Albert Camus à Paris, en 1947. Photo Henri Cartier-Bresson/Magnum Photos
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Albert Camus, mort accidentellement le 4 janvier 1960, n'était pas un philosophe au sens technique du mot. Le mot «témoin» lui rendrait justice. Son oeuvre, en effet, rend témoignage d'une certaine sensibilité contemporaine devant le silence de Dieu face à la détresse et à la souffrance humaine. Pour l'auteur du Mythe de Sisyphe, si l'Absolu existe, il se tait drôlement devant le destin des hommes. Et s'il se tait ainsi, serait-ce parce qu'il a abandonné sa créature et ne sait plus comment composer avec elle ou prend-t-il(sic) toujours le risque de lui laisser une liberté qui peut le conduire jusqu'à s'opposer à lui et vivre ainsi dans le refus définitif?
Que dirait Camus aujourd'hui? Dirait-il et écrirait-il la même chose? Écrirait-il autre chose et autrement? En ces temps d'apocalypse, il semble que le siècle qui s'amorce, héritier des affres du précédent, étouffe sous la pléthore des faux prophètes et des solutions folâtrées. Quoiqu'il en soit, la matière ne manquerait pas aujourd'hui au romancier et essayiste algérien. Comme le monde semble cultiver un niveau d'absurdité inégalé, sa production littéraire serait sans doute plus prolifique.
En effet, des millions d'êtres humains souffrent toujours de la guerre et des querelles territoriales. Quarante mille enfants meurent quotidiennement de la faim. La justice est devenue une caricature sinistre. Les enfants jouent à la guerre sur leur ordinateur et l'humanité est assourdie par le lessivage constant de la propagande. La vingt-cinquième heure sonne et on réclame un Messie qu'on ne voit point venir à court terme.
Les chrétiens d'hier comme ceux qui subissent La Peste moderne chancellent devant l'apostasie planétaire. Ils n'ont pas d'autre réponse à présenter à Camus et aux terriens qui entrent dans le XXIe siècle qu'un Dieu fait homme, pendu sur une croix. Est-ce la réponse et, si oui, comment la faire accepter à une humanité qui ne compte plus que sur ses propres forces pour réaliser l'avenir de l'histoire?
Le silence de Dieu serait-il une autre façon de parler de l'absurdité de l'univers? L'homme serait-il devenu une «passion inutile»? Camus est catégorique: l'impossible n'est pas. Le ciel n'existe pas. Le mur de l'absurdité enserre l'homme dans sa prison. Il n'y a pas d'évasion possible. Que faire alors? Si la vie n'a pas de sens, comment essayer de la vivre humainement et dignement? Faut-il quitter ce monde dépourvu de sens en prenant la voie de l'autodestruction de son propre être qui n'a pas demandé d'être et qui doit composer, en vivant non pas comme si son être avait une raison d'être, mais en vivant le plus humainement possible, sachant bien que sa seule raison d'être est cimentée par les limites du temps et de l'espace et que le tout débouche dans le néant?
La solution camusienne demeure audacieuse. Elle propose une religion du bonheur, une sorte de sainteté sans Dieu. Il n'y a pas de honte à être heureux tout seul, emmuré dans son destin. Cette nouvelle religion du bonheur impose cependant à ses fidèles une sorte de martyre. Un combat incessant. Elle invite chacun à se ranger dans la lutte pour les «universels concrets», contre l'injustice et la violence qui gangrène cette planète. Il n'y a pas de bonheur possible qui vienne d'en haut. Si le bonheur est possible, il se terre quelque part, au coeur des luttes humaines, afin de rendre cette terre plus habitable.
L'angoisse tenaille toujours les Camus de ce jour. L'angoisse tenaille même ceux qui ne le suivent pas jusqu'au bout dans la solution apportée à la souffrance inutile de l'homme. Avec lui, convenons, pour terminer, qu'il y a dans l'homme plus de choses à admirer que de choses à mépriser. Et que l'angoisse semble être la seule maison où il peut habiter et, finalement, mourir.
Nestor Turcotte, Matane
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