Bombardier: les vertus de la tempérance

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Lisée envoie valser, à juste titre, le Conseil du Patronat






Lettre au Conseil du patronat


 

Vous m’avez écrit récemment pour me dire, essentiellement, de me taire. Oui, vous êtes très préoccupés du fait que, chef de l’opposition, je suis, comme 93 % des Québécois, scandalisé par les hausses de rémunération indécentes qu’ont décidé de s’octroyer les dirigeants de Bombardier. Devant des hausses de 48 % de rémunération, pour une entreprise que les Québécois viennent de sauver de la faillite à grands frais (et à grands risques) et qui a mis à pied 5000 travailleurs, vous m’appelez, sans rire, au « calme et à la tempérance ».


 

Il me semble que vous vous trompez de destinataire. Car on décrit la tempérance comme suit : « Opposée aux excès, la tempérance implique l’idée d’une vertu dans le sens le plus absolu du terme, vertu qui impose une règle de retenue, de discrétion et de modération dans nos choix face à la convoitise. » C’est donc aux dirigeants de Bombardier, et aux autres p.-d.g., que vous devriez plaider la retenue et la modération, eux qui ont clairement cédé à la convoitise, alors que le Parti québécois et les citoyens ne font que réclamer, eux, cette modération.


 

Jusqu’aux années 1970, ces dirigeants se contentaient de rémunérations qui étaient 20 fois supérieures à celles de leurs salariés. Cela n’a pas empêché une des plus grandes périodes de création de richesse de l’histoire (appelée les « trente glorieuses »). Aujourd’hui, ils réclament 200 fois, parfois 360 fois le salaire moyen. C’est une dérive insupportable. Elle doit être insupportée. Y compris par le Conseil du patronat.


 

À plus petite échelle, nous avons permis au Québec que des mandarins de sociétés d’État augmentent substantiellement leur rémunération, alors même que le rendement des sociétés dont ils ont la charge a déçu. Rien ne peut le justifier.


 

Chef du Parti québécois, je souhaite que le Québec s’inscrive clairement dans un mouvement maintenant mondial pour réclamer la tempérance aux dirigeants de grandes entreprises.


 

Un mouvement mondial


 

Des investisseurs institutionnels, et parmi les plus importants, ont décidé de mettre le frein. Le plus grand investisseur au monde, le groupe BlackRock, gérant 6000 milliards de dollars de fonds, a décidé en janvier de limiter les augmentations de rémunération de dirigeants de compagnies dont il est actionnaire, en les alignant sur les augmentations des salaires… des employés de l’entreprise en question.


 

Le plus grand fonds souverain au monde, le fonds pétrolier de l’État norvégien, qui gère plus de 1000 milliards de dollars, a annoncé récemment qu’il s’opposerait désormais aux programmes lucratifs d’achats d’options pour les dirigeants (qui constituent plus de la moitié de leurs revenus) et qu’il ferait la promotion de plafonds salariaux.


 

Il ne vous a peut-être pas échappé, aussi, que la direction de Crédit Suisse a réduit récemment de 40 % les hausses de rémunération qu’elle s’était votées. Au Royaume-Uni, la révolte des actionnaires a forcé les géants du tabac Imperial Brands et du tourisme Thomas Cook à annuler des hausses prévues.


 

Les Parlements britannique, français, allemand, néerlandais s’intéressent activement à ces questions et proposent des leviers pour contenir la spirale. Même la première ministre conservatrice Theresa May songe à rendre les votes des actionnaires décisionnels sur les questions salariales, alors que la chancelière Angela Merkel veut freiner les augmentations en haussant le fardeau fiscal des entreprises trop généreuses pour leurs dirigeants.


 

Le Globe and Mail signale même que les rémunérations des nouveaux dirigeants de quatre grandes banques canadiennes sont en retrait d’un tiers par rapport à celles de leurs prédécesseurs.


 

En nous écrivant pour nous sommer de renoncer à dénoncer les hausses scandaleuses, vous nous invitez à ne pas être ouverts aux courants mondiaux qui plaident, justement, pour la modération.


 

Beaucoup grâce aux politiques économiques et sociales des gouvernements du Parti québécois, le Québec est une des sociétés occidentales qui souffrent le moins de grandes inégalités de revenus, inégalités désormais établies par l’OCDE et d’autres organismes non suspects de gauchisme comme une entrave à la fois à la prospérité et à la cohésion sociale.


 

Si les électeurs nous portent au pouvoir en octobre 2018, notre gouvernement voudra prolonger cette action, à la fois en déployant une action forte pour soutenir l’entrepreneuriat et la PME, et en ouvrant une discussion sur une société plus éthique et plus équitable.


 

Cela signifiera convier les acteurs économiques à l’engagement dans leurs communautés et à la modération salariale, aviser les habitués des paradis fiscaux que la récréation fiscale est terminée, appeler tous les citoyens à tourner le dos au travail au noir, promouvoir plus que jamais le bénévolat et la philanthropie.


 

Au cours des 10 dernières années, le Québec a fait un gigantesque effort pour faire reculer la corruption et la collusion en son sein et pour assainir le financement de ses partis, nationaux et municipaux. Il reste beaucoup à faire, mais il faut savoir reconnaître nos succès et construire, sur cette lancée, une société encore plus juste. Je suis au regret, chers patrons, de vous dire que la pire chose à faire pour y arriver serait de suivre votre conseil et de nous taire.








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Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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