La sentence du 28 juin 2010 du Tribunal constitutionnel espagnol n’a pas été bien accueillie en Catalogne, comme en fait foi la manifestation du 10 juillet 2010 qui a rassemblé à Barcelone plus d’un million de Catalans. Le Tribunal déclare entre autres que les références à la «Catalogne comme nation» et à «la réalité nationale de la Catalogne» contenues dans le préambule du Statut d’autonomie n’ont aucun effet juridique interprétatif.
Dans une sentence prononcée le 28 juin 2010 et après un délai de quatre ans, qui est inconcevable dans un État de droit qui se respecte, le Tribunal constitutionnel espagnol statuait sur un recours en inconstitutionnalité de la loi organique 6/2006, du 19 juillet, concernant la réforme du Statut d'autonomie de la Catalogne dont il avait été saisi le 31 juillet 2006 par 99 députés du Parti populaire (PP).
Ce recours avait été pris quelques semaines à peine après l'approbation du statut par la voie d'un référendum tenu en Catalogne le 18 juin 2006 et à l'occasion duquel le OUI l'avait emporté avec 73,9 % des suffrages exprimés. Le Statut ainsi approuvé avait auparavant fait l'objet d'un vote favorable, tant au Parlement catalan qu'au Parlement espagnol.
Dans sa sentence à laquelle sont jointes les opinions individuelles de cinq des dix juges du tribunal, le Tribunal déclare d'abord que les références à la «Catalogne comme nation» et à «la réalité nationale de la Catalogne» contenues dans le préambule du Statut d'autonomie n'ont aucun effet juridique interprétatif. Le tribunal déclare ensuite 14 dispositions du Statut d'autonomie inconstitutionnelles, et donc, nulles.
Catalan
Parmi les dispositions qui sont ainsi privées d'effet, on note celle qui prévoit que «le catalan est la langue utilisée "de préférence" par les administrations publiques et les médias publics de Catalogne». La volonté de la Catalogne d'administrer la justice sur son propre territoire est freinée par le Tribunal constitutionnel espagnol, qui annule certaines dispositions du Statut conférant des pouvoirs au Conseil de justice de Catalogne. Plusieurs dispositions du Statut relatives aux compétences économiques sont également déclarées inconstitutionnelles, comme le sont des compétences fiscales, et notamment «la capacité législative d'établir et de réguler les impôts propres des gouvernements locaux».
Tout en ne déclarant pas inconstitutionnelles 24 autres dispositions du Statut d'autonomie, le Tribunal précise que leur constitutionnalité n'est assurée que dans la mesure où elles sont interprétées en conformité avec les principes juridiques («fundamento juridico») énoncés par le Tribunal. Parmi les dispositions dont la «précarité» constitutionnelle saute aux yeux, l'on compte celle qui enchâsse les «droits historiques du peuple catalan» et vise «la reconnaissance d'une position particulière de la Generalitat en ce qui concerne le droit civil, la langue, la culture, ainsi que la projection de celles-ci dans le domaine de l'éducation et le système institutionnel dans lequel est organisée la Generalitat».
L'article du Statut d'autonomie proclamant que «[l]e catalan est la langue officielle de la Catalogne» est également assujetti, selon le Tribunal constitutionnel, aux principes juridiques énoncés par celui-ci, comme l'est également la disposition qui prévoit que «[l]a Catalogne, définie en tant que nationalité à l'article 1, a comme symboles nationaux le drapeau, la fête et l'hymne». Plusieurs droits et devoirs linguistiques énoncés dans le Statut sont de même susceptibles d'être limités dans leur portée par le Tribunal, qui les assujettit au respect de sa jurisprudence constitutionnelle.
Influence
Cette jurisprudence et les principes juridiques qu'elle a engendrés pourraient exercer, comme l'énonce le Tribunal, une influence sur l'interprétation de plusieurs autres dispositions du Statut d'autonomie, qu'il s'agisse de celles qui concernent le gouvernement local et le régime juridique des régions, l'exercice des compétences partagées et exécutives, et en particulier celles dans des domaines aussi névralgiques pour l'identité catalane que la culture, le droit civil et l'immigration, mais également les finances de la Generalitat (l'organisation politique de la Catalogne).
S'agissant de l'article 122 du Statut d'autonomie, selon lequel «la Generalitat a une compétence exclusive pour établir le régime juridique, les modalités, la procédure, la réalisation et la convocation, par la Generalitat elle-même ou par les entités locales, dans le domaine de leurs compétences, d'enquêtes, d'audiences publiques, de forums de participation et de tout autre instrument de consultation populaire, exception faite de ce qui est prévu à l'article 149.1.32 de la Constitution», le Tribunal a affirmé qu'il n'était pas inconstitutionnel.
Mais, dans son opinion individuelle, le juge Jorge Rodriguez-Zapata Perez ne semble pas hésiter à affirmer l'inconstitutionnalité de cette disposition du fait qu'elle confère à la Generalitat une compétence exclusive pour la convocation de consultations populaires. Il cite d'ailleurs à cet égard la loi 4/2010, du 17 mars, sur les consultations populaires par voie de référendum adoptée par le Parlement de Catalogne qui, selon lui, enfreint les compétences de l'État espagnol en la matière.
Mauvaise réception
La sentence du 28 juin 2010 n'a pas été bien accueillie en Catalogne, comme en fait foi la manifestation du 10 juillet 2010 qui a rassemblé à Barcelone plus d'un million de Catalans. Ce non massif à la sentence du Tribunal constitutionnel espagnol devrait avoir un effet déterminant sur les relations entre la Catalogne et l'État espagnol, et notamment sur la suite du processus de consultation sur l'indépendance organisée par la société civile dans les diverses municipalités catalanes, ainsi que la prochaine élection générale en Catalogne, prévue pour l'automne 2010.
Comme pour bien d'autres aspects de leur vie nationale respective, la situation de la Catalogne et celle du Québec présentent d'étonnantes analogies. Ainsi la nation québécoise s'est-elle fait imposer, avec l'aval de la Cour suprême du Canada, un nouvel ordre constitutionnel par la proclamation, sans son consentement, de la Loi constitutionnelle de 1982. Aujourd'hui, c'est la Catalogne qui se voit imposer, en dépit d'un Statut d'autonomie qui a été approuvé par son peuple à l'occasion d'un référendum, un ordre constitutionnel par dix juges qui récusent ainsi la souveraineté populaire.
On comprend dès lors que les Catalans aient choisi de dire haut et fort le 10 juillet dernier, en réponse à la sentence du 28 juin 2010: «Nous sommes une nation. Nous décidons pour nous-mêmes.» Le droit pour la nation catalane de choisir son statut politique est appelé à devenir un enjeu majeur dans les prochains mois, et il est à espérer que l'État espagnol, comme en a finalement pris acte l'État canadien, comprendra que dans une véritable démocratie, ce droit collectif est fondamental.
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Une traduction française du résumé de la sentence du Tribunal constitutionnel espagnol et le texte des articles pertinents du Statut d'autonomie sont disponibles à l'adresse [www.danielturpqc.org->www.danielturpqc.org].
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Daniel Turp - Professeur à la Faculté de droit de l'Université de Montréal
Statut d'autonomie de la Catalogne
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