Victoires individuelles et victoires collectives

Qu’ont en commun Claude Robinson, Jacques Demers et Pauline Marois ?

Chronique de Louis Lapointe

Il fallait une bonne dose de courage pour gagner après 14 ans de procédures dilatoires et 2.4 millions$ d’honoraires d’avocats. Claude Robinson a prouvé qu’il avait l’étoffe d’un héros en obtenant gain de cause contre des tricheurs comme ceux de CINAR. Pour plusieurs, il s’agit de la victoire de David contre Goliath. Une récompense pour la ténacité qu'il a affichée tout au long de ces années. La preuve que quand on veut on peut.
Exactement le même discours que tenait Jacques Demers lorsqu’il a été nommé sénateur cette semaine. Encore là, c’est sa détermination qui était récompensée, celle d'avoir réussi malgré son analphabétisme.
Notre société est encline à reconnaître les efforts individuels. En collaboration avec les recteurs des universités du Québec, le journal La Presse désigne chaque année 52 de ces personnalités qui ont atteint l’excellence.
Dans les prochains jours et semaines, tous les médias ne manqueront pas de souligner les qualités humaines de Claude Robinson et de Jacques Demers comme on le fait chaque semaine à la radio de la SRC avec les personnalités de La Presse, on voudra démontrer que ce sont leurs efforts qui ont fait la différence, car sans effort individuel il ne peut y avoir d’excellence.
Pourtant, il s’agit essentiellement de deux victoires individuelles dans deux mondes où le petit a rarement raison, ceux de la justice et de la politique. Elles n’ont aucune signification quant à la finalité de ces univers et doivent être considérées comme des exceptions dans des mers d’injustice et de manipulations politiques. Elles ne changeront strictement rien à l’ordre établi.
Voilà pourquoi elles sont l’objet d’une si grande approbation médiatique. Elles sont des leurres pour ceux qui espèrent une vie meilleure. Elles tendent à nous convaincre que le système récompensera toujours ceux qui font des efforts et respectent les règles, même si le prix à payer est 14 ans de calvaire et 2.4 millions$ en honoraires d’avocats ou le fait d'avouer publiquement son analphabétisme.
***
Dans sa chronique de vendredi matin intitulée Pour retrouver ma Pauline, Lise Payette s’interroge sur ce qui est arrivé à Pauline Marois. Elle aussi nous parle de ses qualités individuelles en termes élogieux.
« C’est une femme que je connais depuis longtemps, en long et en large, avec ses forces et ses faiblesses, presque dans son intimité. On a travaillé ensemble, bataillé ensemble, voyagé ensemble, fêté aussi ensemble de temps en temps. Je sais pratiquement tout d’elle, de ce qui l’allume ou l’éteint, de ce qui lui donne le courage de déplacer des montagnes, de ce qui la motive depuis qu’elle est entrée dans mon bureau pour la première fois. Je la regarde aller depuis toutes ces années en politique, constante et assidue, possédant ses dossiers sur le bout des doigts et forcément, je reste bouche bée devant le sondage rendu public mercredi par La Presse-Crop. (…)
Pauline Marois poursuit son « inaccessible étoile », comme dans la chanson de Brel. Nous aurions tous intérêt à ce qu’elle la trouve le plus rapidement possible.
»
Encore là, on en fait une affaire individuelle. Parce que Pauline a toujours fait des efforts et qu’elle a été une bonne élève toute sa vie, en faisant plus d’efforts, elle devrait normalement atteindre l'excellence et gagner.
Cette équation ne fonctionne tout simplement pas. Ceux qui gagnent seuls contre les plus gros sont l’exception. On comprend alors pourquoi les propriétaires de La Presse valorisent autant cette formule, ils savent qu’en plus de ne pas être dangereuse pour l’ordre établi, elle conforte les individus à briller selon leurs propres standards déjà définis à l'intérieur des sentiers battus.
On ne fera certainement pas l’indépendance en ne valorisant et récompensant que les efforts et les victoires individuels qui conduisent à l’excellence de la grosse Presse. Si Pauline Marois était un peu moins la chef de son parti et un peu plus la leader des indépendantistes, elle n’aurait pas besoin de se poser toutes ces questions au sujet de la grandeur de sa maison et des fleurs qui ornent ses plates-bandes. Elle éprouverait moins le besoin d'être parfaite.
L’indépendance du Québec ne sera jamais une victoire individuelle de Pauline Marois. Ce ne sera pas non plus une victoire de Pauline Marois contre les purs et les durs et les apparatchiks de son parti, ni celle du PQ contre les libéraux de Jean Charest. Ce sera d’abord une victoire collective sur l’individualisme: celle du peuple, par le peuple!

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Louis Lapointe534 articles

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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4 commentaires

  • Jean-Charles Morin Répondre

    31 août 2009

    Trop de gens sont programmés à réduire la dimension d'une option politique ou du parti qui l'incarne à la personnalité de son chef. Vous essayer de parler d'indépendance et les répliqueurs font dévier le débat en faisant le procès des têtes d'affiche du moment: "Oui, mais Pauline Marois, moi je suis pas capable..." et tutti quanti. En d'autres temps, c'était Bernard Landry, André Boisclair ou Jacques Parizeau ou Pierre Falardeau qui "passaient au cash". Moi-même je m'y laisse prendre parfois, comme si la souveraineté et les manières de Pauline Marois sont interchangeables.
    Quand donc les Québécois auront-ils la maturité de discuter des idées elles-mêmes plutôt que de mémérer sur la tête des acteurs politiques qui vont et qui viennent? Les gens passent mais les idées demeurent. Du moins c'est ce que j'aimerais croire.
    Est-ce que Marshall McLuhan avait raison? Has the medium killed the message?

  • Archives de Vigile Répondre

    30 août 2009

    Cher Monsieur Lapointe,
    La dernière fois que j’ai voté fut en quatre-vingt-quinze! J’ai hélas compris que la démocratie constituait l’opium du peuple et que, comme la cigarette, elle n’était légale que pour asservir les masses.
    Pourtant, ne pas voter ne fait pas de moi quelqu’un d’apolitique. Tout le monde se targue de conspuer l’« élite » (j’utilise des guillemets pour ne pas salir ma pensée) politique. L’individualisme?
    Mais il est au cœur de nos sociétés. Mieux, il en est le cœur! Guy Debord, « La société du spectacle »! Comment continuer ainsi? Avec un peuple (des peuples! Beaucoup, aujourd’hui, sont asservis par les médias de masse, alliés d’une « élite » insignifiante sur le plan des idées) lobotomisé, où ses sujets inféodés tentent de former leur petite cellule familiale ou religieuse, protègent leur « pouvoir » d’achat, macèrent dans leurs spas, on comprend mieux pourquoi une femme comme Pauline Marois carbure à l’excellence. On ne peut compter sur les Québécois pour exprimer une idée hors du temps et des souverainetés. Mais, loin de moi l’idée d'occulter le concept de pays. Une terre que nous occuperions sans conquête nous rendrait souverain si nous osions ne pas la développer selon le modèle capitaliste. Ah! Dur mot jeté dans la mêlée!
    Je ne lui opposerai pas ceux de communisme ou de socialisme. Pourtant, je ne les diaboliserai pas non plus. Comment se fait-il que Madame Marois, si battante, si « brillante », si pétrie d’« excellence », porte en elle ce fond de monarchisme qui l’empêchera toujours de garder la tête haute comme le fit Miron. Et pourtant, il n’a jamais prétendu au salut d’un peuple. Il s’est contenté de le côtoyer, ce que Madame Marois, jamais ne comprendra. Ce n’est pas dans ses gènes, son sang. Car elle n’a pas le courage d’aller contre elle-même, la première qualité d’un visionnaire (je n’utilise pas le mot leader, à dessein. Il me paraît trop « lourd » et surtout chargé d’un passé récent qui aveugle les masses. Car un visionnaire ne fait qu’ôter les œillères au cheval afin qu’il galope librement. Quelle griserie de découvrir la liberté, même si nous n’en sommes pas les « premiers » responsables)…
    Je demeure dans le comté de Rousseau. Pour la première fois depuis quatorze ans, j’irai voter le vingt-et-un septembre prochain. Il me fera un immense plaisir de gaspiller (en cochant toutes les cases! Ça sera pour moi une nouveauté! Imaginez, j’« exécute » mon droit de vote. Laissez-moi rire un peu!) mon droit de parole (qui n’en est pas un). Mais il me semble que le fait de me retrouver parmi des gens de toute origine (et son origine, on ne la choisit pas! On y tombe et elle nous est imposée de l’extérieur. Le reste est affaire de sensibilité, de relations! Quant à l’entrepreneurship à succès, moderne et sentant l’arrivisme, ce n’est qu’une hiérarchie animale qui ne m’impressionne plus depuis longtemps), de sentir que la mascarade est connue de tous et que les « élites » de nos vastes territoires ne sont que des benêts n’ayant aucune idée de ce que peut être l’idée de l’autre, tout ça me donnera envie d’aller simplement déposer un petit bout de papier inutile (comme un roman) dans une boîte de quartier. Certes, il me faudra mimer le solennel car des gens sérieux (des bénévoles) seront témoins de mon petit geste anodin. Je ne vous cache pas que je prendrai, pour la première fois depuis si longtemps, un plaisir pervers, celui (comme l’exprimait Antonin Artaud, dans son essai intitulé « Héliogabale ») « de me faire enculer par l’Empire ». Excusez le mot. Mais c’est un mot et il a le droit d’être utilisé lorsqu’il est convoqué à la barre des témoins.
    Madame Marois ne veut pas un « pays nouveau », un lieu différent qui ne nierait pas son histoire mais qui, à partir de ses défaites (nos espoirs déchus comme une terre brûlée par les vainqueurs, ceux qui « réussissent », ce que valorise toujours le conquérant, celui qui lui ressemble), construirait un espace public (j’insiste sur ce mot) où l’on prendrait un vif plaisir à se rassembler non pas pour applaudir quelque dignitaire ou vedette construite de toute pièce par le grandiloquent capitalisme mais pour assister à la beauté du monde. Un pays, ça demeure une étape pénible à franchir. Nous devons nous doter d’un pays pour nous défaire de cette idée.
    André Meloche
    New Glasgow
    P.S. Je vous prie de m’excuser pour les nombreux guillemets. Mais je me sens fébrile à l’idée d’aller voter!
    http://andremeloche.canalblog.com/

  • Archives de Vigile Répondre

    30 août 2009

    Lisons-nous, écoutons-nous et voyons-nous les médias qu'il nous faut ?
    « Un bon journal, c'est une nation qui se parle à elle-même. »
    Arthur Miller
    Écrivain américain

    Extrait du journal London Observer - Novembre 1961

  • Archives de Vigile Répondre

    29 août 2009

    Merci Louis de nous ramener ainsi sur le chemin de la raison.
    Oui, le texte de Lise Payette s'inscrit dans la foulée de cette technique toute anglo-saxonne nommée storytelling qui consiste à vendre une idée par le biais d'une personne-icône dont l'histoire sera exemplaire. Ce type de vente d'un idéal incarné n'est pourtant pas nouvelle, elle prend son origine dans la nuit de temps avec la mythologie et reprise, par la suite, par les religions. En cela, le catholicisme l'a utilisé avec succès pendant des siècles par le biais de ses saints et de ses saintes qui ont fait l'objet de récits abracadabrants rapportés dans les martyrologes et autres Légendes dorées. Reste que ce qui est d'abord écorché avec cette technique c'est l'esprit d'analyse, l'appel à la raison au profit de l'émotion. Mais en cette période de néolibéralisme triomphant certains n'ont-ils pas intérêt justement à maquiller cette réalité collective en mettant en relief l'histoire exemplaire de ces battants pris individuellement ? Le Canada est passé maître dans l'utilisation des apparences. Il est toutefois dommage que ce recours soit aujourd'hui appliqué à notre lutte nationale. Notre combat est trop important et trop urgent pour se formaliser de pseudo-héros.