministres. Surtout dans les Etats fédérés et surtout à la tête de la Wallonie (en Flandre le Premier ministre flamand est à la barre d'emblée). Les monarques constitutionnels pouvaient être de cette façon d'autant plus influents qu'ils exerçaient un pouvoir non pas public, directement soumis aux critiques et controverses publiques, mais un pouvoir d'influence sur leurs ministres, très déterminant durant une très longue partie de notre histoire. Et d'autant plus que ce pouvoir échappait, lui, à la vue du public.
Un Collège de présidents-rois à la tête de la Wallonie
En Wallonie, le chef de l'Etat (au sens belge : le roi nommant ses ministres), n'est pas une seule personne, mais le Collège des présidents de partis qui désignent les ministres régionaux. Un collège royal! Il suffit d'ailleurs d'entendre les ministres. Bien que théoriquement nommés par le Parlement wallon, ils se réfèrent à leur seul parti et surtout au président de ce parti qui les a désignés. La nature de leurs responsabilités ne semble pas être un mandat de la population wallonne.
Qui l'eût cru? Bien que devenu Premier ministre, Elio Di Rupo a nommé à sa place de président du PS, un président «faisant fonction», mais est demeuré «Président en titre». Voici un calife qui ne veut pas perdre sa place de faiseur de califes. Notons à sa décharge qu'il ne porte plus un noeud papillon rouge mais par exemple violet et qu'il ne chante plus l'Internationale, étant devenu le Président de tous les Belges. Vraiment l'homme de la Synthèse, au minimum hégélienne.
L'opinion perçoit toutes ces étrangetés et n'a donc pas le sentiment d'avoir un vrai gouvernement wallon. Surtout que la Wallonie (comme entité politique), est très neuve (1980), qu'elle paraît en outre comme subordonnée au pouvoir fédéral. Sans doute, est-ce faux. C'est même en Belgique que le pouvoir des Etats fédérés est le plus grand par rapport à l'Etat fédéral. Mais comme le pouvoir à l'échelon fédéré est exercé en fait (certes pas directement), par un collège «royal» de présidents de partis qui jouent leur jeu à ce niveau (ils nomment leurs femmes et hommes dans les gouvernements), mais aussi au niveau fédéral, communautaire et européen, la réalité d'entités comme la Wallonie s'estompe voire s'efface dans le méli-mélo de gens qui semblent jouer plusieurs parties de football à la fois. C'est évidement une mauvaise chose pour la Wallonie et pour la démocratie.
La langue de bois d'un système qui donne la berlue
Le passage en Belgique de l'Etat unitaire à l'Etat fédéral a jusqu'ici ajouté des nouveaux parlements, gouvernements à un système déjà bicaméral depuis 1830. Bruxelles francophone et la Wallonie sont deux entités distinctes. Mais ont trois parlements avec celui de la Communauté française qui ne s'occupe quasi que de l'enseignement supposé commun et indivisible. Et il y a le Parlement européen, élu directement depuis 1979. Elio Di Rupo a commencé sa carrière politique en devenant député fédéral en 1987. Deux ans plus tard, il devint parlementaire européen et puis... C'est vraiment emblématique du dramatique méli-mélo qui nous tue : il a été candidat à tout (on peut parfois l'être à deux parlements distincts et puis on choisit), a été présent dans toutes les assemblées imaginables, tous les gouvernements auxquels peut accéder un homme politique wallon ou bruxellois francophone. Sauf le bruxellois (et la Commission européenne où tout espoir n'est pas perdu), mais c'est tout de même une carrière exceptionnelle, emblématique d'un système qui donne la berlue. On comprend que Di Rupo se présente comme la Synthèse vivante du système dont il jouit. Sa personne dissimule l'absurde et inutile complexité de ce système. En votant pour lui, plus besoin de rien comprendre.
Il a des émules. Le génial Maxime Prévot, député wallon démocrate-chrétien (la famille politique la plus antiwallonne), déclarait au JT du 20 juin que telle mesure était nécessaire «dans la partie sud du pays», langue de bois permettant d'éviter le mot «Wallonie». M.Prévost est pourtant le bourgmestre (encore un!), d'une ville située au centre de cette «partie du sud du pays», où se célèbrent, selon une tradition presque centenaire, les fêtes de la (re-langue de bois) «partie francophone du pays». Rejetant récemment toute idée que la Wallonie se donne une constitution à l'instar de la Flandre, il disait préférer à cette démarche, lourde de la signification qu'il n'y veut pas voir, «les vrais problèmes des gens».

Quand la politique rejette la politique
Le véritable tournis que donne la vibrionnante carrière du Premier ministre belge (dont il peut seul faire la «synthèse»), la langue de bois des responsables wallons, la soif de pouvoir de la présidentocratie (néologisme bien formé pour désigner cette nuisance grave), dont des hommes d'expérience ont fait l'analyse en termes brefs et durs auxquels je renvoie, ne semblent pas faire problème aux yeux de nombreux observateurs. Même s'ils diront aussi que la «partie sud du pays» devra bientôt s'en tirer seule. Il est possible aussi qu'ils n'y croient pas vraiment.
Un homme politique comme Maxime Prévost y fait songer (Di Rupo a malgré tout plus de classe). Il n'est pas normal en effet qu'un député de la Wallonie, au surplus bourgmestre de Namur, sa capitale, en parle comme de la «partie sud du pays» : s'il prenait vraiment au sérieux le fait que la Wallonie devra s'en tirer seule dans dix ans, il n'en parlerait pas comme de la «partie» d'un pays. Certes, il est l'élu d'une ville dont la petite bourgeoisie est hostile à l'autonomie wallonne. Mais jouer aussi - comme élu!- au poujadiste et à l'antipolitique en déclarant que seuls les problèmes des gens l'intéressent, c'est supposer que les problèmes politiques n'ont pas d'importance (mais alors pourquoi faire de la politique?), et mépriser ses concitoyens, ce mot dont la racine grecque signifie justement «Politique»! La «synthèse» des uns, les discours faux des autres sur les «vrais problèmes des gens» annoncent que cette« partie du pays», ils la vouent d'avance au silence et à la servitude. Alors que le seul «vrai problème» de tout être humain - en Wallonie comme ailleurs - contrairement à ce qu'ils disent pour se faire élire, c'est la démocratie. Et la liberté.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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