VU DE BUENOS AIRES

«Aujourd’hui marque le début d’une nouvelle étape pour l’Argentine»

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L'Argentine tourne le dos au populisme des Kirchner



Dans son bunker plein à craquer, Mauricio Macri a fait sa première apparition en tant que président élu (52,11% des voix contre 47,89% à son adversaire de gauche Daniel Scioli) avec un discours mesuré, presque plat, où il a remercié sa famille et sa secrétaire de toujours. Un discours bien en deçà de l’enjeu sous-tendu par ces élections et à l’exact opposé du style flamboyant de la Présidente Cristina Kirchner, oratrice hors pair habituée à galvaniser les siens lors de grands-messes passionnées où elle harangue sans notes durant des heures.


Cette différence radicale n’est pas due au hasard, mais à une volonté très claire de se distancier de la Présidente, d’incarner un changement. C’est autour de cet axiome qu’a été construite toute la campagne de Mauricio Macri. «Cambiemos» («changeons», en espagnol), c’est le nom de la force politique qu’il a créée pour accéder au pouvoir, un groupe de coalition des forces de l’opposition. C’est aussi le slogan répété, rabâché durant toute la campagne et projeté aux couleurs du drapeau argentin sur les murs du bunker, ce dimanche soir.


Usure du pouvoir des Kirchner


Car la victoire de Mauricio Macri est avant tout due à l’usure du pouvoir des Kirchner, après douze ans à la tête du pays. Quatre premières années mythiques de présidence de Nestor Kirchner (aujourd’hui décédé), synonymes de sortie de la pire crise que le pays ait jamais connue, de politiques sociales ambitieuses et de combat pour les droits de l’homme. Puis sont venus deux mandats de sa femme Cristina, qui a radicalisé les positions de son mari et cristallisé autour de sa personne une dévotion de la part de quelques uns, et l’exaspération des secteurs les plus influents de la société.


Mauricio Macri et son équipe de campagne ont su capitaliser cette bronca et cette profonde envie d’alternance. La désignation au doigt par la Présidente du dauphin par défaut Daniel Scioli, ancien gouverneur de la province de Buenos Aires au bilan très mitigé, qui a été perçue comme un énième abus de pouvoir, a fait le reste. A tel point que c’est la première fois dans l’histoire argentine qu’un candidat libéral arrive au pouvoir par les urnes.


«Je ne suis pas macriste dans l’âme, explique Giannina, médecin de 33 ans venue célébrer la victoire de son candidat. Mais j’ai la conviction profonde qu’il fallait mettre un terme à cette période péroniste et autoritaire qui n’a que trop duré. J’ai un peu l’impression d’avoir été obligée pour ce faire de signer un chèque en blanc à l’opposition. Je suis de gauche et je n’aurais jamais pensé voter pour un candidat libéral, mais là on n'avait pas le choix.»


Beaucoup sont dans le même cas ce dimanche soir, dansant sur les tubes de rock argentin passés à plein volume dans le bunker pour célébrer la fin d’une ère tout en craignant un peu pour le futur.


Choc de transparence


C’est que les Kirchner ont joué à fond sur la peur du néolibéralisme ancrée profondément dans l’ADN argentin, après les noires années 1990 d’une présidence de Carlos Menem qui a mené au chaos et à la ruine de 2001. Sans succès.


Le Président élu aura fort à faire après sa prise de pouvoir, le 10 décembre, à commencer par redresser et normaliser l’économie du pays, au bord de la récession après dix ans de forte croissance. «Et pour cela, il sera nécessaire de dévaluer le peso argentin, aujourd’hui très nettement surévalué, affirme Rosendo Fraga, économiste critique du gouvernement actuel. Graduellement ou d’un seul coup, il faudra en passer par cette période d’ajustement.»


«Normaliser» l’Argentine, comme l’a scandé Mauricio Macri durant sa campagne, passera aussi par un choc de transparence, après des années de gestion opaque des fonds publics et un hold-up des chiffres de l’économie nationale. Depuis la mise sous tutelle par le gouvernement de l’Indec, l’institut de sondages national, les chiffres officiels de l’inflation sont ainsi 4 à 10 fois inférieurs à ceux relevés par des instituts indépendants. Les chiffres de la pauvreté dans le pays ne sont plus disponibles depuis deux ans. Et puis les caisses de l’Etat sont vides.


Le contrôle de l’accès aux devises étrangères, la limitation des importations, les barrières douanières et les négociations avec les «fonds vautours» sont autant de chantiers qu’il faudra envisager. Et sans majorité à la chambre des députés, ni au Sénat, Mauricio Macri devra composer et tisser des alliances pour pouvoir gouverner.


Hier soir, après son discours, il a comme à son habitude esquissé quelques pas d’une danse de la victoire sous les ballons et confettis multicolores. Mais la fête risque bien de se terminer assez rapidement.










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