Un soufflé à la Harper

Canada-Québec - sortir ou rester ? <br>Il faudra bien se décider un jour...




Comment peut-on se représenter le fédéralisme nouveau genre que Stephen Harper et les conservateurs nous concoctent à Ottawa ? Cette question me rappelle la façon dont on présente le fédéralisme dans les manuels de politique américaine.


Dans l’esprit des Fêtes, il est intéressant de noter que les politologues américains illustrent les différentes façons d’entrevoir le fédéralisme fiscal à l’aide d’analogies culinaires. Par exemple, le fédéralisme en « gâteau à étages » évoque une division claire et hiérarchique des compétences, alors que l’image du « gâteau marbré » renvoie à un fédéralisme où les compétences et le financement sont plus malléables et où les distinctions entre niveaux de gouvernement sont plus floues.
Comment, alors, se représenter les plans du gouvernement Harper pour « moderniser la fédération » en restreignant le pouvoir fédéral de dépenser dans des domaines de compétence provinciale ? D’aucuns pourraient y voir un fédéralisme où 10 ou 13 « petits gâteaux » distincts peuvent être garnis à souhait, mais ceci sous-estimerait la vision unifiée que Stephen Harper se fait du pays.
Et pourquoi pas un soufflé ? Comme chacun sait, il s’agit là d’une expérience culinaire des plus délicates. Les attentes montent en même temps que le mélange – qui consiste en très peu de choses – gonfle et gonfle. Puis, selon le talent du chef, les conditions ambiantes et la position des astres, on obtient un chef-d’œuvre de simplicité et de délicatesse… ou un fiasco total où tout s’écroule.
Harper aura-t-il le doigté qu’il faut pour faire lever ses promesses de « fédéralisme d’ouverture » ? Peut-on vraiment voir les changements qui permettraient de croire que c’est possible ?
Au Québec, les propositions de Harper ont été reçues avec enthousiasme par certains, avec prudence par d’autres. Le minimalisme des ingrédients ne permet pas de se faire une idée claire du produit final.
Toutefois, avec une pincée de reconnaissance à l’UNESCO par ci, une poignée de motion sur la nation par là, le tout agrémenté d’un soupçon de respect des compétences constitutionnelles, le plat semble irrésistible.
Est-ce le dessert que les Québécois attendaient depuis si longtemps ?
Les observateurs hors Québec pourraient dire qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. La reconnaissance de la nation québécoise est insignifiante pour la plupart des Canadiens, qui ne lui attribuent aucune valeur politique.
Cependant, le nouveau fédéralisme fiscal à la Harper est perçu comme un virage d’Ottawa d’un engagement social à un rôle plus strictement économique. Le social, on laisse ça aux provinces.
Ce n’est pas tant que le fédéral renonce à son pouvoir, mais plutôt qu’il redirige ses velléités de contrôle sur les enjeux économiques.
On n’arrive toujours pas à saisir où Harper veut en venir au sujet des rôles et responsabilités des différents ordres de gouvernement. Ce qu’on voit a beaucoup moins à voir avec la place du Québec dans la fédération qu’avec la vision conservatrice du rôle social de l’État.
L’idée que le fédéralisme puisse être mis à contribution pour redistribuer les ressources en vue du bien commun est absente de cette vision. On n’y retrouve pas non plus de volonté réelle de reconnaître les Québécois d’une façon qui corresponde à leur propre perception de leur identité, de leurs besoins et de leurs intérêts.
Un espoir de renouveau
Il faut reconnaître que, pour plusieurs Québécois, Stephen Harper a suscité un espoir de renouveau du fédéralisme. Mais ce qu’il propose est-il une recette pour une fédération harmonieuse ou un désastre en puissance ?
On est déjà passé par là avec Brian Mulroney, dont la recette semblait avoir les ingrédients qu’il fallait, mais qui n’a pas pu livrer ses promesses.
Stephen Harper est peut-être un meilleur cuistot, mais sa recette est-elle la bonne ? Et si c’est la bonne, saura-t-il combiner la force et l’adresse qu’il faut pour que tout cela fonctionne ? Enfin, et surtout, quel est son but ? Que veut-il faire du pays ?
Au Québec, plusieurs voient dans le fédéralisme d’ouverture le meilleur espoir pour convaincre les Québécois d’accepter la légitimité du Canada. Il me semble que ce n’est là que la moitié du chemin à parcourir. L’autre moitié, celle qui a ruiné le soufflé constitutionnel de Brian Mulroney, consiste à convaincre les Canadiens de la légitimité des aspirations du Québec à une réelle reconnaissance de sa différence, assortie des moyens d’en assurer la pérennité.
Il est difficile de savoir où s’en va cette fédération, mais il est facile de voir quel est le problème avec le discours actuel sur la modernisation du fédéralisme : on vend le fédéralisme aux Québécois dans un emballage différent de celui qu’on propose aux autres Canadiens.
Il faut dire la même chose au Québec et au reste du Canada et il faut que ce fédéralisme nouveau soit un projet en soi et non une occasion de faire des gains politiques à court terme avec des faux-fuyants et des recettes risquées fondées sur pas grand-chose.
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Antonia Maioni
L’auteure est professeure de science politique à l’Université McGill.
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