Centre-ville de Montréal

Un commerce sur cinq viole la Charte

L’Office québécois de la langue française prône une approche plus contraignante

Le français — la dynamique du déclin


Guillaume Bourgault-Côté - Dire bonjour dans les deux langues n’est certes pas interdit par la Charte, note la présidente de l’Office, Louise Marchand. « Mais ça peut constituer un irritant qui donne l’impression aux gens que Montréal s’anglicise », dit-elle.
Un commerce sur cinq : c’est le nombre d’établissements du centre-ville de Montréal qui enfreignent la loi 101 en affichant en anglais seulement leur nom d’entreprise, selon la plus vaste étude menée à ce jour sur le sujet par l’Office québécois de la langue française (OQLF). Celui-ci promet d’adopter une approche plus coercitive pour convaincre les franco-résistants de se conformer.
Au centre-ville de Montréal, deux études menées en 2010 et en 2012 par l’OQLF auprès des mêmes 400 établissements montrent que 18 % des commerces présentent un affichage de leur nom d’entreprise non conforme à la Charte de la langue française. Les deux tiers de ce groupe ont une marque de commerce (comme Home Depot ou Canadian Tire) non conforme, parce qu’elle n’est pas accompagnée d’un descriptif en français (Lunetterie New Look). Entre les deux études, la cohorte des récalcitrants a toutefois diminué (de 23 % à 18 %). Ce sont surtout les commerces situés dans des centres commerciaux qui sont fautifs (27 % de non-conformité).
Quant aux statistiques sur la langue de service et d’accueil - le premier bonjour/hello -, elles montrent que le français peut être parlé pratiquement partout (95 % des commerces offrent un service en français), mais pas nécessairement du premier coup. En 2010, 89 % des commerces visités par des enquêteurs incognito accueillaient ainsi leurs clients en français, contre 10 % en anglais. Deux ans plus tard, l’accueil en français a diminué à 74 %… au profit d’un accueil bilingue et anglais (13 % chacun).
Dire bonjour dans les deux langues n’est certes pas interdit par la Charte, note la présidente de l’Office, Louise Marchand. « Mais ça peut constituer un irritant qui donne l’impression aux gens que Montréal s’anglicise », dit-elle.
Le sondage réalisé en 2010 touchait de manière plus globale 3500 commerces de l’île de Montréal (dont les 400 qui ont été revisités deux ans plus tard pour préciser les informations relatives au centre-ville). Dans ces commerces de l’île, l’accueil se faisait à 84 % en français, le français était possible comme langue de service dans 96 % des cas et les noms d’entreprises étaient conformes à 83 %.
L’OQLF a observé que l’affichage de tous les messages des commerces (les heures d’ouverture, les annonces de promotions, etc.) était correct dans 72 % des cas… donc non conformes pour plus du quart d’entre eux.

Service français? Bof…
C’est la première fois que l’OQLF mesure aussi précisément l’état des lieux du français dans le Montréal commercial : les comparatifs s’établiront donc à partir de cette enquête. Les données de l’étude ont toutefois déjà le mérite d’éclaircir un tableau qui demeure plus sombre dans la perception des Montréalais.
Deux sondages téléphoniques commandés en parallèle par l’Office auprès d’environ 2500 personnes donnent ainsi des résultats laissant entrevoir une plus forte présence de l’anglais que ce que l’OQLF a mesuré sur le terrain. Dans les six mois précédant le sondage, 40 % des répondants s’étaient fait accueillir au moins une fois dans une autre langue que le français, et 23 % n’ont pu obtenir de services en français.
En même temps, ils sont « seulement 57 % des francophones à réclamer un service en français quand le premier contact est en anglais, déplorait hier Louise Marchand. C’est important que les citoyens prennent ce dossier à bras-le-corps, car le français est l’affaire de tous, dit-elle. Il me paraît fondamental d’exiger d’être servi en français. »
Mais au-delà de cet engagement citoyen (dont on peut prendre une partie de la mesure par le nombre record de plaintes reçues par l’OQLF en 2011-2012, soit 4067 - 46 % concernent l’affichage), Mme Marchand a promis hier que l’office se montrera dorénavant plus sévère dans son action pour convaincre les entreprises fautives de se conformer.
« Il y a un problème avec l’affichage, a-t-elle dit. Nous avons lancé une grande campagne cet automne : certains dossiers avancent, certaines entreprises sont récalcitrantes. Alors nous avons amorcé une approche plus convaincante : soit des avis de mise en demeure avant la transmission du dossier au Directeur pénal des poursuites, soit une suspension du permis de francisation. »
Comme annoncé le 30 mars, l’Office n’attendra plus désormais que des plaintes soient déposées pour lancer des enquêtes. « Nous allons entreprendre une opération d’envergure pour augmenter la place du français dans le paysage linguistique, a soutenu Mme Marchand. C’est notre travail, nous allons le faire. »

Le PQ inquiet
Il était temps, a commenté Yves-François Blanchet, porte-parole du Parti québécois en matière de langue. L’engagement pris par Mme Marchand d’entreprendre des démarches auprès des entreprises en infraction n’est pour lui qu’une preuve que l’Office « vient de décider de faire sa job ».
Plus largement, le PQ trouve « très inquiétant » le recul de l’accueil des clients en français dans les commerces du centre-ville, alors que l’accueil bilingue a progressé. « Les commerces de Montréal et du centre-ville de Montréal savent que, de plus en plus, leur clientèle va vouloir qu’on s’adresse à elle en anglais, a indiqué M. Blanchet. Ça veut dire qu’il y a une anglicisation générale de la zone centre-ville de Montréal ».
Selon M. Blanchet, les études confirment qu’il n’y a pas de progression significative du français dans l’affichage. « On ne va pas se donner un bilan positif sous prétexte que les choses sont constantes », a-t-il dit, dénonçant par ailleurs que dans un commerce sur 20, il est impossible de se faire servir en français.
La ministre responsable du dossier linguistique, Christine St-Pierre, a quant à elle estimé que « les études de l’Office dressent un portrait nuancé de la situation ». Mme St-Pierre s’est toutefois dite « préoccupée par la baisse entre 2010 et 2012 du français comme seule langue d’accueil au profit d’un accueil bilingue », de même que par le taux de non-conformité de l’affichage des commerces.
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Avec Robert Dutrisac


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