http://www.rond-point.qc.ca
Chronique du jeudi 27 avril 2006
Édition révisée de la chronique
du jeudi 30 septembre 2004
accompagnée d'une « Note liminaire »
Note liminaire
« Priorités des États provinciaux et impératifs du fédéralisme » était le titre de notre chronique du 30 septembre 2004. Nous écrivions à ce moment-là : « Les événements récents [en 2004] au sujet de la conférence fédérale-provinciale sur la santé ont des racines aussi lointaines que les premières années de fonctionnement de la fédération canadienne ». Depuis, qu'est-ce qui a véritablement changé dans les négociations interétatiques de ladite fédération ? Fondamentalement rien, à peu de choses près. Comme l'a déclaré jadis un célèbre homme politique québécois, Maurice Duplessis, les conférences fédérales-provinciales sont comme des circonférences, elles tournent toujours en rond. Malheureusement, les gouvernements québécois successifs ont pris l'habitude de ces négociations, ce qui fait qu'ils piétinent indéfiniment et piaffent continuellement d'impatience dans le fédéralisme canadien sans pouvoir obtenir une quelconque réforme qui leur assurerait des pouvoirs accrus. Le partage des compétences, comme le partage des revenus, reviennent toujours à la surface des débats. C'est une roue sans fin.
On veut bien comprendre que le Parti québécois parle constamment d'économie, mais il est lié constitutionnellement à l'article 118, aujourd'hui périmé, de l'Acte de l'Amérique du nord britannique, qui établissait le niveau des subventions du gouvernement fédéral qui assureraient le bon fonctionnement des gouvernements provinciaux (voir NOTE no 1). Consulter :
Bruno DESHAIES, «L'ÉTAT QUÉBÉCOIS. Du principe fédéral au principe d'indépendance» Cf. l'ANNEXE qui cite Michel Brunet au sujet des « nouvelles forces centrifuges à l'âge de l'État-Providence ».
Comme on peut le constater, l'autonomie provinciale avait besoin d'un subside spécial payé par le gouvernement fédéral aux gouvernements provinciaux en vue de subvenir aux dépenses de leurs législatures. Il s'agit des subsides fixes aux provinces négociés par les délégués du Canada à la Conférence de Londres de 1866 (cf. NOTE no 2). C'était à l'époque une façon d'affirmer l'autonomie provinciale que de recevoir des subsides pour faire fonctionner des gouvernements provinciaux ! Sans compter les subsides par habitant prévus dans la constitution à l'article 118 (« chaque province aura droit à une subvention annuelle de quatre-vingts centins par chaque tête de la population »). Nous avons là une des conséquences majeures du partage des pouvoirs.
Au fond, durant les années 1950, le gouvernement fédéral n'a fait que consolider l'esprit de l'article 118 de la constitution canadienne de 1867 en amplifiant sa présence dans le champ des subsides fixes et des subsides par habitant. Enfin, toute cette gymnastique budgétaire et fiscale de la fédération a donné lieu à l'adoption de la
LOI CONSTITUTIONNELLE DE 1982
ANNEXE B
PARTIE III
PÉRÉQUATION ET INÉGALITÉS RÉGIONALES
[Nouvelle appellation des engagements du Parlement et des législatures des provinces qui étaient identifiés en 1867 sous le sous-titre de « subventions aux provinces ». On comprend tout ! N'est-ce pas que c'était plus clair ?]
Les théoriciens du déséquilibre fiscal auraient grand intérêt à changer leur fusil d'épaule, car le problème est celui du partage fiscal qui demeurera pour toujours le talon d'Achille de n'importe quel fédéralisme, peu importe qu'il soit un régime TRÈS centralisé ou TRÈS PEU centralisé.
Les lectrices et les lecteurs de notre chronique doivent commencer à comprendre que le Québec-province constitue une État subventionné par le gouvernement central, qu'il n'est qu'un demi-État provincial et qu'il subit en permanence une subordination sur place de nation annexée.
Donc, le Québec constitue une « annexe » du Canada. Or, comme entité souveraine, ce dernier refuse d'abandonner « sa » province de Québec aux fantaisies des séparatistes. Il y a dans ce constat des obligations considérables qui reposent sur les épaules des indépendantistes.
Si l'on comprend bien cette chronique, il faut que tous les indépendantistes saisissent clairement que des relations INTERÉTATIQUES sont nettement plus importantes et plus riches que des relations intergouvernementales de provinciaux avec un État central fédérant plus fort, plus puissant.
Les indépendantistes doivent démasquer l'imposture du fédéralisme aux plans de la souveraineté et de la dignité de tout un peuple. Devenir indépendant signifie agir par soi collectivement tant à l'interne qu'à l'externe dans tous les domaines (politique, économique et culturel). Ce qui veut dire plus concrètement que la présence du Québec à l'UNESCO sous la bannière du Canada n'est qu'un autre des subterfuges fédéralistes pour mieux nous endormir. Aussi bien porter les valises de l'ambassadeur du Canada, tant qu'à y être ! Seuls des souverainistes qui sont encore des fédéralistes inconscients peuvent se réjouir de ce petit pas insignifiant.
Bruno Deshaies
Montréal, 27 avril 2006
* * * *
« Les événements d'aujourd'hui ont des racines
aussi lointaines que les premières années
de fonctionnement de la fédération canadienne. »
(Bruno Deshaies)
« Le problème majeur pour les indépendantistes,
c'est de parvenir à voir le phénomène de l'annexion
dans l'optique indépendantiste. »
(Bruno Deshaies, RÉF. no 2.)
Les négociations interétatiques au début de la confédération nous révèlent que les tensions entre le central et le local résident essentiellement dans la constitution canadienne elle-même. L'Acte de l'Amérique du Nord britannique ou Loi constitutionnelle de 1867 est le fondement de la société canadienne. Pour le Canada et le Québec, le problème majeur réside dans son interprétation. Or, dans les rapports entre un « Canada-Anglais nation » et un « Canada-Français province », force est d'admettre - selon le point de vue de Maurice Séguin - « la justesse de l'arrangement constitutionnel de 1867, en 1867 » (cf. l'« Épilogue » dans Les Normes).
Cela dit, la question qui se pose est la suivante : est-ce que « la justesse de l'arrangement constitutionnel de 1867, en 1867 » est encore valide en 2004 ? On peut répondre à la manière de Vincent Marissal. Il affirme : « On ne peut pas être à moitié un pays. Ou à moitié fédéraliste. » Mais si l'on disait à la place : « On ne peut pas être l'à moitié d'un État. Ou à moitié autonomiste. » Que faudrait-il penser ? C'est le dilemme des fédéralismes, peu importe le lieu où ils se trouvent.
M. Vincent Marissal a parfaitement le droit de défendre la thèse fédéraliste comme il est normal pour M. Mario Dumont de soutenir la thèse autonomiste. Ce raisonnement est valide aussi pour le PQ comme pour le PLQ, mais sous des apparences différentes : le PLQ souhaite que le Québec continue de faire partie du Canada, mais défend un fédéralisme « asymétrique » tandis que le PQ sort du Canada pour négocier la « réforme ». Pourquoi Mario Dumont serait-il plus noir que Bernard Landry ou Charest ? M. Marissal nous donne la réponse : « C'est vrai que c'est épuisant, qu'il faut constamment négocier, être sur ses gardes, défendre nos plates-bandes et exigez [sic] notre dû, mais c'est là le propre d'une fédération. » (Voir RÉF. no 8.) Épuisons-nous à tourner en rond. À la bonne heure ! Que les masochistes applaudissent !
Tout ce débat n'a rien de logique. Il tient incontestablement à deux conditions : la première, l'idéologie fédéraliste ; la deuxième, le rapport de force. Qui domine et gouverne l'autre ? Qui est capable de remplacer l'autre ? Qui est capable de limiter son autonomie ? En somme, qui dans le fédéralisme peut agir à la place de l'autre, sinon le gouvernement central. M. Marissal qui, je l'imagine, tient à son autonomie personnelle, ne voudrait certainement pas qu'un autre journaliste écrive à sa place et en son nom, trace le parcours de sa vie, détermine son avenir et encadre impérativement et systématiquement son agir personnel. Il ne l'endurerait certainement pas.
Tout ce débat n'a rien de logique. Il tient incontestablement à deux conditions : la première, l'idéologie fédéraliste ; la deuxième, le rapport de force. Qui domine et gouverne l'autre ? Qui est capable de remplacer l'autre ? Qui est capable de limiter son autonomie ? En somme, qui dans le fédéralisme peut agir à la place de l'autre, sinon le gouvernement central. M. Marissal qui, je l'imagine, tient à son autonomie personnelle, ne voudrait certainement pas qu'un autre journaliste écrive à sa place et en son nom, trace le parcours de sa vie, détermine son avenir et encadre impérativement et systématiquement son agir personnel. Il ne l'endurerait certainement pas.
« M. Marissal, accepteriez-vous de vivre autrement
que par vous-même avec les autres sans votre autonomie personnelle ? »
Alors, pourquoi est-il inadmissible ou impossible au Québec et pour les Québécois et Québécoises de se questionner sur le fait que le Québec dans son ensemble et eux-mêmes par conséquent, subissent une perte essentielle de richesse d'être collective parce que l'autre les traiterait bien, parce que l'autre nous subventionnerait avec nos impôts, parce que l'autre occuperait notre place dans de nombreux domaines importants de notre vie collective en tant que société et qui, dans nos rapports avec les autres peuples occuperait notre place, déciderait à notre place et jugerait de ce qui est bon ou mal pour nous à notre place et ainsi de suite ? M. Marissal, accepteriez-vous de vivre autrement que par vous-même avec les autres sans votre autonomie personnelle ? N'est-ce pas que ce raisonnement qui vaut pour les individus convient tout autant pour les sociétés, pour les peuples ?
Opinion d'un citoyen engagé
Dans un texte inédit, un citoyen engagé, M. François Robichaud, s'explique sur la notion essentielle de « vivre, c'est agir » (RÉF. no 9). En peu de mots, cette idée signifie que le remplacement réduit à l'inaction, c'est-à-dire qu'« une collectivité peut être réduite à l'inaction si une seconde la remplace. C'est ce qui survient lorsqu'un peuple impose sa tutelle à un autre. ». Ce phénomène entraîne le déclassement du peuple mis en tutelle et, de ce fait, constitue une oppression essentielle collective. « Cette déchéance, fait-il remarquer, est la conséquence inévitable du remplacement imposé, une dégradation que ni la bienveillance du remplaçant ni les déclarations incantatoires du remplacé ne peuvent conjurer. » On peut expliquer que les Québécois tournent en rond depuis des lustres et n'arrivent pas à décider de leur avenir par cette inaction à laquelle les condamne le fait qu'un autre peuple les remplace dans un bon nombre des champs de l'activité nationale. Ne parlons pas des conséquences psychologiques infantilisantes de cette tutelle, cette étude nous mènerait trop loin.
« Pour une société normale, disposer librement de soi importe plus que seulement conserver son particularisme... »
Le pseudo-nationalisme pratiqué par les Québécois puisque que c'est bien cela qu'il s'agit, limite leurs possibilités d'action collective. Le remplacement par l'État fédéral dans presque tous les domaines essentiels prive l'État du Québec d'une marge de manoeuvre suffisante pour satisfaire l'ensemble de ses besoins collectifs. Comme le Québec est un État annexé, ses représentants et son élite raisonnent en provincialistes. Ce qui nous a valu le soir du premier référendum le 20 mai 1980 cette déclaration de Lévesque : « Si j'ai bien compris, vous êtes en train de me dire : à la prochaine fois. » C'est comme ça qu'une société remplacée tente, selon François Robichaud, « de se convaincre que la prochaine fois, en lui soumettant de meilleurs arguments, elle induira cet État étranger [l'État fédéral] - qu'elle refuse de considérer comme tel sous prétexte qu'elle lui verse ses impôts - à enfin garantir son droit à l'autonomie au point de lui sacrifier sa concurrente. [...] On retrouve souvent, dans le « nationalisme » d'une collectivité subissant l'oppression essentielle, ce mélange inconscient de rouerie et de naïveté. » Finalement, ce pseudo-nationalisme persuade la société remplacée « qu'elle peut s'affirmer ouvertement... dans l'inexistence politique » (voir RÉF. no 9).
« Se condamner à répéter les mêmes gestes collectifs sans se rendre compte que « vivre, c'est agir » au lieu d'être remplacé pour que l'autre nous remplace et agisse à notre place est d'une lâcheté abominable. »
Comme l'article sur « la patente » fédérale de Marissal s'inspire de la foi du charbonnier envers le fédéralisme pancanadien, le point de vue de François Robichaud en est la contrepartie. Sous le couvert du réalisme politique, Marissal ne propose pas moins que le plaisir narcissique d'une minorité nationale qui, tel Sisyphe, reprendrait indéfiniment le même combat sans pouvoir jamais parvenir à son but. Se condamner à répéter les mêmes gestes collectifs sans se rendre compte que « vivre, c'est agir » que l'autre nous remplace et agisse à notre place est d'une lâcheté abominable. Les Québécois et Québécoises devraient se rappeler le refus de l'Inde à l'époque de Gandhi de se laisser gouverner par une autre nation. La comparaison peut sembler boiteuse, mais sur les fondements de l'indépendance, c'est essentiellement le même combat pour parvenir à agir par soi collectivement à l'interne et à l'externe.
Réponse de l'histoire
L'histoire politique canadienne et celle du fonctionnement du fédéralisme ne peuvent que confirmer ce constat. Combien d'études rédigées par des fédéralistes sincères ou dépités ont constaté que l'équilibre entre les pouvoirs ou son déséquilibre, les moyens ou les permissions s'établissait plus généralement à l'avantage du plus fort et ce, grâce à la Cour suprême dont les juges sont tous nommés, comme par hasard, par le premier ministre fédéral, sans que le Québec ait un mot à dire.
Les événements récents [en 2004] au sujet de la conférence fédérale-provinciale sur la santé ont des racines aussi lointaines que les premières années de fonctionnement de la fédération canadienne. De tout temps, il est possible de noter des tensions entre les deux paliers de gouvernements. Les raisons en sont profondes et complexes. Il y a tout d'abord la constitution du Canada, premier pilier de toutes les relations intraétatiques canadiennes. Ce pilier est bien le plus fondamental de tous. Après viennent les circonstances qui façonnent le rapport de force entre les gouvernements. Il n'est pas négligeable non plus de tenir compte de la situation générale et du contexte global du pays. Ce sont là tous des facteurs ou des causes qui peuvent favoriser soit une plus grande centralisation soit une plus grande décentralisation. Que le balancier oscille dans un sens comme dans l'autre, ce n'est qu'une question de degré ou d'intensité de la centralisation qui est en cause dans toutes les sortes d'unions fédérales. Par conséquent, « on ne doit pas s'imaginer que la nation minoritaire sera libre quand le central [majoritaire] sera moins fort ; elle sera « un peu moins pas libre ». Par ailleurs, « il ne faudrait pas croire que, si le central a peu de pouvoir, la nation minoritaire sera souveraine (Maurice Séguin, Les Normes, 3,10,1,1-G) »
« L'histoire est faite de toutes ces fédérations qui se sont disloquées après s'être donné des comportements impérialistes. »
C'est l'histoire du balancier qui oscille continuellement et la théorie des vases communicants. Mais il ne faut pas trop s'illusionner sur les oscillations du pendule ou sur le flux financier des vases communicants, car le problème réside essentiellement dans le système fédéral lui-même (voir ANNEXE). C'est une centralisation in se. Le système est à prendre ou à laisser. L'histoire est faite de toutes ces fédérations qui se sont disloquées après s'être donné des comportements impérialistes. L'exemple du Commonwealth britannique est exemplaire à cet égard. Par conséquent, il est loin d'être insensé d'envisager une autre perspective qui va dans le sens de l'indépendance d'une nation qui met à son service un État souverain capable de relever les défis sociaux et nationaux de sa propre nation.
Les débuts du fédéralisme canadien
« Le propre d'une fédération », qu'est-ce au juste ? Au Canada, c'est une histoire connue depuis les premiers jours de la « confédération ». En premier lieu, les négociations fédérales-provinciales prennent leur racine dans la loi fondamentale du Canada de 1867 et de ses modifications jusqu'à nos jours. L'ensemble de ces documents établit la « primauté de la Constitution du Canada » qui « est la loi suprême du Canada » (cf. Loi constitutionnelle de 1981, Partie VII : art. 52). Hier, c'était vrai ; aujourd'hui, c'est encore plus vrai et même plus explicite. En effet, le fédéralisme canadien est évolutif, mais pas dans le sens qu'on pense ! !
Pour le profit de nos lectrices et de nos lecteurs, nous aimerions reproduire un extrait de notre thèse de doctorat qui se rapporte aux relations interétatiques au début de la confédération. Le chapitre X qui est le dernier de cette recherche s'intitule : « PRIORITÉS DES ÉTATS PROVINCIAUX ET IMPÉRATIFS DU FÉDÉRALISME ». Nous croyons qu'il illustre assez bien le modèle opératoire du fédéralisme canadien avec ses écueils inévitables. Le texte qui suit est extrait de cette thèse.
Bruno DESHAIES, Évolution des États du Québec et de l'Ontario entre 1867 et 1871. Thèse de doctorat ès lettres, Montréal, Université de Montréal, Département d'histoire, mars 1973, xii + 462 p. + 4 cartes + 4 tableaux hors-texte + 8 Appendices (voir RÉF. no 1 et 4). Voir les pages 357 à 367 et 389. Pour comprendre la portée de cet extrait, nous conseillons aux internautes de consulter le « résumé » de cette recherche dans l'ANNEXE
Le fédéralisme canadien : la théorie et la pratique
Voir Texte
Première réflexion
Ces premières relations interétatiques fédérales-provinciales indiquent déjà comment vont se comporter les gouvernements fédéral et provinciaux au Canada pendant les décennies à venir. Pour ainsi dire, l'avenir du fédéralisme canadien s'écrivait dans ses grandes lignes à partir de ses origines mêmes. Si les relations interétatiques du début de la Confédération ont pu donner l'impression d'une certaine forme de coopération égalitaire, très vite elles deviendront des relations intraétatiques : un État fédéral et des gouvernements de Législatures provinciales ou d'États locaux avec des pouvoirs circonscrits et prévus dans la constitution du Canada. Donc : contre un « Canada-Anglais nation » un « Canada-Français province ». Il s'agit bel et bien du Québec-Français, ou de ce qui en reste.
Des rapports entre les États de l'union fédérale canadienne, il peut se dégager quelques lignes de force qui persistent toujours en rapport avec la conception du fédéralisme canadien. En conclusion de ce chapitre sur les priorités des États provinciaux et les impératifs du fédéralisme canadien, voici ce que nous écrivions en 1973 pour clore ce chapitre des relations fédérales-provinciales.
Diverses conceptions du fédéralisme canadien
Comme on a pu le constater précédemment, les tensions sociales au sein du fédéralisme canadien ont été nombreuses. Cet échantillon de débats entre Québec, Toronto et Ottawa, autour de certaines questions démontrent que dès 1867-1868 les négociations fédérales-provinciales et interprovinciales existaient déjà en dépit de l'existence du double mandat et de la très forte pression politique du gouvernement Macdonald-Cartier sur les Parlements du Québec et de l'Ontario.
À travers ces différents débats, il se dégage trois conceptions du fédéralisme. Celle de l'Ontario, où l'on pense plutôt le fédéralisme en terme de formule administrative ou autrement dit d'aménagement du territoire avec une insistance marquée sur les aspects économiques; celle du Québec, où l'aspect politique prédomine parce que l'on veut préserver l'autonomie provinciale au sein d'une union fédérale; finalement, la conception canadienne, où l'aspect national domine les provincialismes en vue d'asseoir incontestablement le pouvoir central sur tous les autres pouvoirs provinciaux. L'histoire du fédéralisme canadien jusqu'à ce jour se résume en un effort constant de conciliation entre ces trois conceptions en vue d'éviter le pire.
_ (FIN DE L'EXTRAIT)
Deuxième réflexion
La deuxième réflexion tient à l'aspect théorique du fédéralisme ou des fédéralismes. Trop souvent, les gens ont tendance à s'imaginer que le fédéralisme n'est pas de l'annexion ni même de la subordination qui se font sur place. Or, dans les faits, cette situation ne se compare même pas à la situation d'une nation satellite ; ne se compare absolument pas non plus à celle d'une nation indépendante.
Contrairement à la nation annexée, la nation satellite subit une infériorité de voisinage qui prend la forme d'une subordination de voisinage, mais elle forme tout de même, théoriquement, un État souverain et distinct. Il y a un État national, des frontières, une armée, une monnaie nationales... Il existe même une possibilité de libération de la tutelle d'un voisin trop encombrant. Dans ces circonstances, il paraît utile de faire clairement les distinctions suivantes :
• Égalité, infériorité, supériorité de voisinage - pour les nations indépendantes,
• Subordination de voisinage - pour les nations satellites,
• Subordination sur place et superposition - pour les nations annexées.
Source : Maurice Séguin, Les Normes, 3,7,1,1 à 3,7,1,3.
La nation indépendante, c'est la nation qui, au sens sociologique, maîtrise comme majorité un État souverain (Id., Ibid., 3,5,1.) De là, force est d'admettre que la nation annexée (ce qui est le cas du Québec) est une nation minoritaire qui subit une oppression essentielle d'un degré particulier d'annexion politique. Elle n'est pas indépendante ; elle ne subit pas une subordination de voisinage ; elle est étreinte par une subordination sur place doublée d'une superposition qui est le principe même du fédéralisme. Par conséquent, l'espace politique de cette nation est restreint à un degré limité d'autonomie (cf. Id., Ibid., 3,7,5,5).
La nation minoritaire qui vit dans le fédéralisme ne doit pas s'imaginer être plus libre parce que les pouvoirs du gouvernement central seront moins forts. Elle demeurera quand même une nation annexée avec subordination sur place et superposition. Pour bien comprendre, il faut lire le raisonnement suivant :
On ne doit pas s'imaginer que la nation minoritaire sera libre quand le central sera moins fort ; elle sera un « peu moins pas libre. Ne pas croire que, si le central a peu de pouvoir, la nation minoritaire sera souveraine. À la limite, si le central devenait un pouvoir très désincarné (sans armée, sans diplomate, sans droits prioritaires sur les revenus, etc.), la nation minoritaire serait quasi souveraine, mais elle aurait toujours « quelque chose » de moins que la nation majoritaire, ce « quelque chose » qui serait du domaine central. » (Dans Maurice Séguin, Les Normes, 3,10,1,1-G.)
Dans un tel cas, ni la conception ontarienne ni la conception québécoise ni la conception canadienne de l'union fédérale au Canada ne peuvent satisfaire la notion d'indépendance, c'est-à-dire d'égalité. Le Canada, comme État souverain, subit une infériorité de voisinage et même dans certaines circonstances une subordination de voisinage par sa condition de nation satellite des États-Unis. C'est la principale raison pour laquelle l'inquiétude indépendantiste canadian entraîne le gouvernement fédéral à jouer un rôle accru dans la défense de l'unité canadienne. C'était vrai en 1867 et c'est encore vrai aujourd'hui. Les Québécois-Français vivent le même drame qu'en 1867.
Troisième réflexion
En exergue de l'introduction de notre thèse de doctorat, nous citions le point de vue d'un politologue chevronné, Herman Finer, au sujet du rôle des États sur leurs possibilités de maîtriser l'avenir. Voici ce qu'il écrivait dans The Theory and Practice of Modern Government : « Si les États demeuraient statiques, si l'humanité arrêtait d'engendrer des problèmes découlant des efforts pour maîtriser l'avenir, alors la plus grande partie des difficultés des gouvernements serait éliminée. »
Par ailleurs, dans notre chronique du jeudi du 7 septembre 2000, nous citions encore Finer en rapport avec la centralisation dans les États unitaires et les fédérations. Voici ce qu'il écrivait dans The Theory and Practice of Modern Government : « Les États unitaires assouplissent la rigidité du gouvernement central tandis que, dans certains types de fédéralisme, il y a plus de centralisation que ce que le nom implique originellement. Il y a, conséquemment, au sujet des États, un très large éventail de systèmes... » (voir RÉF. no 6, p. 166. Mots mis en gras par nous.).
Il n'est pas incompatible de parler de l'État du Québec dans le cadre du fédéralisme pancanadien. Cependant, il serait illusoire de penser qu'il s'agit d'un État plénier ou complet. C'est un État, oui, mais tronqué. Contrairement à un État indépendant, l'État du Québec vit dans un maelström fédéraliste qui limite son horizon politique, économique et culturel. Malgré ses efforts pour contourner les dangers de l'avenir, l'État québécois est soumis à un enchevêtrement très complexe de situations dont il a une maîtrise très imparfaite, donc partielle, à cause de son statut de « province ». Il n'est pas maître à bord du navire étatique qu'il pilote et il n'est même pas le copilote du navire dans lequel il se trouve. En outre, la fédération à laquelle il est unie est une fédération hautement centralisée in se. Même un État unitaire pourrait être moins centralisateur que l'État fédéral canadien. Comme le le dit plus haut Herman Finer : « Il y a, conséquemment, au sujet des États, un très large éventail de systèmes... ».
Dernière réflexion
Critique de l'idéologie fédéraliste au travail
Dans le contexte d'aujourd'hui, nous trouvons particulièrement curieux d'observer l'offensive du quotidien La Presse en ce qui a trait aux les récentes déclarations de Mario Dumont sur l'autonomie du Québec. Après un vote important des électeurs et électrices québécois pour le Bloc québécois aux dernières élections fédérales et dans la foulée des discussions autour du déséquilibre fiscal et des responsabilités de l'État du Québec au sujet de la santé ainsi que de la bisbille au sein du camp souverainiste des péquistes, pourquoi le chef de l'ADQ n'aurait-il pas le droit à sa fantaisie au sujet d'un « État autonome du Québec » (cf. RÉF. no 5) ? Pourquoi dans ce fouillis d'idées sur l'avenir constitutionnel du Québec (tant au Québec qu'au Canada-Anglais), tout à coup, on nous parlerait d'un « maladroit virage « autonomiste » (Ibid.). N'y aurait-il pas, à la place, un virage centralisateur maladroit en dépit des apparences politiciennes ? Des pirouettes politiques de toutes sortes nous en avons vécu tant et plus au Québec depuis de nombreuses générations. Allons-nous nous offusquer ?
L'impression qui se dégage de l'article d'Alain Dubuc dans La Presse du 29 septembre (Ibid.) surprend particulièrement. Au fond, pour M. Dubuc, tout ce qui est « autonomiste » est mauvais. Et vous comprendrez que le rapport Allaire est jugé de la belle façon. « Ce rapport, écrit-il, est sans doute le document politique québécois le plus stupide du dernier quart de siècle. (Ibid.) » Le rapatriement de la constitution canadienne et l'enchâssement de la Charte des droits et libertés dans la constitution du Canada, sans l'accord du Québec, ce n'est rien. Rien que du vent ! En y ajoutant un tout petit peu plus, on croirait entendre Jean Chrétien et Stéphane Dion nous parler !
On comprend le point de vue du collaborateur spécial de La Presse à la suite de deux questions qu'il se pose : « Est-ce possible ? Peut-on, au Québec, faire de la politique sans avoir à se définir en fonction des enjeux constitutionnels ? » Mais c'est la réponse du fédéraliste jusqu'à la moelle qui est suave. « La crise interne du courant souverainiste, écrit-il, tout comme les succès limités mais réels du patient travail des libéraux, semble indiquer que nous ne vivons pas dans une période de crise [?] qui justifie les mobilisations intempestives et qu'il est plus possible que jamais de faire avancer le Québec sans se laisser piéger par notre éternel débat. » Aurait-il oublié que l'État du Québec est en train de gérer un seul ministère, celui de la santé, dont la part des dépenses prélevées sur le par rapport au budget de l'État québécois est démesurée ? Un individu peut-il vivre avec un budget qui ne comblerait que ses besoins alimentaires ? Un État, même provincial, doit-il se condamner à être tout simplement et stupidement une succursale d'Ottawa ? Est-ce uniquement une gouvernance que nous voulons à Québec ou le gouvernement d'un État avec tous les attributs qui pour le moment encore constituent ses compétences « autonomistes » prévues à l'article 92 de la constitution du Canada ? Le Canada serait-il devenu un bazar où tout peut s'arranger finalement selon la loi du plus fort ou « au plus fort la poche » ? La constitution, on oublie ça ! Attaquons-nous à des arrangements administratifs ! Des journalistes comme Lysiane Gagnon viennent de voir « l'efficacité » de Charest dans leur soupe (RÉF. no 7). Qui dit mieux ! Cafouillons encore plus dans le fouillis des subventions et de la péréquation, que probablement les spécialistes eux-mêmes ne finiront jamais de comprendre. Et de grâce, ne touchons pas à la constitution ! Est-ce cela le but des impératifs du fédéralisme canadien ?
Le respect de la démocratie nous oblige à rouspéter, à condamner et à faire autre chose que du fédéralisme « asymétrique » ou « coopératif » ou « d'ouverture » ou de « sage » avec Bob Rae (ce nouveau libéral) que personne, même ceux qui s'en font les promoteurs, n'est à peu près capable de définir intelligemment. En tout état de cause, un Québec indépendant ne pourrait pas faire pire en politique que l'exemple que nous donnent depuis des décennies le gouvernement du Canada et l'État canadien. Quant aux neuf autres gouvernements, ils participent à la même idéologie de l'« opportunité » que le gouvernement de l'Ontario depuis les débuts de la Confédération.
Pour régler son problème, le Canada-Anglais a manqué des dizaines d'occasions pour satisfaire les besoins exclusifs du Québec. Il faut agir. Pour cela il faut vivre. « Vivre, c'est agir. (RÉF. no 9) » Pour quelle raison ? Parce que le remplacement réduit à l'inaction. Parce que l'oppression essentielle exclut l'accession d'un autre à son autonomie interne et externe. Parce que « l'annexion (la provincialisation) est le cheminement obligatoire qui conduit à l'assimilation totale quand cette dernière doit se produire » (Maurice Séguin, Les Normes, 3,10,1,4-J). Il n'y a donc pas de substitut pour une collectivité qui décide d'agir et de vivre indépendante dans le monde (voir RÉF. no 2).
Bruno DESHAIES
NOTE :
(1) L'article 118 de la constitution de 1867 a été abrogé par la Loi de 1950 sur la révision du droit statutaire, 14 George VI, ch. 6 (R.-U.). Cet article était devenu désuet depuis la loi de 1907. Il a été abrogé par la Loi sur les subventions aux provinces, L.R.C. (1985), ch. P-26, et la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces et sur les contributions fédérales en matière d'enseignement postsecondaire et de santé, L.R.C. (1985), ch. F-8. L'élimination de l'article 118 découle du rapatriement de la constitution canadienne en 1982.
Voir la partie III de la Loi constitutionnelle de 1982 qui énonce les engagements du Parlement et des législatures des provinces relatifs à l'égalité des chances, au développement économique et aux services publics essentiels ainsi que l'engagement de principe du Parlement et du gouvernement du Canada de faire des paiements de péréquation. Voir Loi constitutionnelle de 1982.
(2) Maurice Séguin, Histoire de deux nationalismes au Canada, Montréal, Guérin, Éditeur, 1997, p. 388 + p. 7 et 8 et 394 à 397.
RÉFÉRENCES :
(1) Bruno DESHAIES, Évolution des États du Québec et de l'Ontario entre 1867 et 1871. NOTE : Faire un HYPERLIEN sur l'ANNEXE (Académie de l'indépendance). Thèse de doctorat ès lettres, Montréal, Université de Montréal, Département d'histoire, mars 1973, xii + 462 p. + 4 cartes + 4 tableaux hors-texte + 8 Appendices. L'APPENDICE VII : « Immigration » (cf. note de bas de page no 15) comprend cinq documents en rapport avec les discussions entourant la question de l'immigration (p. 410-418).
(2) Bruno DESHAIES, « Un Québec annexé. Les Québécois comprendront-ils un jour leur statut de nation annexée ? » Chronique du jeudi 30 janvier 2003.
(3) Bruno DESHAIES, « L'indépendance du Québec-Français ou le fédéralisme canadian ? Quelques remarques préliminaires : limites et inconvénients du fédéralisme. » Chronique du jeudi 7 septembre 2000.
(4) FONDS BRUNO DESHAIES - 2001. À l'été de 2001, les Archives nationales du Québec ont fait l'acquisition d'archives privées de Bruno Deshaies. Le Fonds Bruno Deshaies se trouve à Québec à la Division des archives textuelles du Centre d'archives de Québec (Cote P785).
N. B. Une partie du fonds concerne la documentation, les fiches de recherche, la bibliographie, des cartes, certains discours politiques, les exposés sur les finances publiques et les débats parlementaires dans les journaux de l'époque. Cette série du fonds regroupe le corpus d'information qui a servi de base à la rédaction de la thèse portant sur l'Évolution des États du Québec et de l'Ontario entre 1867 et 1871. Une matière précieuse pour ceux et celles qui s'intéressent à l'histoire du Québec et du Canada. De plus, toute cette documentation peut illustrer une initiation pratique à la méthodologie historique. Le fonds peut se consulter sur place au Pavillon Louis-Jacques-Casault, Cité universitaire, Université Laval, C.P. 10450, Ste-Foy, Québec (G1V 4N1). Tél.: (418) 643-4376 Téléc.: (418) 646-0868. Vous pouvez aussi communiquer avec le donateur du lundi au vendredi seulement entre 9 h 30 et 16 h 30 au (514) 326-5917.
(5) Alain DUBUC, « ADQ : Le virage raté. » Dans La Presse, mercredi 29 septembre 2004, p. A23.
(6) Herman FINER, Theory and Practice of Modern Government, 2e éd., New York, Holt, Rinehart and Winston, 1960, 978 p. Il y a eu plusieurs rééditions de cet ouvrage depuis 1934. La dernière remonterait à 1971. Une sorte de bible de la science politique. Un bel exemple de la nécessité du rapport entre la théorie et la pratique. Fondamental.
(7) Lysiane GAGNON, « Jean Charest ou l'efficacité. » Dans La Presse, samedi 25 septembre 2004, p. A28.
(8) Vincent MARISSAL, « La patente. » Dans La Presse, dimanche, 26 septembre 2004, p. A6. Une apologie du fédéralisme.
(9) François ROBICHAUD, « Vivre, c'est agir. » Texte inédit. Dans Le Rond-Point des sciences humaines.
ABRÉVIATIONS :
DS : Document de la session
J.L.A.P.O. : Journals of the Legislative Assembly of Ontario
SP : Sessionnal paper
ANNEXE
L'Académie de l'indépendance
« ÉVOLUTION DES ÉTATS
DU QUÉBEC ET DE L'ONTARIO
ENTRE 1867 ET 1871 »
Documents
Le titre de l'ANNEXE se réfère à la thèse de doctorat que nous avons déposée en mars 1973 à la Faculté des Arts et des Sciences de l'Université de Montréal. Le « Sommaire » qui suit donne un aperçu du contenu de la thèse (TEXTE « A ») ; le « Résumé » qui vient ensuite présente surtout la contribution particulière de cette recherche aux connaissances et à la science historique (TEXTE « B ») ; finalement, la « Conclusion » expose un bilan comparatif des comportements et des conduites politiques au Québec et en Ontario entre 1867 et 1871 (TEXTE « C »).
L'esprit de cette recherche a été exposé dans l'« Introduction » (p. 1-5). On peut lire : « Concrètement, cette recherche a débuté par une analyse des débats parlementaires du Québec et de l'Ontario. Mais en cours de route, elle s'est élargie à l'étude de l'évolution de deux États fédérés aux débuts de la Confédération. Finalement, elle a été orientée vers la description comparative de l'itinéraire politique de chacun des États l'un en regard de l'autre. Une fois ce schéma général admis, il a surtout été question de la politique québécoise et ontarienne au cours du premier Parlement en vue de fournir une explication des comportements politiques de ces deux États. C'est pourquoi la vie politique a été explorée sous diverses facettes qui vont de la lutte pour la prise du pouvoir à l'action gouvernementale ; du fonctionnement des rouages de la fonction publique aux règles régissant les relations entre les partis au sein du Parlement ; des finances publiques aux politiques socio-économiques et aux problèmes des choix de l'État ; des problèmes d'intégration sociale aux luttes idéologiques, puis des rapports entre les priorités des États fédérés et les impératifs du fédéralisme canadien (p. 1 et 2). »
Dans cette étude, nous avons été influencé par de nombreux auteurs. Parmi ceux-ci, nous aimerions mentionner le nom d'Herman Finer, un grand spécialiste de la science politique, qui a fait carrière à l'Université de Chicago. Son livre Theory and Practice of Modern Government a fait école. Depuis la première édition en 1934, l'ouvrage a été réédité et révisé à plusieurs reprises dont une dernière réédition en 1971. Cette « somme » de science politique analyse toutes les grandes questions liées à la vie politique, aux gouvernements et aux institutions démocratiques ainsi qu'aux types de gouvernement, plus particulièrement démocratique. Deux chapitres sont consacrés au fédéralisme avec au moins une courte subdivision bien marquée sur « la nécessité et les difficultés du fédéralisme » (RÉF. no 6, p. 184-185). Les deux colonnes de texte sont prémonitoires. L'histoire du Canada depuis 1867 n'échappe pas à l'analyse que propose Finer des difficultés inhérentes au fonctionnement du système fédéral.
« Le fédéralisme canadien s'est figé
sur le moule qui a été créé en 1867. »
Les résultats de notre recherche remontent à plus d'une trentaine d'années. Ils portent sur les débuts des activités politiques et du fonctionnement des États provinciaux du Québec et de l'Ontario au cours du premier Parlement provincial. Le fédéralisme canadien s'est figé sur le moule qui a été créé en 1867. La justesse de l'arrangement constitutionnel de 1867, en 1867, persiste dans l'esprit des acteurs politiques comme s'ils pouvaient concevoir l'unité canadienne d'aujourd'hui comme en 1867. La conséquence : « Toujours deux Canadas qui ne peuvent se fusionner [avec] les mêmes relations [qui] commandent leur coexistence. » D'où l'éternel débat constitutionnel.
N'en déplaise aux fédéralistes de tout acabit et de tous les partis politiques au Canada et au Québec, la « chicane » va continuer jusqu'à ce que le fédéralisme canadien se transforme en un Canada-Anglais indépendant et un Québec indépendant distinct. Le règne de l'indépendance à deux dans un seul État souverain est un mythe. Le Pacte fédératif de 1867 est un mythe. L'égalité à deux est un mythe. Le mythe doit prendre fin. Seule la thèse de « l'indépendance à une seule nation » pourra résoudre la quadrature du cercle du système fédéral canadian. Conséquemment, seule la deuxième thèse permettra d'assainir les relations interétatiques entre pays souverains respectueux l'un de l'autre dans leurs rapports de voisinage dans l'égalité politique.
Étant donné qu'il est objectivement nécessaire de cesser de s'épuiser à négocier constamment à genoux, aussi bien acquérir son indépendance. Ce qui serait très sain et pour le Canada et pour le Québec. Pour le Québec, il s'agirait dorénavant de « vivre avec les autres, mais par soi », ce qui signifie « collaboration, mais autonomie » ou encore être « together but on our own feet ». Le plus tôt est le mieux.
Bruno DESHAIES
Source : Bruno Deshaies, Évolution des États du Québec et de l'Ontario entre 1867 et 1871. (RÉF. nos 1 et 4.)
TEXTE « A »
_ Sommaire
Cette thèse se divise se divise en quatre parties. La première se rapporte à la mise en marche des Parlements du Québec et de l'Ontario durant les six derniers mois de 1867 : formation des cabinets, élections et débats sur l'adresse en réponse au discours du trône. La seconde partie concerne le fonctionnement de l'État d'abord sur l'aspect des institutions politiques et de l'organisation administrative puis sous l'angle du contrôle entre la fonction gouvernementale et la fonction législative. Viennent les chapitres six et sept qui touchent à la politique financière des gouvernements P. J. O. Chauveau et John S. Macdonald. Dans cette partie de la thèse, on y étudie les finances publiques et les besoins collectifs avec le problème de l'arbitrage de la dette. Finalement, dans la dernière partie, il est question du rôle des gouvernements et des fonctions sociales de l'État. Une place spéciale est réservée à l'éducation, au développement socio-économique et aux relations intergouvernementales. Ce sont là les sujets principaux de cette recherche sur la politique des États du Québec et de l'Ontario.
TEXTE « B »
_ Résumé
La contribution particulière de cette thèse porte sur les aspects comparatifs de la politique au Québec et en Ontario. En abordant l'ensemble social sous cet angle, il a été fait une place privilégiée au fonctionnement de l'État, d'une part, et de l'État en fonctionnement, d'autre part. De cette manière, il a été possible de pénétrer plus à fond deux aspects de la politique, à savoir : la politique-programme-d'action et la politique-domaine-des-rivalités. Dans le premier cas, il s'agit principalement de la prise de décision ; dans le second, il est surtout question de la lutte démocratique entre les groupements politiques.
Une fois admis le cadre conceptuel de l'État dans l'analyse de la politique de chacun des parlements, il a fallu voir l'action gouvernementale et la lutte des partis au moment de la mise en marche des parlements, en regard des fonctions de l'État et encore par rapport aux politiques à définir hic et nunc. Ainsi, il a été possible de déboucher sur certaines conclusions.
Comme les politiques des États du Québec et de l'Ontario ont exprimé les aspirations de deux sociétés comparables, mais distinctes, il allait de soi que nous nous retrouvions finalement en présence de deux univers politiques différents qui ont coopéré ou sont entrés en compétition selon la règle de l'intérêt national ou de la notion d'avantage collectif toujours à définir ou à redéfinir aux différentes époques de leur histoire.
Entre 1867 et 1871, les gouvernements P .J.O. Chauveau et John Sandfield Macdonald ont été les porte-parole démocratiques de leur collectivité respective. Ce phénomène au sein du fédéralisme canadien naissant explique les tensions inévitables des institutions fédérales. En définitive, les États du Québec et de l'Ontario n'étaient pas seulement des gouvernements régionaux. Dès leur naissance, ces États ont exprimé la plénitude de leurs pouvoirs au sein d'une structure fédérale d'organisation politique qui comportait de nombreuses imperfections. Le Québec et l'Ontario ont mis à l'épreuve ce régime dès 1867. Les difficultés du fédéralisme canadien ne sont pas nées de l'après-Deuxième Guerre-mondiale, elles existaient - par delà les hommes - dans la loi fondamentale du pays. C'est ce que nous avons voulu démontrer dans cette thèse.
Bruno Deshaies, 1973.
TEXTE « C »
_ Conclusion
« Les hommes traînent une poutre,
_ chacun exprime son avis sur la façon de la traîner
_ et l'endroit où la mettre. »
_ (Léon Tosltoï)
Les hommes ont tendance à idéaliser la réalité. Et face à l'histoire du Québec et de l'Ontario deux attitudes opposées semblent possibles. L'une prétend que les caractéristiques entre les deux sociétés sont homologiques, l'autre soutient qu'elles sont antithétiques. Dans un cas comme dans l'autre, il s'agit d'une déformation de la réalité au profit des anamorphoses. Que convient-il de penser ? Il convient de replacer chacune de ces sociétés dans son environnement historique puis de détecter, après coup, les ressemblances et les dissemblances.
L'étude globale d'une société est en soi trop complexe pour qu'on puisse l'aborder dans son ensemble. Aussi, avons-nous opté pour le "primat de la politique" au sens où l'explique Raymond Aron dans Démocratie et totalitarisme. « Il ne s'agit, écrit-il, à aucun degré d'un primat causal. » ( Raymond Aron, Démocratie et totalitarisme (Coll. "Idées" No 88, Paris, Gallimard, 1965), 33.)Toutefois l'influence qu'exerce la politique sur l'ensemble de la collectivité affecte les caractéristiques essentielles de la vie collective. Cela est dû en grande partie au fait que le pouvoir organisateur de la société édicte les normes à suivre pour l'ensemble du corps social. S'il n'est pas contesté fondamentalement, il arrive même que l'autorité et la légitimité se confondent et assurent finalement la cohésion de l'État ; même que le style de la vie en commun tout entier en soit modifié.
Cette assertion peut paraître sans fondement, mais l'attitude des gouvernements - nous l'avons vu - s'incruste dans l'humus social. Or, celui-ci est distinct entre le Québec et l'Ontario, en partant, il y eut deux styles de gouvernements et deux politiques. Quoi de plus naturel !
Le comportement politique des Québécois et des Ontariens au moment des élections de 1867, à l'occasion de la mise sur pied des institutions politiques et de l'organisation administrative, à l'égard des finances publiques, de l'arbitrage de la dette, de l'éducation, du développement socio-économique, puis des relations intergouvernementales fut fort différent. Nous l'avons vu au cours des chapitres précédents ; il serait vain d'insister à nouveau.
En deçà des politiques possibles, il y a les politiques vécues. Par exemple, le corpus des lois québécoises si on le compare aux lois ontariennes se distinguent sur plusieurs plans. Au plan politique, le gouvernement P.J.O. Chauveau paraît plus centralisateur que celui de J.S. Macdonald. Au plan des finances publiques, le peuple trouve que le gouvernement du Québec dépense trop. or Alors qu'on accuse, en Ontario, le gouvernement de thésauriser les revenus publics. Au plan socio-économique, l'opinion publique québécoise croit que le gouvernement n'est pas suffisamment « libéral » dans ses mesures tandis qu'en Ontario on craint que le pouvoir se serve de ses revenus pour consolider ses positions. Au plan du régime électoral, le Québec se complaît dans les règles du jeu admises alors que l'Ontario adopte très tôt une loi en vue d'améliorer la situation. Quant à la sécurité de l'État, l'Ontario accepte la protection policière du fédéral, mais le Québec adopte, à la dernière session : « Un Acte pour établir un système de Police en cette Province. » Au niveau de l'organisation administrative et des institutions publiques, le Québec prend les devants en formant la Commission du Service Civil, en adoptant une loi relative à l'indépendance du Parlement et en créant les différents ministères en vue d'établir solidement l'État du Québec au même titre que celui du Canada. À ce sujet, l'Ontario se contente de fusionner les départements de l'Agriculture et des Travaux publics telle que la constitution l'exigeait à l'article 64. Dans le domaine de l'éducation, le Québec adopte deux lois importantes, mais ce sera celle de 1869 qui servira de prémisses à l'élaboration du système confessionnel; en Ontario, la loi de 1871 posera les fondements d'un système scolaire démocratique et public cohérent. Dans l'ordre de l'aménagement du territoire, le code municipal sous l'égide de Gédéon Ouimet sera adopté dès le premier Parlement alors qu'en Ontario, cet épineux problème sera réglé seulement en 1873. Toutes ces lois (ou l'absence de lois) ont marqué plus ou moins profondément les attitudes politiques de chacune des populations. Des comportements sociaux ont été façonnés en cours de route et les conduites politiques ont suivi le cours du développement mental et matériel de chacune des sociétés. Le Parlement a donc été le creuset de la société. Par conséquent, les lois nous renvoient au Parlement, qui lui-même nous retourne à toute la société.
Ce lien étroit entre les lois, le Parlement et la société nous amène à étudier des conduites, c'est-à-dire à aborder l'être humain dans ses relations sociales. Le Parlement a servi de truchement pour comprendre le Québec et l'Ontario à l'époque de P.J.O. Chauveau et de J. S. Macdonald. Il ressort de l'analyse des débats parlementaires, surtout ceux qui portent sur l'arbitrage de la dette, la politique d'immigration, le désaveu des lois, la construction des chemins de fer, le régime électoral, l'émigration des Franco-Québécois aux États-Unis ou le Municipal Loan Fund en Ontario que les deux collectivités avaient à résoudre des problèmes sociaux qui se ressemblaient, mais les conduites politiques ne furent pas identiques. Il en fut de même des attitudes politiques des partis en Chambre, qui divergèrent sur plus d'un point compte tenu de leur situation, de leur force, de leur idéologie, de leurs leaders et de leur appui dans la population. En d'autres termes, on se trouve en présence de deux univers politiques différents, chacun ayant sa constellation sociale propre. Il serait vain alors d'y voir absolument des caractéristiques homologiques ou antithétiques à l'état pur.
Laissons rêver les idéologues d'un monde qui n'existe pas ou qu'ils voudraient qu'il soit pour se contenter de prendre la mesure du réel. Il ne revient pas à l'historien de changer le monde qui a été, mais plutôt de le comprendre et de l'expliquer. L'itinéraire politique du Québec a été différent de celui de l'Ontario à ses débuts. Quel mal y a-t-il à considérer que telle a été la réalité ?
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé