LE SOLEIL - RÉFLEXION

Le Québec, une construction artificielle

Canada-Québec - sortir ou rester ? <br>Il faudra bien se décider un jour...

Les mémoires de Jean Chrétien rappellent l'importance qu'a revêtue, lors du dernier référendum, la question du maintien de l'intégrité du territoire en cas de geste concret du Québec vers l'indépendance. En matière de réflexions territoriales, il est intéressant de rappeler aujourd'hui ce qu'écrivait dès 1980 le politologue québécois bien connu Daniel Latouche dans un livre remarquable : À la remorque des transports.
Selon Latouche : «L'espace québécois n'est pas un espace "naturel". À regarder une carte, on a l'impression que c'est un territoire qui va de soi, puisque la grande majorité de ses frontières sont maritimes : baie James, baie d'Hudson, détroit d'Hudson, baie d'Ungava, océan Atlantique. Pourtant, au sud, où se concentre la population, rien ne vient distinguer le Québec du Nouveau-Brunswick, du Maine ou de l'Ontario, si ce n'est une ligne sur la carte».
Le Québec, une construction artificielle
«Le Québec, comme la majeure partie des entités politiques d'Amérique du Nord, est une construction artificielle : il n'est pas donné de toute éternité. Nous n'occupons pas cette terre depuis le plus reculé des temps et le fait que nos ancêtres s'y soient installés un siècle avant ceux des autres provinces canadiennes ne devrait pas constituer un titre de gloire. De plus, les études d'ethnologie et d'archéologie nous enseignent que le Québec ne constituait pas non plus un territoire distinct pour les tribus indiennes qui y étaient installées avant l'arrivée des colonisateurs européens. C'était pour elles un territoire périphérique».
«Sur le plan politique, rien n'a été plus instable que les frontières du Québec. En 1763, le Québec était réduit à sa plus simple expression, un rectangle courant le long des deux rives du Saint-Laurent, tandis que Terre-Neuve se voyait confier le Labrador, l'Île d'Anticosti et la Compagnie de la baie d'Hudson, tout le Nord-Ouest. Par contre, en 1774, on vit émerger un Québec impérial qui récupérait tous ses anciens territoires et qui s'étendait vers l'ouest jusqu'aux Grands Lacs et au sud-ouest jusqu'au Mississippi et à la Pennsylvanie. Jamais l'espace politique québécois n'avait atteint une telle ampleur».
«En 1791, cet espace fut de nouveau ramené à des proportions plus modestes et même scindé en deux pour donner naissance à un autre espace politique, celui du Haut-Canada. En 1840, cette juxtaposition se transforma en une Union, à son tour transformée en une intégration pure et simple, vingt-sept ans plus tard. D'un seul Canada, on était passé à deux Canada, puis au Canada à deux et plus tard au Canada à cinq, à neuf et à dix».
Toujours quelqu'un pour décider à notre place...
«Le territoire québécois s'est donc fait et défait au fil des années et surtout au gré des volontés extérieures, mais toujours avec cette constante : jamais ces modifications n'ont été édictées par les Québécois seuls. Il s'est toujours trouvé quelqu'un, quelque part, pour décider à notre place de la dimension et de l'organisation de notre territoire».
«En termes de transport, les coûts d'une telle domination ont été énormes. Une grille nationale de transport ne s'établit pas en quelques années. Il a fallu des décennies à la Grande-Bretagne, à la France et aux États-Unis pour se donner des réseaux de transports intégrés et efficaces. Dans tous les cas, une relation étroite s'est établie dès le départ entre le projet et le système politique. Aujourd'hui encore, la nature d'une société politique, son mode de fonctionnement, son degré de centralisme s'expliquent autant par son système de transport qu'à partir de décisions constitutionnelles».
«Il suffit de comparer la carte ferroviaire et routière de la France et de l'Italie pour comprendre que jamais la France ne pourra échapper au centralisme. Quel que soit le degré d'autonomie dont dispose la sphère politique, c'est souvent à travers des considérations de transport que s'établissent les liens étroits qui unissent le politique à l'économique. En Amérique du nord, la politique a été pendant longtemps réduite à des décisions affectant les transports».
Pour contrôler les transports, contrôler l'espace
«Le Québec, qu'il soit pays ou province, ne constitue pas un espace politique délimité de façon définitive. C'est un espace sur lequel planent bien des incertitudes. Les Québécois ne peuvent disposer de ce territoire comme ils le souhaiteraient. Pas surprenant dans ces conditions qu'ils ne se soient jamais donné de politique intégrée et cohérente des transports. Pas surprenant non plus que la définition d'une telle politique soit un des dossiers les plus chauds du contentieux Ottawa - Québec. Qui veut contrôler les transports doit au préalable contrôler l'espace. On n'y échappe pas».
On peut être d'accord, ou non, avec cette analyse de Daniel Latouche. On ne peut, cependant, comme le font certains nationalistes québécois et non des moindres, écarter du revers de la main une telle réflexion. Il est évident qu'un pays tel le Canada, qui fait face à une menace de sécession d'une de ses provinces constituantes, fondatrice de surcroît et détentrice d'une partie de sa propre identité, fera tout en son pouvoir pour céder dans l'affaire le moins qu'il pourra de son territoire actuel et de ses populations.
De plus, il n'attendra pas une éventuelle déclaration d'indépendance pour conforter des irrédentismes ethniques et territoriaux, surtout aux périphéries de sa province rebelle. Tout ceci dans l'espoir que, si cette dernière fait éventuellement sécession, le territoire affecté soit alors réduit au strict minimum. Il s'agit là de l'enfance de l'art du maintien de l'unité nationale et de l'intégrité territoriale des nations.
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Léonce Naud
Géographe
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