On constate assez amèrement que les turbulences financières des récentes semaines pourraient avoir des conséquences insoupçonnées sur la stabilité économique et financière des principales économies de la planète. En fait, une accentuation des problèmes de liquidités et de crédit pourrait aggraver rapidement la situation actuelle.
Les présentes difficultés sont surtout liées à l'éclatement de la bulle immobilière américaine. Celle-ci a mis à jour les excès de l'industrie des prêts hypothécaires à risque, en accordant un crédit à des emprunteurs dont le dossier était entaché ou incomplet. L'accroissement des saisies de maisons qui a suivi aux États-Unis a ébranlé tout ce marché et a entraîné une véritable crise de liquidités sur les marchés financiers. La confiance des investisseurs a été durement affectée et une réappréciation généralisée des primes de risque s'est produite.
Depuis, les plus grandes institutions financières, en particulier les banques américaines et européennes, ne cessent d'annoncer des pertes énormes qui font peser des doutes de plus en plus sérieux sur leur santé financière. Après la banque anglaise Northern Rock, secourue en septembre dernier, puis nationalisée par le gouvernement britannique, c'est l'importante banque d'investissement américaine Bear Stearns qui a dû être renflouée au cours des derniers jours par J. P. Morgan et la Réserve fédérale américaine (Fed).
Sommes-nous au fond du baril?
Dans ce contexte, les institutions financières sont devenues beaucoup plus réticentes à accorder de nouveaux prêts, entraînant un resserrement marqué des conditions de crédit. Le financement, qui était si facilement accessible en première moitié de 2007, est aujourd'hui beaucoup plus rare et plus coûteux, ce qui pourrait freiner l'investissement des entreprises et la consommation des ménages, en particulier aux États-Unis. Certaines entreprises pourraient aussi avoir beaucoup plus de difficultés à rembourser leurs emprunts.
Par ailleurs, les pertes sur les produits financiers adossés aux prêts hypothécaires à risque continueront de s'accroître. Elles pourraient atteindre plus de 500 milliards de dollars. L'effondrement spectaculaire de Bear Stearns a de quoi inquiéter les investisseurs. La situation des grandes institutions financières ne semble toutefois pas s'être dégradée suffisamment pour entraîner de nombreuses faillites. De nouveaux mouvements de panique pourraient cependant mettre d'autres institutions dans des situations difficiles.
Les autorités monétaires et gouvernementales réalisent l'ampleur du problème et font tout en leur pouvoir pour limiter les dégâts. En diminuant de façon agressive les taux directeurs et en injectant des milliards de dollars dans le marché monétaire, les banques centrales limitent la hausse des coûts de financement des institutions financières et leur permettent de poursuivre, malgré tout, leurs activités de crédit. Au cours des derniers jours, en plus d'accroître de nouveau le financement offert aux institutions financières et d'abaisser son taux d'escompte, la Fed, comme mentionné précédemment, a participé activement au sauvetage de Bear Stearns.
De son côté, le gouvernement américain a entrepris plusieurs démarches, plus ou moins fructueuses jusqu'à maintenant, pour limiter la hausse du nombre de saisies de maisons. Par contre, l'envoi de chèques aux ménages américains, totalisant 106 milliards de dollars, devrait redonner un certain dynamisme aux dépenses de consommation à partir du printemps.
Plusieurs années d'insouciance
Quoique louables, ces démarches n'apportent pas une solution immédiate et complète aux problèmes actuels. La présente crise découle de plusieurs années d'imprudence, d'insouciance et d'excès, tant de la part des prêteurs, des emprunteurs que des investisseurs. Il faudra encore plusieurs mois, voire plusieurs trimestres pour que la correction immobilière se termine aux États-Unis et que les grandes institutions financières de la planète finissent d'absorber leurs énormes pertes, réussissent à assainir leur bilan et rebâtissent leur capital.
Le temps permettra aussi d'épurer le marché des produits dérivés. Trop complexes, ils deviendront beaucoup moins populaires; certains pourraient même disparaître complètement. L'expérience actuelle et la vigilance accrue des autorités réglementaires, des agences de notation et des investisseurs devraient favoriser des produits plus simples et plus transparents. De tels changements aideront à rebâtir la confiance des investisseurs et feront diminuer progressivement l'aversion pour le risque.
Les crises de liquidités et de crédit devraient ainsi continuer d'affecter les marchés financiers et la croissance économique mondiale pour plusieurs mois. Pour les consommateurs, les conséquences du resserrement de crédit dépendront beaucoup de leur situation financière. Le consommateur américain, aux prises avec une baisse notable des prix des propriétés et un marché de l'emploi fragile, paraît ainsi beaucoup plus à risque que son homologue canadien qui profite encore d'une économie interne relativement vigoureuse.
(Photo AP)
François Dupuis
L'auteur est vice-président et économiste en chef aux Études économiques du Mouvement des caisses Desjardins.
Une crise majeure?
Les grandes institutions financières américaines ne cessent d'annoncer des pertes, dont Bear Stearns, qui a dû être renflouée ces derniers jours.
Crise mondiale — crise financière
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Vice-président et économiste en chef aux Études économiques du Mouvement des caisses Desjardins.
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