Un « si-si » sans équivoque à 81 % des voix. Telle a été la réponse qu’ont donnée plus de 2,2 millions de Catalans à la double question qui leur a été posée lors de la consultation populaire de dimanche, qui a remplacé la tenue d’un vrai référendum à l’écossaise. Mais les indépendantistes de cette riche communauté autonome du nord-est du pays sont surtout fiers d’avoir gagné leur plus important pari : celui de la participation — environ un tiers des 6 millions d'électeurs de 16 ans et plus sont allés voter — à cet événement que le gouvernement de l’Espagne a tenté d’empêcher par tous les moyens.
« Cela marque un point de non-retour dans notre chemin vers l’autodétermination », a déclaré à une foule émue, Muriel Casals, présidente d’Omnium Cultural. « Aujourd’hui, on a défié l’État espagnol, on a montré au monde que l’État espagnol n’est pas le nôtre », a renchéri Carme Forcadell, présidente de l’Asemblea Nacional Catalana (ANC), une organisation de la société civile indépendantiste très active, qui a orchestré la campagne du « si-si » et le vote de dimanche.
Le président de la Catalogne, Artur Mas, a qualifié cette journée de « succès total » et a également salué le « civisme exemplaire » dans lequel elle s’est déroulée. Il a exigé du président du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, qu’il permette maintenant la tenue d’un référendum « définitif ».
Pour certains, cette telle participation est d’autant plus remarquable que plusieurs, surtout du camp du non, avaient annoncé leur intention de boycotter l’événement jugé dépourvu de légitimité après qu’il eut été suspendu par le Tribunal constitutionnel. « Une participation massive est importante et va servir à créer un rapport de force », a souligné Josep Maria Vila D’Abadal, le maire de la ville de Vic et président de l’Association des villes pour l’indépendance.
Mais plusieurs étaient en désaccord avec la double question qui était posée : « Voulez-vous que la Catalogne soit un État ? Si oui, voulez-vous que cet État soit indépendant ? » Pour eux, cette question induisait trois réponses possibles, le « si-si » (pour l’indépendance), le « si-no » (pour une sorte de souveraineté-association) et le « no » (pour un État espagnol uni) et rendait l’exercice confus. Au final, moins de 5 % ont finalement voté non et 10 % « oui-non ». L’organisation anti-indépendantiste Societat Civil Catalana a pour sa part dénoncé avec ferveur la « gravissime » attitude du gouvernement qui a organisé « cet acte de propagande » et craint qu’il n’ait davantage divisé la société catalane.
Vote festif, mais chaotique
À Vic, véritable bastion indépendantiste, il suffisait d’une promenade dans les rues animées du coeur de cette cité médiévale de 40 000 habitants, dont la Plaza Mayor était entièrement couverte d’un tapis jaune, la couleur du mouvement indépendantiste, pour comprendre l’importance que revêtait le vote. « Même si pour l’Espagne ce ne l’est pas, pour nous, c’est important d’aller voter. C’est notre droit », a affirmé Pau Nasarre, un résidant de Vic qui était un des premiers aux urnes dimanche matin.
Dès 9 h, il régnait déjà une ambiance chaotique dans les quelques écoles et collèges servant à la consultation, semblable à celle des centres commerciaux la veille de Noël. Il faut dire que, comme partout en Catalogne, l’organisation de la journée, pour laquelle 40 000 bénévoles sans expérience ont été recrutés en à peine deux semaines, s’est faite « à la mitaine ». Ici, pas d’isoloirs, les bulletins de vote se sont cochés sur le coin d’une table avant d’être déposés dans une boîte en carton. Des bénévoles ont préparé des gâteaux maison, d’autres ont apporté leurs ordinateurs portables pour constituer un registre de votants.
« L’État ne nous a pas donné accès aux données du recensement, alors nous devons tout faire au fur et à mesure », a expliqué Daniel, un chef de table dans une école secondaire de Vic.
Certaines personnes ont dû parcourir de grandes distances pour aller voter dans la municipalité qui était officiellement inscrite à leur carte nationale d’identité. « Une dame de 93 ans est venue en train de Tarragone jusqu’à L’Hospitalet [à côté de Barcelone] pour pouvoir voter », raconte un bénévole d’une école secondaire du secteur.
Marchant avec une canne ou assis en fauteuil roulant, de nombreux vieillards ont en effet tenu à se déplacer. « Les gens sont fiers de venir voter. Ils déposent leur bulletin et donnent une petite tape sur la boîte comme pour appuyer leur geste, a remarqué Daniel. Il y a beaucoup d’émotion dans l’air. »
Implication massive
À Nou Barris, un quartier ouvrier et défavorisé au nord de Barcelone, le cinéaste québécois Alexandre Chartrand s’est dit impressionné par le nombre de personnes qui attendaient déjà dehors en file avant l’ouverture des bureaux de scrutin improvisés. Parmi eux, avec sa dégaine de rebelle, un homme âgé de 87 ans, un militant antifranquiste persécuté durant la dictature, se tenait debout en tête de file. « Il avait les larmes aux yeux quand il nous a parlé. Le mouvement indépendantiste était à plat il y a à peine quatre ans. Il ne pensait pas voir ça de son vivant », raconte le cinéaste.
Depuis deux semaines, Alexandre Chartrand parcourt la Catalogne pour réaliser un documentaire sur ce vaste mouvement citoyen. « Je suis impressionné par l’implication des gens. Il y avait 70 000 bénévoles pour la manifestation du grand V en septembre dernier. Ce sont toujours des succès monstres, chaque fois. »
Même si la consultation est un succès aux yeux du gouvernement catalan, elle n’est que la première d’une série d’étapes, dont la prochaine sera fort probablement des élections plébiscitaires anticipées sur l’enjeu même de l’indépendance. La partie est loin d’être gagnée, mais pour le moment, les Catalans célèbrent cette étape. « Laissez-nous d’abord faire un peu la fête, a lancé Carme Forcadell, présidente de l’ANC. Jouissons d’abord de notre victoire et, demain, nous parlerons d’élections. »
CATALOGNE
81 % de voix pour un pays
40 % des électeurs catalans ont pris part à la consultation symbolique que Madrid voulait empêcher
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