Agonie belge : encore un soubresaut

Chronique de José Fontaine

Il n’y a aucune originalité dans ce titre. C’est un lieu commun. Que j’ai encore entendu répéter par plusieurs grands journalistes au club de la presse de la RTBF vendredi soir. Il se fait que vendredi vers 1h du matin, la Chambre belge – par une majorité, soit tous les députés flamands ; contre une minorité, soit tous les députés wallons et francophones – a voté une motion pour inscrire à son ordre du jour la scission de l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde. Le gouvernement belge de M. Leterme est une sorte de mort en sursis (il n’a pas deux mois !), et non seulement ce gouvernement, mais le pays qu’il gouverne (entré en crise au lendemain du 10 juin 2007), qui, malgré les gouvernements formés pour sauver les meubles (l’un de Noël à Pâques, l’autre de Pâques à la Pentecôte), pédale dans la choucroute.


Un oubli invraisemblable de l’histoire

Les grands journalistes dont je m’inspire ne sont quand même pas toujours aussi grands. Ils ont encore répété une formidable ânerie consistant à dire que ce vote est sans précédent dans l’histoire du pays. Il me semble plus important de se pencher sur cette ânerie que sur l’enjeu de la scission de l’arrondissement Bruxelles-Hal-Vilvorde. On peut penser évidemment - comme je l’ai expliqué dans d’autres chroniques récentes - que les Flamands veulent scinder cet arrondissement électoral pour couper plus encore la Flandre de Bruxelles, importante métropole francophone et qui représente pour les Flamands un réel danger de francisation. On peut penser aussi que les Bruxellois francophones peuvent, à leur tour, craindre cette Flandre qui s’érigeant en véritable Etat « couperait » Bruxelles (enclavée en Flandre), de la Wallonie (encore que je ne sais pas ce que cela veut dire au cœur de l’Europe de 2008, sauf à imaginer une ville assiégée mais par qui ?) . Non ! c’est évidemment le diktat d’une majorité qui est la pire des choses. Et encore ! Non, ce n’est pas cela le pire. Le pire, c’est que l’on croit cette situation nouvelle, de manière d’autant plus impardonnable que le fédéralisme belge donne aux entités fédérées francophones (la Wallonie, Bruxelles…), la capacité juridique de bloquer longuement ce vote. Cette disposition n’est pas tombée du ciel… mais justement d’une position structurellement minoritaire des Wallons depuis 1830. Et d’ailleurs après le vote de nuit à la Chambre, c’est ce qu’on fait les députés régionaux francophones de Bruxelles, dans leur assemblée ad hoc, introduisant une procédure en conflit d’intérêt qui bloque le vote.



Mais qu’importe finalement ! Le fait est que tout le monde dit que c’est sans précédent alors que c’est l’inverse, que ce soit dans le pays pris globalement ou dans sa représentation parlementaire. Avant même 1914 et tout le long du temps : en 1921, en 1938, en 1962. Dans le pays, en 1950, la Flandre avait permis le retour de Léopold III en 1950 et le peuple wallon avait lui-même entamé une procédure en conflit d’intérêt (la chose n’existait pas alors juridiquement), sous la forme d’une insurrection sanglante qui avait eu des résultats.


Un oubli volontaire



Personne ne s’exprime comme cela chez nous. Tout le monde oublie l’histoire. Je crois savoir pourquoi. Jeudi, je discutais avec un de mes collègues de ma génération de cette affaire. Et il me confia ceci : je ne connais pas un mot de néerlandais, je trouve cette langue sans intérêt et secondaire, mais pour moi ce que je suis profondément repose sur un pays qui va de Middelkerque (station balnéaire sur la côte flamande), à Arlon (le chef-lieu de la province wallonne de Luxembourg, à l’autre extrémité du pays). Cet attachement sentimental à la Belgique tend, avec l’agonie belge, à ne plus être qu’un fantasme. Pour pouvoir encore y croire, il faut ignorer complètement son histoire ou en tout cas vouloir le faire, ce qui revient au même. Beaucoup de mes compatriotes wallons partagent cette façon de… Est-ce une façon de voir ? Je ne le pense pas. C’est une façon de rêver. A tout, sauf à la Wallonie. Si la Belgique meurt (et c’est en route), il y aura bien une Wallonie. Je sais qu’au Canada, certains Québécois ont dit NON à l’indépendance parce qu’elle se représentait à leurs yeux comme la perte des Montagnes rocheuses…



Depuis plus de trente ans, je me bats pour la Wallonie, son identité, sa liberté. Mais je dois bien admettre que le faire – même dans les circonstances présentes ! – rencontre plus d’hostilité que d’adhésion. Les Wallons ont trouvé plus fort encore que de se battre pour la patrie (belge!) jusqu’à la mort. Beaucoup d’entre eux sont prêts à se battre pour la Belgique, non pas jusqu’à leur mort, et non pas seulement jusqu’à la mort de la Belgique : au-delà de cette mort elle-même ! Quitte à me poursuivre de leur acharnement haineux jusqu’ici. Il arrive que cela me décourage. Mais en même temps, lisant il y a quelques jours le long entretien de Philippe de Gaulle sur son père, je recueillais du général cette parole : « Non, je n’ai pas de haine. La haine, c’est un sentiment de raté. » La haine de la Wallonie par les Wallons eux-mêmes est, de ce point de vue, quelque chose d’assez désespérant. Car au-delà de la Belgique, il y a tout de même une vie et ceux qui l’ont rendue possible, c’est tous ceux qui se sont battus pour que la Wallonie soit autonome – et elle l’est considérablement - à un tel point que ce qui adviendra après la Belgique peut rassurer. Il y a en Wallonie, un parlement, un gouvernement qui fonctionnent depuis 28 ans et sans que leur existence soit mise en cause tous les jours, comme c’est le cas des institutions belges correspondantes. Pourtant, il y a une hostilité à ces institutions, certes pas politiquement plus pertinente que la haine dont sont l’objet les militants wallons… On aimerait évidemment plus de lucidité…



José Fontaine

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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2 commentaires

  • José Fontaine Répondre

    13 mai 2008

    Il y a peut-être trop de finalisme dans ce que dit Denis Griesmar. Braudel a lui-même dit que la frontière du Nord s'est établie "au petit bonheur la chance" (c'est son expression). Les militants wallons disent aussi que si Louis XIV n'avaient pas pris tant de territoires (et de population) au nord de son royaume, les Wallon
    s auraient été majoritaires en Belgique, ce qui, assurément, aurait contribué à la francisation du pays. Mais à quoi bon refaire l'histoire? Pour le moment, la langue de la France a plusieurs voix dans le monde dont la nôtre, celle du Québec, celle du Sénégal, celle de la Romandie... Ne vaut-il pas mieux qu'il en soit ainsi? C'est curieux, dans le reportage de "Questions à la Une" consacré au réunionisme on a entendu un ancien politicien prôner pour la Wallonie le statut de la Polynésie (qui est un statut d'autonomie). Un sénateur français interrogé là-dessus en Polynésie même, objecta qu'en choisissant un tel statut, les Wallons y perdraient énormément puisque le Parlement wallon n'est soumis à aucune tutelle belge et vote lui-même ses lois comme ce qu'il est, c'est-à-dire la représentation démocratique du peuple wallon. Je ne dis pas que ce qu'il fait est extraordinairement bien fait, mais je pense aussi que ce n'est pas extraordinairement mal. Et je pense que les Wallons doivent faire leur la devise écossaise: "Better self governed than well governed" Ce simple adage n'est en rien une manière d'hypostasier la Wallonie mais de dire que, malgré tout, nous sommes ce que nous sommes, nous y tenons et nous entendons nous gouverner nous-mêmes. J'ai chaque année plusieurs dizaines d'étudiants français qui se plaisent beaucoup en Wallonie, à qui j'explique (entre autres), le fonctionnement de l'Etat belge (et ils sont parmi ceux qui comprennent le mieux et très attentifs). Toute l'atmosphère de nos conversations souligne directement ou non que nous avons une langue identique et deux cultures proches tout en ayant des personnalités distinctes. Nous enlever cela, enlèverait aux Français le plaisir de venir en Wallonie et aux Wallons le plaisir d'aller en France. Ce ne serait pas un gain pour la Francophonie. Voilà mon sentiment. Que Denis Griesmar ne m'en veuille pas. Je vois d'ailleurs qu'il rappelle que les Français n'annexeraient pas une population contre son gré. Si effectivement, la Wallonie se gouverne elle-même, il y aura une voix de plus dans le monde pour la France et pour le français.

  • Archives de Vigile Répondre

    11 mai 2008

    Nous sommes un certain nombre de militants de la Francophonie à ne pas partager du tout la façon qu'a José Fontaine d'hypostasier la Wallonie, qui n'est au fond qu'une région de France séparée du reste du pays par les puissances germaniques.
    Pour remettre les choses en place, je vous joins le texte suivant :
    LA BELGIQUE : UN MOULE QUI N'A PAS LA FRITE
    Il est indiscutable que l'objectif de l'entreprise idéologique qui se cache sous le nom d'Europe est de détruire les nations.
    Et chacun d'en relever ici ou là les symptômes, qui abondent.
    Cependant, à l'observateur muni d'un peu de culture historique, il apparaît essentiel de ne point se tromper de diagnostic sur une question aussi apparemment triviale qu'en réalité mal connue : le problème "belge".
    Une curieuse malédiction semble toucher une région dont les frontières apparaissent parsemées d'écriteaux "Interdit de penser"...
    Existerait-il donc, à 300 km de Paris, une tribu gauloise folklorique dont l'unique occupation serait de s'empoigner, de se bagarrer pour un oui, pour un non, sous le regard diversement amusé ou consterné de ses voisins ?
    Peuplé de personnages truculents et grotesques, ce pays ne serait que prétexte à blagues éculées, au point de rendre inaudible tout discours sérieux sur l'origine d'un divorce... qui était, en réalité, programmé dès le début...
    Reprenons. Au commencement était la Gaule, et Jules César nous dit que "de tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves"... Oui, mais.
    1) Il s'agit bien de la Gaule, et de tribus gauloises. Point de Flamands à l'horizon.
    2) Les plus braves des Gaulois sont ceux qui ont résisté le plus longtemps au divin Jules : les Bellovaques, habitants du Beauvaisis, sous leur chef Correus, Belges parmi les Belges...
    3) Car la Belgique n'est en réalité que la Gaule du Nord. Et sa capitale est Durocortorum (Reims)...La Belgica n'a ni plus, ni moins de réalité que la Lyonnaise.
    Nulle prédestination "pirennique" ou "belgicaine" là-dedans...
    Arrivent les invasions germaniques, qui s'arrêtent, en gros, aux forêts. Et la future frontière linguistique variera dès lors fort peu, suivant une ligne horizontale de Maëstricht à Dunkerque.
    Mais sur les ruines de l'Empire romain se constituent comtés et duchés, villes et principautés ecclésiastiques, chevauchant ou débordant ladite frontière.
    C'est le traité de Verdun, qui, pour faire des parts égales entre princes germaniques, en taillant dans la chair de la chair, est à l'origine de tout.
    La Francia occidentalis, première dénomination de notre pays, se voit séparée de provinces de langue et de culture romanes, tandis que, curieusement, la Flandre, où se parlent majoritairement des dialectes bas-allemands, relève du roi de France.
    Tour de passe-passe supplémentaire : la Lotharingie passe à l'Est... On ne dénoncera jamais assez la nocivité de ces règles de dévolution carolingiennes, qui font bon marché de la réalité, à fortiori des voeux, des populations...
    Les rois de France mettront mille ans à faire leur "pré carré"... Succès presque complet. Sauf, justement, là...
    La Guerre de Cent Ans retarde notablement le processus de l'unité française. L'Angleterre cherche à remuer le couteau dans la plaie, et favorise, tant qu'elle peut, l'aventure bourguignonne...
    Période d'horreurs sans nom, de massacres et d'épidémies, de guerre civile quasi-permanente.
    Après Charles V et Charles VII, Louis XI est un grand rassembleur de terres.
    Son règne sera cependant marqué par une erreur, une seule : il fait confiance, une fois... à Charles le Téméraire, se retrouve otage, et obligé de marcher contre Liège...
    Après l'échec de la tentative du "Grand Duc d'Occident", la région allant de l'Escaut à l'Ardenne est offerte en gage à l'empire du moment. On assiste à ces dévolutions extraordinaires qui donnent les "Pays-Bas espagnols"... lesquels, amputés de leurs provinces du Nord, deviennent plus tard autrichiens...
    Il est extrêmement curieux que personne, aujourd'hui, ne s'arrête sur le caractère aberrant de cette situation...
    Peut-être, si l'Ancien Régime avait duré plus longtemps, aurions-nous assisté à l'apparition de Pays-Bas danois, mongols, mexicains... Toujours plus absurde !
    En réalité, il s'agit bien du résultat précaire d'un certain équilibre de forces en Europe, et les ennemis de la France - au premier rang desquels l'Angleterre - veillent, avec acharnement, à maintenir le couteau dans la plaie...
    Notons que la France a perdu la Flandre - elle en regagnera une partie, principalement la Flandre romane, sous Louis XIV.
    Notons également que la principauté de Liège, relevant nominalement du Saint-Empire romain germanique, dispose en fait d'une large autonomie. Elle représente, en surface, un bon tiers de la "Wallonie" actuelle, et les habitants de cette "Petite France de Meuse" se sentent en réalité Français.
    Mais le caractère pervers du statut de ces provinces se révélera toujours à l'heure du danger : en 1636, encore, les Espagnols sont sur la Somme, devant Corbie, comme les Allemands en 1914...
    "Eh, quoi", disait, scandalisé, le bon roi Henri IV, "Paris frontière ?"
    A la fin du règne de Louis XIV, la menace est toujours là - arrêtée juste à temps, à Malplaquet et à Denain...
    Arrive la Révolution. Les Wallons sont partie prenante, participent à la Fête de la Fédération, s'intègrent avec enthousiasme à la République. La Wallonie actuelle comprend les départements de l'Ourthe (chef-lieu Liège), de Sambre-et-Meuse (chef-lieu Namur), de Jemmapes (chef-lieu Mons), le sud du département de la Dyle (chef-lieu Bruxelles), et le département des Forêts (dont le chef-lieu est à l'époque Luxembourg).
    En Flandre, l'accueil est moins enthousiaste. Les Flamands tirent dans le dos des soldats de Napoléon en retraite - cela deviendra une habitude...
    Les Wallons, eux, se trouvent arrachés contre leur gré au reste de la France après Waterloo.
    Car l'Angleterre, et la Sainte Alliance, veulent construire un rempart contre la France : le Grand Royaume des Pays-Bas, préfiguration du Bénélux, dans lequel, par précaution, on arme des forteresses : garnison hollandaise à Bouillon, prussienne à Luxembourg...
    Cependant, il est bien difficile de nier le caractère français de la Wallonie, qui regroupe des Picards, des Lorrains et des Champenois, en-dehors des Wallons proprement dits...
    Quel caractère "national" différencierait Tournai de Lille, Mons de Valenciennes, Chimay de Rocroi, Bouillon de Sedan ?...
    Aucun historien ne remarque que, alors que le principe des nationalités est dénié à la France, en ce qui concerne la Wallonie, il est appliqué à la Prusse, avec l'extraordinaire cadeau qui lui est fait de la Rhénanie - contre le voeu des habitants !
    Si l'on regarde la carte de la frontière française du nord-est en 1815, deux choses ont changé par rapport à 1789 : la disparition de la principauté de Liège, et l'installation de la Prusse sur le Rhin, ce qui lui donne les bases d'une formidable puissance industrielle et militaire...
    Pendant cette période, les Hollandais commencent à vouloir néerlandiser les pays wallons : ce sera l'une des causes de la révolution de 1830.
    Car en 1830, la Belgique se soulève. Notons que la bourgeoisie flamande est, elle aussi, francophone.
    Premier souhait du peuple : redevenir Français. Premier veto britannnnique.
    Solution de repli : au moins, avoir un prince français - un fils de Louis-Philippe. Second veto britannnnique...
    L'Angleterre va chercher un prince de Saxe-Cobourg-Gotha, qui n'a rien à voir avec la choucroute, et qui ne parle qu'allemand...
    Curieuse dynastie : et pourquoi pas Mamelouk-Chulalongkorn-Monomotapa ?...
    Au fond, la vraie devise de la Belgique n'est pas "L'Union fait la Force" - démentie quotidiennement, car la Flandre, nation sans Etat en devenir, puise dans le romantisme allemand les traits d'un éveil, légitime par certains côtés, fort douteux par d'autres... - mais bien "Faute de grives, on mange des merles"...
    Mais les Wallons, faisant contre mauvaise fortune bon coeur, vont se lancer, avec un succès extraordinaire, dans l'aventure industrielle. Le sous-sol est riche, les hommes sont entreprenants.
    Et, du coup, la bourgeoisie locale devient anglophile, et cherche à légitimer l'existence du pays. C'est alors qu'est engagée l'extraordinaire entreprise idéologique de réécriture de l'Histoire, sous la direction de l'historien Henri Pirenne et de quelques autres, inventant au besoin des faux (la charte d'Albert de Cuyk) pour essayer de prouver que la Belgique avait préexisté de tous temps... A coups de libertés communales (mais il existe aussi des beffrois gothiques à Douai, à Compiègne, à Dreux, à Orléans, à Aix-en-Provence...), à coups de références bourguignonnes (qui seront reprises, sur un mode douteux, par les "collaborateurs" des deux Guerres mondiales...)
    Au moins le pays connaît-il une merveilleuse floraison, non seulement économique, mais aussi intellectuelle et artistique... en langue française. Citons simplement Emile Verhaeren, Maurice Maeterlinck... Tout cela est bien connu.
    En 1914, Joffre est dans la situation d'un général en chef qui a déjà perdu une grande bataille... avant qu'un seul coup de fusil n'ait été tiré. Il est tout de même extraordinaire qu'aucun historien ne le remarque ! Si la Wallonie - car c'est la Wallonie qui est stratégique ; il faut savoir lire une carte... - avait été française alors, pas de plan Schlieffen ! Pas d'invasion allemande ! Toute l'armée française sur les Hautes Fagnes, couvrant les forts de Liège ! Pas de bataille calamiteuse de Charleroi ! Pas de bataille de la Marne - mais une bataille du Rhin.
    Il aurait fallu à l'Allemagne, soit se mettre un adversaire supplémentaire sur les bras, la Hollande, et prêter facilement le flanc à une contre-attaque, avec des lignes démesurément étirées, et la barrière de l'Escaut... soit tâcher de forcer à travers la trouée d'Arlon - qu'il n'aurait pas été au-dessus des forces de militaires même moyennement doués de fortifier solidement.
    Il n'est donc pas exagéré de dire - ce qui n'infirme en rien le caractère extraordinairement sympathique de la très grande majorité des "Belges" - que l'existence même de la "Belgique" aura coûté à la France des centaines de milliers de morts dans les deux Guerres mondiales...
    Aucun historien ne nous le dit...
    Mais l'Angleterre savait ce qu'elle faisait. Simplement, préparant, elle aussi "la guerre d'avant", elle n'avait pas davantage vu venir la Prusse que, de nos jours, les Etats-Unis n'ont vu l'Iran derrière l'Irak...
    Car le plus extraordinaire, dans tout cela, et le moins bien compris, est ceci : la "Belgique" du XIXème siècle préfigure l' "Europe" des XXème et XXIème siècles !
    Oui, si l'on veut, "la Belgique est le laboratoire de l'Europe". Mais dans un sens tout différent de celui qu'on croit...
    Reprenons : un assemblage, un collage, un bricolage de nations ou morceaux de nations diverses - assemblage, donc, impuissant par construction... et objectivement au service de la puissance anglo-saxonne dominante du moment. L'Angleterre au XIXème siècle, les Etats-Unis aujourd'hui.
    L'"Europe" d'aujourd'hui n'est qu'une grosse Belgique impuissante et paralysante. Etonnez-vous...
    Reprenons le cours de l'Histoire. Déjà, au tournant des XIXème et XXème siècles, le député Jules Destrée disait au roi Léopold II "Sire, il n'y a pas de Belges".
    Et au nord, la Flandre, jusqu'alors divisée en dialectes divers, prend conscience de son caractère de nation sans Etat, et demande à être administrée en néerlandais.
    Au début des années 1930, l'université de Gand est néerlandisée, ce qui n'est que justice - mais, parallèlement, tout enseignement en français est interdit dans la ville, manifestation de revanche hargneuse et intolérance récurrente... qui vise à marginaliser les Francophones de Flandre, qualifiés de "Fransquillons" et progressivement privés de tous droits linguistiques, au mépris des principes démocratiques.
    Après la remilitarisation de la Rhénanie par Hitler, Léopold III dénonce l'alliance française. Après avoir envoyé un télégramme à l'occasion de l'anniversaire du Führer, il masse la moitié de son armée face à la frontière française...
    En 1940, une grande partie des troupes flamandes déserte... quand elle ne tire pas dans le dos de ses "frères d'armes" wallons...
    La collaboration, si elle compte les rexistes de Léon Degrelle en Wallonie, est nettement plus répandue en Flandre. Outre la chanson de Jacques Brel, on en trouvera l'écho dans le film de Delvaux, "Femme entre chien et loup".
    Les Allemands libèrent immédiatement les prisonniers flamands, et gardent les wallons jusqu'à la fin de la guerre, accentuant ainsi le déséquilibre démographique...
    On connaît par ailleurs les projets de Roosevelt tendant à constituer un Etat tampon entre la France et l'Allemagne - prélevé uniquement sur la substance française, et regroupant l'Alsace-Lorraine, la Wallonie et le nord de la France...
    En 1945, le Congrès national wallon, réuni à Liège, demande spontanément la réunion à la France... avant de se rallier, in fine, à une solution fédérale qui se révélera illusoire.
    Lorsque Léopold III veut remonter sur le trône, la Wallonie tout entière s'insurge : c'est la fameuse "question royale".
    Les Wallons auront gain de cause. Ce sera la dernière fois.
    Car la Flandre, usant et abusant d'une "majorité" automatique - car résultant du tracé des frontières - accapare les investissements, accentuant la crise qui se profile en Wallonie. Le port de Zeebrugge, l'aéroport de Zaventem, sont nationaux belges lorsqu'il s'agit de les payer, et nationaux flamands lorsqu'il s'agit d'en tirer profit...
    Mais les Wallons, dans leur grande majorité, restent encore attachés - pour combien de temps ? - à une Belgique qu'ils ont longtemps considéré comme leur pays... mais qui ne l'est plus vraiment...
    Depuis M. Leburton, aucun Premier ministre n'a été Wallon...
    Et les Français, de leur côté, sous-informés, n'ont pas vu le passage de la Belgique à la België-Belgique, puis à la Belgium - dont la diplomatie s'exprime en anglais...
    Ils n'ont d'ailleurs jamais bien compris la nature d'un pays longtemps gouverné en français, mais contre la France - car toujours obligé de justifier de sa "non francité", réelle ou supposée.
    Au fond, dans l'Histoire, la Belgique n'aura jamais été un principal, mais un accessoire, défini par rapport à la France.
    Le déséquilibre économique actuel entre les deux parties du pays résulte de causes bien connues, mais auxquelles le régime belge est incapable de s'attaquer.
    La Flandre refuse la solidarité élémentaire que constitue la Sécurité Sociale - ce qui suffit à démontrer qu'il y a en Belgique, non pas une, mais deux nations...
    Et la Flandre se barricade derrière des frontières linguistiques depuis 1963 - frontières qui enferment Bruxelles dans un carcan, au mépris des réalités humaines, et linguistiques, d'une agglomération à plus de 85 % francophone.
    Face à une Flandre qui sait ce qu'elle veut, la Wallonie peine à trouver une stratégie. Les Wallons semblent atteints d'une sorte de "syndrome de Stockholm" collectif. Le réveil sera rude. Il n'a pas encore commencé pour tout le monde.
    Face à cette situation, que peut la France ?
    La menace militaire n'est plus aussi directe. Cependant, il n'est pas difficile d'imaginer qu'une Wallonie plombée par la dette, incapable de satisfaire aux critères de Maëstricht, serait la proie de l'Empire : base américaine étendue, en échange de la reprise de la dette par un panier de banques, par exemple...
    De Gaulle avait fort bien vu la situation. La France ne peut, ni ne veut, annexer une population contre son gré, évidemment. Mais cette situation de l'opinion wallonne peut évoluer assez vite. Lors des grandes crises, des guerres, des grèves des années 1960, on a vu surgir des drapeaux bleu-blanc-rouge, entendu la Marseillaise...
    La Wallonie est aujourd'hui otage de la Flandre, mais peut-être plus pour longtemps.
    Il revient simplement à notre pays de faire savoir, discrètement mais clairement, qu'il respectera le voeu des populations, mais qu'il accueillera les Wallons, s'ils le désirent, au sein de la République.
    Cette réunion aiderait à corriger le déséquilibre entre la France et l'Allemagne, et donnerait enfin à notre pays la plénitude des avantages de sa situation géopolitique. Elle ferait cesser le chantage implicite (diplomatie à la remorque des Anglo-Saxons) qu'implique ce qui n'aura été qu'une longue prise d'otages d'une partie de la famille.
    L'éclatement de la Belgique est aujourd'hui probable. Mais quelle que soit la solution adoptée - même provisoirement - le partage doit se faire en suivant le voeu des populations, et non suivant une frontière administrative imposée par la Flandre dans les années 1960. C'est également le sens de la mission du Conseil de l'Europe, qui avait conclu que les droits de l'homme n'étaient pas respectés dans la périphérie bruxelloise... On rétablirait ainsi une continuité territoriale entre Bruxelles et la Wallonie, si, comme il est probable, les communes dites "à facilités" demandent à intégrer la région de Bruxelles.
    La réunion de la Wallonie à la France, qui serait l'aboutissement de toute notre Histoire, et la réparation d'une injustice, apparaîtrait vite aussi naturelle que la réunification de l'Allemagne. Elle tournerait davantage la France vers les débouchés de l'Europe du nord. Elle aiderait à redonner aux Français confiance dans le destin de leur pays.
    Denis GRIESMAR