Aux Québécois de faire la différence

Laïcité — débat québécois



À en croire les sondages, les Québécois ont déjà arrêté leur choix pour l’élection du 4 septembre. Ils vont se rendre en masse aux urnes, mais plus divisés que jamais. Aucun parti n’obtiendrait d’eux un appui majoritaire. Les électeurs ne vont pas, non plus, endosser un « plan » de société. Encore moins trancher « la question nationale », qui pourtant domine leur vie depuis 50 ans. Fin de régime ? Vente de garage ? Voie d’évitement ? Faites vos jeux. Le Québec ne porterait au pouvoir ni vrai gouvernement, ni vrai programme.
Car enfin, c’est le monde à l’envers, doivent se dire autant les vieux des CHSLD que les nouveaux électeurs, voire de savants professeurs de science politique. Quoi ? Un ancien chef du Parti québécois qui ne vote plus pour le PQ ! La patronne du PQ qui prône un slogan marxiste : « Faisons payer les riches ! » Une coalition issue du patronat qui veut supplanter les minières étrangères ! Pour que la confusion soit parfaite, il ne manque plus que l’appui des évêques aux apôtres de Québec solidaire…
Certes, la tradition québécoise n’est pas complètement rompue. À droite, un maire de Saguenay a prévenu une immigrante, musulmane par-dessus le marché, de ne pas venir faire la loi au Québec. L’Union nationale, en effet, n’en avait-elle pas banni, à l’époque, communistes et Témoins de Jéhovah ? À gauche, se préparant à élire ladite étrangère, la très catholique Trois-Rivières n’avait-elle pas déjà élu à l’Assemblée, au nez et à la barbe du roi d’Angleterre, un député juif, commerçant de surcroît ?
Par contre, il est vrai, si les électeurs du West Island gardent le privilège d’aller aux funérailles du Parti libéral, les immigrants, eux, seraient moins nombreux à venir au Québec sous un cabinet du comptable François Legault. Et, sous Pauline Marois, une progressiste sociale-démocrate, ils devront passer en français un serment du test avant de se mêler des affaires de la nation. Shocking ? Au moins, le Québec, dira-t-on, n’est pas xénophobe. Il n’est pas comme la Suisse, qui préfère l’argent sale au minaret propre.
Toutefois, identité québécoise oblige, on n’est jamais trop prudent. Ce qui commence avec un hidjab ne risque-t-il pas de finir par une invasion, voire la charia ? C’est ainsi qu’un Jean Tremblay et une Pauline Marois ont obtenu samedi une mention d’honneur au Globe and Mail, en compagnie du Danois Geert Wilders, pourfendeur de la « marée musulmane ». On pourra s’en faire une idée en lisant The Myth of the Muslim Tide, du reporter Doug Saunders, dont les voisins musulmans à Londres faisaient peur.
En tout cas, les Québécois qui craignent l’Islam et sa conquête des berceaux y trouveront des statistiques rassurantes. Dans les pays à majorité musulmane, le taux de fertilité par famille, soit 4,3 enfants en 1995, est tombé à 2,9 en 2010, et sera de 2,3 en 2035. En France, seulement 5 % des musulmans vont à la mosquée le vendredi, 20 % n’appartiennent à aucune communauté, 28 % ne prient jamais, et près de la moitié s’opposent au hidjab en classe ! On a vu pire invasion.
Pourquoi donc l’Islam tranquille des immigrants fait-il alors aussi peur que l’Islam radical de certains pays en crise ? Et pourquoi, aussi, le fanatisme religieux est-il exploité en politique aujourd’hui, comme l’était hier le communisme, même au Canada, pays qui en fut toujours éloigné par la géographie et la culture ? Réponse simple, facile et superficielle : c’est la faute aux médias. Ou plutôt faudrait-il examiner de plus près l’exploitation cynique qu’en font quelques politiciens et leurs conseillers.
Peut-être les Québécois souhaitant découvrir comment faire « la politique autrement » trouveront-ils une réponse dans Towards a New Government in British Colombia. L’auteur, Martyn Brown, est un vétéran de la guerre partisane dans cette province. D’après Gary Mason, lui-même un columnist averti de Vancouver, l’opuscule vaut d’être lu. Brown a oeuvré auprès de trois premiers ministres et cinq chefs de parti dans trois formations différentes ! Voici son conseil aux électeurs.
« Au fond, écrit-il, nous avons besoin de voter d’une façon positive, sans nous laisser impressionner par une idéologie, ou par des politiques de peur ou encore par d’anciens mythes manipulés à des fins partisanes. » On se croirait au Québec, sauf que là-bas, ce sont les Chinois qui font peur et l’anglais qui serait menacé ! Crise dans les écoles ou dans l’affichage : French Quebec Britannique-Colombie, même combat ?
« Nous avons moins besoin de savoir à tout prix qui formera le prochain gouvernement, explique-t-il, que de savoir à quoi va servir le pouvoir, à quelles réalisations il sera employé, et de quelle manière on l’exercera en notre nom. » Ce qui manque, conclut-il, ce n’est pas l’argent ni les ressources, mais une volonté de changement et une culture politique fondée, qui ne soit plus faite de mesquinerie et d’antagonisme - et qui pourrait aussi souhaiter une plus vive conscience des enjeux de l’époque actuelle.
Mais déjà, les Québécois n’ont-ils pas récemment donné - à leur propre surprise et à l’étonnement du pays - une preuve spectaculaire qu’ils pouvaient aussi choisir, non pas d’abord un gouvernement (le NPD n’allait pas diriger le Canada plus que le Bloc québécois ne l’a fait), mais une tout autre formation politique, envoyant à tous le message qu’il était temps de changer d’époque. Au Québec, la scène fédérale est ainsi devenue prête pour un renouvellement de la classe politique.
Sur la scène provinciale, les vieux partis ne sont pas moins épuisés. Ni le besoin de changement moins profond. Seuls les électeurs peuvent encore cette fois faire la différence.
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Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l’Université de Montréal.


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