Un malaise persiste

Son but alors n'est-il pas d'avoir ce qu'il veut en donnant ce qui lui coûte peu?

La Lettre du cardinal Marc Ouellet

Il est difficile d'être contre la vertu. Lorsqu'une personne ou une institution a mal fait, qu'elle reconnaisse son tort est une bonne chose, qu'elle en demande pardon est encore mieux, qu'elle s'amende est l'idéal.

C'est sans doute ce que cherche à faire le cardinal Ouellet dans sa lettre ouverte. Celle-ci a le mérite de son courage, de la reconnaissance explicite de la laïcité et de son appel à relire lucidement notre histoire collective sans chercher à sauver à tout prix les actions et attitudes de l'Église ou de son clergé.
Pourtant, un malaise persiste à la lecture de son texte.
D'abord le fait que le cardinal mêle dans le même texte une démarche de pardon avec une revendication, celle du retour à l'école de l'enseignement de la religion, me dérange. Pour que le pardon soit réel, il est nécessaire qu'il ne soit d'aucune façon conditionnel ou attaché à quoi que ce soit d'autre. Les deux démarches auraient dû être séparées.
Le contexte de la lettre me laisse entendre que le cardinal nous dit au fond: je vous donne quelque chose, vous me donnez en retour. Son but alors n'est-il pas d'avoir ce qu'il veut en donnant ce qui lui coûte peu? Cela m'étonnerait, mais son texte y donne prise, malheureusement.
Pour que la démarche de pardon soit pleine de sens, il serait souhaitable que les mea-culpa nécessaires viennent de l'Église, idéalement des évêques réunis en assemblée, ou des prêtres et des fidèles réunis pour y réfléchir en synode, par exemple, et pas d'un seul homme. Le chemin de la réconciliation serait alors plus difficile, plus long, mais d'autant plus fécond parce que fondé en vérité.
Le cardinal semble faire encore une fois cavalier seul par rapport à ses frères évêques du Québec et à l'Église du Québec en voulant régler rapidement d'un trait de plume le rôle de l'Église catholique dans l'histoire de notre nation.
Enfin, il est désolant que le cardinal reproduise ce qu'il dénonce au sujet de l'histoire. Il a tout à fait raison d'écrire qu'on «accorde beaucoup plus d'attention au passif de l'Église qu'à sa contribution active à l'histoire et à la culture québécoise». La suite de son texte ne mentionne malheureusement que le passif de notre Église, et encore là, sans réelle réflexion et analyse en profondeur des différents reproches faits à l'Église et passe sous silence la contribution active de l'Église. La direction est bonne, mais j'ai bien peur qu'il aille trop vite.
D'ailleurs, il est plutôt du ressort de notre responsabilité collective, à titre de nation, et surtout pas seulement de l'Église, de nous assurer que le regard que nous portons sur notre histoire reflète bel et bien la réalité. Cette démarche implique que nous nous libérions du regard à chaud sur notre histoire que nous avons hérité des acteurs du temps et des lendemains de la Révolution tranquille. Il nous revient à tous et chacun, personnellement et collectivement, de tabler sur la perspective que donne le recul pour comprendre ce qui s'est réellement passé.
Car il existe d'autres manières de lire notre histoire, autrement que sous l'angle d'une rupture avec le passé et de l'identification de boucs émissaires. Par exemple, celle proposée par Michael Gauvreau, un intellectuel anglophone qui voit la Révolution tranquille en continuité avec le catholicisme québécois plutôt qu'en rupture. (The Catholic Origins of Quebec's Quiet Revolution, 1931-1970, McGill - Queen's University Press, 2005) C'est la preuve qu'à tout le moins un débat serein s'impose à ce sujet.
Reste le sujet d'un retour de la religion à l'école. Le cardinal revient à la charge pour demander le retour de l'enseignement religieux à l'école. Il ajoute toutefois une nuance importante de manière très explicite: cet enseignement se ferait à l'école, mais pas par l'école.
La proposition vaut assurément la peine qu'on s'y arrête, au moins du côté de l'Église catholique, mais aussi à un niveau plus large: une telle manière de faire serait-elle vraiment contraire à une saine laïcité?
De plus, il m'apparaît important de réfléchir aux arrimages possibles entre la proposition du cardinal et ce qui se fait présentement dans les différentes paroisses du Québec pour l'éducation à la foi des jeunes. Car il faut le reconnaître: jusqu'ici, la laïcisation des écoles a été bénéfique à l'Église puisqu'elle a insufflé un dynamisme aux paroisses que beaucoup ne croyaient plus possible.
Malheureusement, sur ce point encore, le cardinal semble faire cavalier seul, ce qui enlève de l'impact à sa proposition: à ma connaissance, cette hypothèse n'a pas été discutée par les évêques réunis en assemblée, et si elle l'a été, elle ne semble pas faire l'unanimité. Ce serait à vérifier.
Je ne doute pas des bonnes intentions du cardinal: pour le connaître personnellement, c'est un homme que nous avons avantage à connaître. Mais je me dois de reconnaître du même souffle que sa précipitation rend l'exercice plus difficile et risque fort de faire plus de mal que de bien, tant à l'Église qu'à notre société.
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Pierre Murray
L'auteur est prêtre, curé de la paroisse Bienheureux François de Laval et professeur de philosophie au Grand séminaire de Montréal.
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L'auteur est prêtre, curé de la paroisse Bienheureux François de Laval, à Laval, et professeur de philosophie au Grand Séminaire de Montréal





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