Le « mêlez-vous de ce qui vous regarde » que l’Arabie saoudite a servi à l’Assemblée nationale dans sa lettre du 10 mars a quelque chose de profondément risible, troublant et contradictoire.
Le Royaume n’a pas aimé que les élus de la nation québécoise, le 11 février, dénoncent unanimement le sort que celui-ci réserve au blogueur Raïf Badawi, dont la famille est réfugiée à Sherbrooke. Ce créateur du site Liberal Saudi Network, faisant la promotion des droits de la personne et de la démocratie, a été inculpé de cybercrime, d’apostasie, de « désobéissance à son père ». M. Badawi fut condamné à 10 ans de prison, 300 000 dollars d’amende et 1000 coups de fouet. Une fois sorti de sa geôle ? On lui interdira de voyager pendant 10 ans.
Éloquente et ne mâchant pas ses mots, la ministre des Relations internationales, Christine St-Pierre, au Salon bleu, clama son « indignation profonde face à la condamnation de ce jeune homme en violation flagrante de sa dignité humaine et de sa liberté d’expression. Ce châtiment est cruel et inhumain ». L’Arabie saoudite a été élue au Conseil des droits de l’Homme des Nations unies en 2013, mais elle « continue à faire fi des droits et libertés fondamentaux de ses citoyens », déplora encore St-Pierre avant de souligner une autre inconséquence : ce pays est signataire, depuis 1997, de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants.
Dans sa lettre du 10 mars, le Royaume fait dans le relativisme : « ses » droits de la personne doivent être conformes avec sa conception de la charia. En 1948, rappelons-le, ce fut un des seuls pays à s’abstenir lors de l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Elle s’applique à elle, comme lui rappelait le 19 février le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, dans un communiqué, au terme de sa dernière visite en ce pays. Mais le Royaume préfère évidemment la Déclaration des droits de l’Homme en islam de 1990, dont l’article 24 se lit ainsi : « Tous les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration sont soumis à la charia islamique. »
Au coeur de sa lettre, l’ambassadeur saoudien condamne « toute forme d’ingérence dans ses affaires internes » et en rejette « toute violation de sa souveraineté ». Cela rappelle — notons-le au risque de toucher quelques « points Godwin » — la déclaration de 1933 de Joseph Goebbels devant la Société des Nations : « Charbonnier est maître chez soi. Nous traiterons comme nous l’entendons nos socialistes, nos communistes et nos juifs. »
L’Arabie saoudite, où l’on décapite les « criminels » au sabre, a beau participer au système international, elle défend néanmoins, d’une part, une vision de la justice « moyenâgeuse ». La Suède le lui a dit récemment en rompant un accord de coopération militaire avec elle. Le Québec devrait inciter Ottawa à imiter ce geste afin de protester plus fermement. Comme le rappelait Bernard Drainville en février, le Canada a été un acteur clé dans l’isolement international de l’Afrique du Sud dans les années 1980, afin de dénoncer l’apartheid.
D’autre part, l’Arabie saoudite a une conception pré-1948 de la souveraineté étatique totalement hermétique ; absolue, comme sa monarchie. Mais sur ce plan aussi, le Royaume est pour le moins contradictoire : il a dénoncé, depuis 2012, les violations aux droits de l’Homme en Syrie ! Et ne se gêne pas pour intervenir militairement au Yémen. Humaniste, l’Assemblée nationale a décidément bien fait de se « mêler de ce qui ne la regarde pas ». Rien de ce qui est humain ne lui est étranger.
L’ARABIE SAOUDITE C. L’ASSEMBLÉE NATIONALE
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