BUDGET FLAHERTY

Un ultimatum lancé aux provinces

Ottawa fixe la date butoir du 1er avril pour une entente sur la formation de la main-d’oeuvre, une annonce qui illustre le «fédéralisme prédateur», selon Québec

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Ottawa : l'étranglement fiscal comme levier de domination

Ottawa — La bataille s’envenime entre Québec et Ottawa. Le gouvernement conservateur sert un ultimatum aux provinces quant au sort de la formation de la main-d’oeuvre dans son budget déposé hier : si elles ne s’entendent pas avec Ottawa d’ici le 1er avril, le fédéral ira seul de l’avant. Une annonce qui illustre le « fédéralisme prédateur » du gouvernement Harper, selon Québec.

Car non seulement le fédéral fonce avec sa subvention à l’emploi, mais ses fonctionnaires ont consenti hier que le droit de retrait avec compensation que réclame Québec ne fasse pas partie des scénarios d’entente envisagés.

À Québec, le ministre des Finances et de l’Économie, Nicolas Marceau, a dénoncé l’ultimatum fixé par son homologue fédéral. « On est rendu dans le monde des menaces », a-t-il lancé mardi soir. Malgré cette « menace voilée » d’Ottawa, le gouvernement péquiste cherchera à tout prix à arracher un droit de retrait avec pleine compensation d’ici au 1er avril prochain, a-t-il indiqué. « C’est une compétence du Québec. Il n’y a pas à avoir de discussion là-dessus. » M. Marceau ne digère pas le « dédoublement » de programmes proposé par M. Flaherty. « Laissez-nous 70 [millions de dollars], on va continuer à gérer. On a des programmes qui fonctionnent très bien », a-t-il dit.

Le ministre fédéral de l’Emploi, Jason Kenney, se targuait peut-être de mener des négociations « productives » avec ses homologues provinciaux pas plus tard que la semaine dernière, mais voilà que l’énoncé économique de son collègue aux Finances sonne le glas. Dans les provinces qui n’auront pas signé d’entente d’ici la fin de l’année fiscale, en vue de céder leurs transferts fédéraux en formation de la main-d’oeuvre au profit d’une subvention à l’emploi, le fédéral versera ses sous « directement par l’entremise de Service Canada ».

« Nous voulons travailler avec les provinces afin d’atteindre l’objectif. Mais nous devons nous rappeler ce qu’est l’objectif. Ce n’est pas seulement de former des gens. C’est de former des gens pour des emplois qu’ils dénicheront, afin qu’ils puissent contribuer à l’économie, à leurs familles, à leur bien-être », a fait valoir le ministre des Finances, Jim Flaherty, qui annonce en revanche une série d’investissements pour soutenir les populations les plus éloignées du marché du travail — celles-là mêmes que les provinces disent vouloir protéger avec les fonds de formation de la main-d’oeuvre qu’Ottawa menace de récupérer.

En coulisse à Ottawa, on tente toutefois de se faire rassurant en disant qu’on espère encore s’entendre d’ici six semaines.

En vertu de sa réforme des ententes sur le marché du travail, le gouvernement conservateur a annoncé dans le budget de l’an dernier qu’il récupérerait 300 millions auparavant transférés aux provinces pour les verser directement aux sans-emploi par le biais d’une subvention qui déboucherait sur un poste garanti, financée à parts égales entre Ottawa, les provinces et l’employeur. Ce sont les modalités du modèle de financement que tentaient encore de négocier M. Kenney et ses homologues la semaine dernière. Dans leur contre-offre au fédéral, les provinces — autres que le Québec, qui lui rejette catégoriquement la réforme — réclamaient de pouvoir à tout le moins choisir dans quelle enveloppe le grand frère fédéral viendrait piger pour financer sa subvention.

«Le problème de base avec Stephen Harper, c’est qu’il ne parle à personne, il ne s’entend avec personne. Il fait ce qu’il veut […] Les provinces ne sont pas ses adversaires, elles ont juridiction en éducation et en formation de la main-d’oeuvre », a souligné Thomas Mulcair. Le chef néodémocrate estime, comme son homologue libéral, que sans entente, le programme fédéral « n’ira nulle part ». « C’est une catastrophe totale, c’est un désastre. Cette idée d’aller de l’avant seul sans les provinces est non seulement inefficace, car ce sont les provinces qui savent quels sont les besoins, mais ça démontre un manque de respect dans les relations fédérales-provinciales », a accusé Justin Trudeau.

Les conservateurs réitèrent, au fil du budget fédéral, que le marché de l’emploi canadien connaît des pénuries de main-d’oeuvre qualifiée, alors que le taux de chômage est passé de 6 % à 7 % depuis la récession. Le taux de postes vacants est toutefois resté inchangé à 4,2 %, reconnaît-on dans les documents budgétaires.

Néanmoins, l’objectif d’Ottawa est clair : cibler la formation offerte aux chômeurs et sans-emploi afin de pourvoir des postes précis. Pour ce faire, le fédéral investit auprès des groupes sous-représentés sur le marché du travail, « une priorité du gouvernement » : jeunes, handicapés, immigrants et autochtones. Les groupes qui perdront des programmes provinciaux mis sur pied pour les aider, martèlent depuis un an les provinces.

« Malheureusement, beaucoup d’argent fédéral, des milliards de dollars, va aux provinces sans imputabilité et on ne sait pas ce qui arrive avec l’argent. Alors maintenant, nous saurons », a expliqué M. Flaherty.

Populations vulnérables ciblées

Pour pallier le manque de main-d’oeuvre — qui sévit particulièrement en Saskatchewan et Alberta, note le budget —, Ottawa offrira aux jeunes des stages « dans des domaines à forte demande ». Le fédéral financera un maximum de 3000 stages en deux ans au coût de 40 millions — dont 30 millions dans les petites et moyennes entreprises —, et 1000 stages en réallouant 15 millions sur deux ans, toujours dans les PME. Une autre enveloppe de 40 millions, sur quatre ans, servira à offrir du mentorat.

Le gouvernement renouvelle également un financement 75 millions sur trois ans pour aider les aînés à renouer avec l’emploi dans des communautés au taux de chômage élevé.

Quant aux personnes souffrant d’une déficience intellectuelle, Ottawa propose 15 millions sur trois ans pour les aider à dénicher un emploi, et 11,4 millions sur quatre ans pour offrir de la formation aux autistes. Ces fonds — dispensés en vertu d’une entente fédérale-provinciale — iront cependant à deux organismes anglophones (dont un à Calgary) qui décideront où offrir les services. Il se pourrait donc qu’il n’y en ait pas au Québec, de l’aveu des fonctionnaires.

En vue de jumeler chômeurs et employeurs, le fédéral versera enfin 11,8 millions sur deux ans pour moderniser deux sites Internet qui répertorient chercheurs d’emploi et postes vacants.

Une telle banque sera également créée — au coût de 14 millions sur deux ans, et 4,7 millions par année par la suite — pour que les immigrants s’y inscrivent, en affichant leurs compétences et formation afin d’y être dénichés par les employeurs ou les provinces.
Avec Marco Bélair-Cirino


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