Afin d’étendre le débat sur la dualité linguistique et de rendre cette réflexion accessible aux milieux anglophones, Astheure rend disponible la version anglaise de ce texte ici.
L’unilinguisme est-il un droit ? Un petit groupe d’anglophones semble le penser et a entamé un énième appel pour abolir la dualité et le bilinguisme officiel au Nouveau-Brunswick.
La création du groupe Facebook unilingue anglophone New Brunswick Referendum on Bilingualism 2014, qui compte plus de 6000 membres, sa pétition, qui compte un peu plus de 2200 signatures et la déclaration du maire de notre capitale provinciale appelant à abolir la dualité sont les plus récents affronts à l’aménagement linguistique actuel. Il s’agit, encore une fois, d’un mouvement marginal, qui est né d’une frustration légitime, mais mal articulée.
Le mouvement est effectivement marginal : le nombre de signatures qu’a récoltée en quelques mois cette plus récente pétition contre le bilinguisme correspond plus ou moins le nombre de voix que récoltait le CoR à la fin des années 1990 et au tiers des voix que récolte aujourd’hui le très marginal People’s Alliance of New Brunswick. En contraste, la pétition réclamant le maintient de l’immersion précoce en 2008 avait récolté 3000 signatures en 48 heures et celle pour rendre l’affichage bilingue à Dieppe en comptait plus de 4000. Plus récemment, une pétition contre l’exploitation des gaz de schiste a récolté plus de 16 000 signatures.
L’opposition au bilinguisme et à la dualité est marginale, mais la frustration qu’expriment ces unilingues est légitime et mérite d’être entendue. Le régime linguistique actuel a des failles dont il faut parler, mais cela exige une ouverture à la fois de la part des anglophones – qui ne peuvent pas constamment faire du bilinguisme et de la dualité les boucs émissaires des maux de la province – et des francophones – qui doivent reconnaître que leur avenir passe aussi par les anglophones et que ceux-ci ont des défis linguistiques qui leurs sont propres.
Il n’y aura pas de référendum dans un avenir rapproché – à moins d’ouvrir la Constitution canadienne, ce qui est très improbable – mais cela ne veut pas dire qu’on ne puisse pas discuter sereinement de notre cohabitation linguistique, qui est loin d’être sans faille. Il est d’ailleurs grand temps de le faire, après l’occasion ratée en 2012, lors de la révision de la Loi sur les langues officielles qui a été faite en secret, la ministre Blais estimant que le dossier était trop chaud pour être débattu publiquement. Essayons d’ouvrir un dialogue constructif ; l’enjeu vaut la peine d’être discuté.
Que veulent les opposants à la dualité et au bilinguisme ?
Les opposants, précisant qu’ils ne s’en prennent pas aux francophones et qu’ils militent pour l’égalité – c’est-à-dire leur droit à être unilingue dans « leur » province – critiquent tantôt la dualité, tantôt le bilinguisme.
Contre la dualité
Deux principaux arguments sont formulés contre la dualité. Premièrement, elle couterait trop chère. Le dédoublement des postes et des structures administratives – districts scolaires, régies de santé – entrainerait un dédoublement des coûts dans une province qui ne peut pas se le permettre. Nous économiserions des ressources considérables en fusionnant l’ensemble la santé et l’éducation.
Deuxièmement, elle instaurerait une ségrégation linguistique de la société. La dualité ne permettrait pas aux anglophones de devenir adéquatement bilingues dans une province où de nombreux emplois exigent pourtant le bilinguisme. Elle créerait deux classes de citoyens : les Acadiens bilingues ayant accès aux emplois et les Anglophones unilingues contraints au chômage. Il faudrait plutôt, disent-ils, des institutions communes à tous – écoles et hôpitaux – mieux à même de former des citoyens bilingues. Ce qui les conduit à leur critique du bilinguisme institutionnel.
Contre le bilinguisme
Le bilinguisme officiel favoriserait de façon démesurée les Acadiens, qui sont plus bilingues, contraignant les Anglophones au chômage ou à l’exil. Trop de postes exigeraient aujourd’hui des compétences bilingues et désavantageraient indûment les unilingues anglophones pourtant qualifiés, devenus une majorité démographique dominée. Le droit des anglophones à travailler dans leur langue devrait avoir préséance sur celui des francophones à faire de même.
Ces propositions sont-elles logiques, justes et fondées ?
Ces critiques pointent vers un problème réel, mais elles s’en prennent à la mauvaise cible en pointant du doigt les citoyens bilingues. Et les solutions qu’elles proposent – l’abolition de la dualité pour le maire de Fredericton et du bilinguisme officiel pour les signataires de la pétition – sont à la fois irréalistes, confuses et, disons-le, injustes.
Premièrement, la dualité entraine forcément certains coûts, mais il ne s’agit pas d’un dédoublement pur et simple. Nous n’avons pas deux fois plus d’enseignant.e.s ou de professionnel.le.s de la santé à cause de la dualité. Elle ne double pas le nombre d’élèves et de malades… Ces professionnels sont simplement répartis de manière à pouvoir travailler et offrir des services dans leur langue, que ce soit le français ou l’anglais. En ce sens, abolir la dualité ne réduirait que marginalement la taille de l’État et ses coûts de fonctionnement. Même si nous décidions de centraliser tous ces services, il faudrait quand même garantir qu’ils soient bilingues dans leur fonctionnement.
Deuxièmement, il y a effectivement un clivage profond dans la répartition du bilinguisme au Nouveau-Brunswick, mais l’abolition de la dualité ne serait pas la panacée. Plus de 70 % des francophones sont bilingues, contre 16 % des anglophones. Cette disparité est certes problématique, mais un réseau unique d’écoles bilingues ferait peu pour régler la situation. Au contraire, cela en entrainerait plutôt de nouvelles difficultés. Les nouvelles écoles bilingues auraient une composition linguistique complètement différente selon les régions. Une école bilingue ne prendrait pas le même sens à Moncton, à Caraquet ou Woodstock. Le problème n’est pas la composition démographique des écoles, c’est le curriculum. Ensuite, ces écoles bilingues auraient, logiquement, besoin d’enseignant.e.s et d’administrateurs et administratrices bilingues. Les unilingues seraient encore plus défavorisés… Be careful what you wish for !
Troisièmement, le bilinguisme officiel de l’État n’est pas à lui seul responsable du chômage chez les anglophones et du déclin démographique au Nouveau-Brunswick. Le taux de chômage est plus élevé dans les régions francophones de la province et l’ensemble des provinces Maritimes sont en déclin démographique… Le bilinguisme officiel ne concerne que la fonction publique et selon le Commissariat aux langues officiel du Nouveau-Brunswick, a trait à moins de 39 % des postes. Pour ce qui est des emplois dans le secteur privé, ceux-ci ne sont en rien touchés par la Loi sur les langues officielles et s’ils exigent le bilinguisme, il faut blâmer la sacro-sainte « loi du marché ».
Le chômage est un problème réel au Nouveau-Brunswick, mais notre ruralité et notre mauvaise gestion des ressources naturelles sont des facteurs plus profonds et plus déterminants que le bilinguisme.
Changer la dynamique linguistique
Bien que nous soyions une province officiellement bilingue, nous n’avons jamais consenti les efforts nécessaires pour devenir réellement bilingues et en cela, les critiques ont raison d’être insatisfaits. En effet, comment expliquer que si peu d’élèves connaissent le français en sortant du secondaire anglophone (un rapport paru en 2008 estime que moins de 1 % des élèves diplômés possèdent des compétences de base en français) ? À qui la responsabilité d’enseigner et d’apprendre le français ? Comment surmonter ce problème ?
Les Acadiens doivent accepter une part de responsabilité. Ils se sont historiquement servi de la dualité pour de distancier des anglophones (on peut comprendre pourquoi étant donné l’histoire de la province). Je prends trois exemples, mais il y a en bien davantage : la semaine provinciale de la fierté française n’est pas célébrée dans les écoles anglophones et la récente Politique d’aménagement linguistique et culturelle : un projet de société pour l’éducation en langue française ne concerne que le réseau francophone. Les organismes acadiens consentent également plus d’efforts pour attirer des immigrants francophones dans la province (c’est un axe prioritaire pour la SANB) que pour favoriser l’apprentissage du français dans les écoles anglophones (l’axe « éducation » dans les priorités de la SANB ne dit rien de l’apprentissage du français langue seconde). Les Acadiens n’ont pas historiquement considéré que le bilinguisme des anglophones fût un enjeu qui les concernait. Les anglophones n’ont jamais été considérés comme des Acadiens potentiels. L’inverse est sans doute aussi vrai.
Mais les anglophones unilingues ne peuvent pas se déresponsabiliser complètement. Comment expliquer qu’il n’y ait jamais eu d’états généraux sur l’enseignement des langues, étant donné les statistiques que je viens de présenter ? Il n’y a jamais eu de campagnes pour sensibiliser la population à entretenir des relations linguistiques respectueuses. Le « sorry, I don’t speak French » est encore très, trop présent alors qu’un simple effort suffirait souvent. Et nous entendons trop peu d’intellectuels anglophones défendre le bilinguisme contre les critiques à répétition. Certains silences sont éloquents.
Aux unilingues insatisfaits, je suggère donc de plaider non pas pour révoquer des droits durement acquis aux Acadiens, mais d’oser faire de l’apprentissage des langues une priorité. Et aux Acadiens, je suggère de cesser de se servir de la dualité pour se dédouaner de la tâche qui est la leur : aider et encourager la majorité à apprendre le français. Il y a moyen de coopérer, de se tendre la main et de travailler ensemble vers un objectif commun : faire de ce territoire un espace bilingue. C’est un projet à la fois plus juste et plus réaliste que ce que proposent maladroitement les critiques. Il demande simplement que de part et d’autre on change de ton et que l’on fasse un pas l’un vers l’autre.
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