Journée Mondiale de la Philosophie

Une réponse aux défis du pluralisme démocratique

Laïcité — débat québécois



L'histoire récente du Québec montre que cette société pluraliste n'a pu éviter les grandes mutations: la sécularisation de la société civile, le morcellement des identités et l'interdépendance des nations. Elle n'a pas non plus évité certains écueils qui favorisent la désintégration du lien social. C'est ainsi que, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, un individualisme exacerbé a provoqué peu à peu la généralisation d'un sentiment d'indifférence sociale contraire aux exigences délibératives de la démocratie. En même temps, la diversité croissante de nos systèmes de valeurs a eu pour effet de nous mettre face au danger non plus seulement de la «tyrannie de la majorité», mais aussi de la «tyrannie des opinions et des minorités».
Plusieurs accusent le pluralisme démocratique de tous les maux et espèrent l'avènement ou la renaissance d'une société nationale unitaire et homogène. Je crois fermement que le pluralisme n'est pas une cause de discorde et de sédition et qu'il ne favorise pas la dissolution du lien social. Au contraire, il suppose le débat public et la mise en pratique de la tolérance et de la solidarité. Mais pour que cela soit possible, les citoyens doivent avoir en partage les savoirs nécessaires à la compréhension de leur société et à la poursuite du bien commun.
Le nouveau Programme d'éthique et culture religieuse (ECR) est l'un des moyens par lesquels les citoyens du Québec auront accès à certains de ces savoirs essentiels.
On a remis en cause ce programme éducatif parce qu'en permettant l'apprentissage d'une diversité de visions du monde, il favoriserait notamment l'éclatement culturel de la société québécoise, le relativisme et la perte des repères ayant forgé notre identité nationale. Ces critiques sont sans fondement.
Les élèves du Québec baignent très tôt dans un environnement où coexiste une diversité de valeurs, de croyances et de convictions. [...] Pour vivre de façon harmonieuse dans une société pluraliste comme la nôtre, les élèves doivent pouvoir comprendre ces univers de sens et ils doivent avoir accès à ces connaissances pour rendre possible le respect de l'autre, de ses valeurs et de ses convictions.
Actuellement, il est aisé de constater que la société québécoise a pour une bonne part déjà perdu contact avec ses repères patrimoniaux façonnés par le catholicisme et le protestantisme. Les anciens enseignements confessionnels n'ont pu empêcher cet effacement culturel.
Nous sommes plusieurs à penser que l'on ne peut comprendre la culture québécoise et expliquer son évolution sans connaître son patrimoine religieux. Le programme d'ECR reprend cette idée fondamentale en indiquant à plusieurs endroits que tous les élèves québécois devront centrer, tout particulièrement, leurs efforts de compréhension sur le catholicisme et le protestantisme.
Mais notre société a aussi été marquée par le judaïsme et les spiritualités des peuples autochtones. Aujourd'hui, l'expérience religieuse de personnes appartenant à d'autres religions contribue aussi à construire notre société. Refuser cette réalité en empêchant la possibilité de connaître leurs univers culturels, c'est prendre le risque de la marginalisation, de l'incompréhension et de l'intolérance. C'est rendre impossible la création d'un sentiment d'appartenance à la société québécoise. [...]
Pendant près de 400 ans, l'école québécoise a séparé les élèves entre eux sur la base des croyances religieuses et aussi, plus récemment, de l'incroyance. Aujourd'hui, le programme d'ECR propose plutôt de les réunir dans un espace commun et de leur donner la possibilité d'exprimer librement leurs valeurs et leurs convictions personnelles sans être soumis à un endoctrinement professoral ou à une forme quelconque de quête spirituelle.
Cette liberté à laquelle ils accèdent n'est pas sans contrainte. D'une part, le programme d'ECR demande aux élèves, par la pratique du dialogue, qu'ils soient capables d'être à l'écoute de l'autre et que, lors des échanges d'idées, ils sachent mener une réflexion personnelle qui ne porte pas atteinte à la dignité humaine. D'autre part, cet espace dialogique doit être un lieu où l'on valorise la recherche de valeurs communes et le respect des principes et des idéaux démocratiques.
Depuis plus d'un an, les commentaires touchant le programme d'ECR ont porté presque uniquement sur le volet «culture religieuse». Cette situation a eu pour effet de renvoyer dans le public l'idée que les apprentissages en «éthique» permettent seulement de savoir comment agir avec des gens ayant la foi. Pourtant, le programme vise bien davantage à développer chez les élèves l'autonomie dans l'exercice du raisonnement moral et la réflexion rationnelle et critique sur la signification des conduites, des valeurs et des normes qu'adoptent les personnes et les groupes au sein d'une société.
Depuis quelques mois, dans toutes les écoles du Québec, qu'elles soient privées ou publiques, l'on se doit d'enseigner ce programme. Fruit d'un large consensus au sein de la société québécoise, cet instrument éducatif est une réponse historique à deux grands défis qui se dressent devant nous: l'accroissement des fractures identitaires affectant notre culture et l'indifférence sociale des citoyens compromettant notre vie démocratique.
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Benoit Mercier, Professeur de philosophie, Collège Montmorency. Responsable de l'équipe d'écriture des programmes des 1er et 2e cycles du secondaire en Éthique et culture religieuse, de 2005 à 2007, au ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport

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Professeur de philosophie, Collège Montmorency. Responsable de l'équipe d'écriture des programmes des 1er et 2e cycles du secondaire en Éthique et culture religieuse, de 2005 à 2007, au ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport





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