Vingt-deux enfants belges et hollandais sont morts mardi soir dans le tunnel de Sierre dans le Valais suisse lors d'un accident d'autocar qui est semble-t-il dû à une simple erreur humaine. Ils revenaient de vacances de neige qu'ils n'allaient jamais oublier. Les survivants les oublieront moins encore. La police du Valais extrêmement efficace et discrète a entrepris d'informer les autorités supérieures mais a retenu longtemps et légitimement les informations dans la mesure où cet horrible accident rendait méconnaissables beaucoup de petits corps d'enfants tués ou même simplement blessés (l'autocar avait heurté l'angle à 90° de la paroi d'un refuge de tunnel, écrasant les pauvres gens dont les deux chauffeurs et quatre accompagnateurs adultes). Pour beaucoup de parents l'attente a été un cauchemar.
Deuil national
Le Gouvernement belge a finalement décidé qu'il y aurait un deuil national hier vendredi se prolongeant ce samedi avec invitation aux administrations, aux transports en public, aux écoles d'observer une minute de silence à 11 h. Je dois dire que dans l'école où j'enseigne encore (baccalauréat en éducation spécialisée avec des étudiants de France, de Wallonie et du Luxembourg), cette minute de silence a été observée religieusement, quelques étudiants s'en abstenant cependant. C'est normal que face à la mort d'enfants se diffuse une solidarité généralisée au-delà de toutes les appartenances. Et c'est bien ce qui s'est produit en Belgique aussi, indépendamment des différences entre Wallons et Flamands. En l'occurrence ici, les victimes étaient toutes des enfants de Flandre ou des Pays-Bas et l'un ou l'autre étranger. Les télévisions françaises par exemple ont accordé beaucoup d'importance à l'événement (plus de la moitié de leur JT). Et comme d'habitude dans ces cas-là, des personnes chères dans d'autres continents vous font part de leurs sentiments. Bien que dans ce cas-ci, la description des victimes ne correspondait pas au signalement de ma famille proche.
Mais les médias?
Pierre Magos de la RTBF disait lui-même hier dans Face à l'info qu'il serait malséant de profiter de cet événement pour pousser les feux de la belgitude. Cependant il y a une tendance à le faire dans la mesure où - ce qui est bien normal - la mort d'enfants innocents concerne tout être humain (donc entre autres tous ceux qui habitent le Royaume de Belgique y compris deux qui en ont marre pour des raisons politiques légitimes et anciennes de ce Royaume au point de souhaiter qu'il disparaisse).
Mais l'événement ne devrait pas être réduit à l'idée que la tristesse est partagée des deux côtés de la frontière linguistique. Il est d'ailleurs possible que cette utilisation de la fibre nationale, de mauvais aloi, choque d'autant plus qu'il y a une tendance réelle à la propagande belgicaine à la RTBF, tendance que l'on peut comprendre mais dont on se demande si elle correspond vraiment non seulement aux intérêts de ses auditeurs, mais aussi aux règles d'une information juste. D'un autre côté pour parler de l'unité des Belges on parle aussi de leurs différences.
Que tout cela suscite des questions, voilà qui est assez normal.
Mais pour les médias, je voudrais citer la phrase d'Arendt : «Un événement qui n'est pas raconté n'a pas eu lieu». C'est vrai mais quand on en fait trop, on détruit l'événement mieux encore que par le silence de la censure. Je cherche dans mes souvenirs la façon dont on traitait les faits-divers tragiques autrefois. Il se fait que j'ai eu beaucoup de cours ce temps-ci, ce qui fait que j'écoute sur mes longs trajets vers l'école la radio au matin et dans l'avant-soirée puis la télé le soir, d'où cette question.
A force de tout vouloir montrer, est-ce que l'on ne cache pas?
A force de tout vouloir montrer, est-ce que finalement, on n'a pas tendance à nous cacher les choses? A même passer complètement à côté d'elles? C'est à la lumière de ceci que j'ai à nouveau essayé de comprendre le texte de Michel de Certeau disant «plus il y a de vision, moins il y a de choses vues»(L'Extase blanche in La faiblesse de croire, Coll. Points (éditions du Seuil), Paris, 2003, pp.307-310). Ceci dit, dans l'école où je suis j'ai participé à la minute de silence avec ferveur bien que certains étudiants (que je n'avais pas en classe), aient refusé (dans d'autres cours), de participer à ce recueillement. Mais j'ignore pourquoi.
On ne peut en vouloir à un Wallon militant comme je le suis de se poser la question de savoir ce que l'on essaye de faire à travers cela. Cela ne me rend pas moins sensible à l'atroce mort de ces enfants. Elio Di Rupo s'est montré à la hauteur de son rôle en ces circonstances. Mais je n'aime pas des phrases comme «Toute la Belgique est en deuil». Ni le titre du Soir sur la «communion nationale» (sic), je veux bien que ce soit une communion, mais pas nationale, elle est simplement humaine... Et j'avoue que je n'aime pas non plus la manière dont certains insistent sur le fait que l'émotion qui étreint tout le monde ferait disparaître les différences entre classes sociales ou entre Wallons et Flamands.
Respect pour le malheur innocent
On a dit beaucoup cela à la mort du roi Baudouin en 1993. On a insisté alors sur le fait que TOUTE la Belgique était sous le choc, que TOUTE la Belgique pleurait etc. Ces mots TOUTE LA BELGIQUE sont revenus de manière obsédante mercredi, jeudi, vendredi et ce n'est nullement fini. A écouter les infos ou à lire les journaux, on peut avoir l'impression qu'il ne se passe plus rien dans le monde. Je ne sais plus quel spirituel a dit que le pire malheur est le malheur innocent. Si quelqu'un meurt pour une cause ou meurt après avoir longtemps défendu une cause, il l'illustre. Et on se taira à sa mort, même si l'on ne partageait pas ses convictions. Mais ici, ce n'est pas la même chose. Il est bien normal que les autorités fédérales belges qui sont jusqu'à présent en charge d'événements comme ceux-ci aient réagi comme elles l'ont fait. Il est normal aussi que cela soit ajouté à leur mérite car lors d'autres catastrophes précédentes, des gouvernements belges n'ont pas vraiment réussi à organiser une cérémonie nationale crédible. Alors que c'est le cas ici. Et toutes les capacités de l'Etat (avions militaires etc.), ont été mises en oeuvre pour aider les parents concernés, chapeau!
Mais n'en jetons pas trop et taisons-nous.
Atroces morts d'enfants
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
18 mars 2012Quel malheur pour les parents et proches des victimes qui ont toute notre sympathie. Cependant, comment expliquer une si mauvaise configuration de route. En effet, il aurait dû y avoir une rampe de déviation devant le mur à 90o de façon à ce que l'autocar glisse vers la gauche plutôt que de frapper le mur de plein front. C'est impardonnable!