VEILLE DE FÊTE NATIONALE

Contre la fatigue

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Couillard, «l'indigne héritier Libéral»

Le Québec est fatigué, politiquement. À un point tel qu’il aura du mal à se célébrer, même le 24 juin. La fatigue est mauvaise conseillère. Elle nous fait voir tout en noir. Cela comporte de grands risques.
Les signes de fatigue politique, nationale, sont innombrables au Québec. Le plus important est sans doute le rejet épidermique du souverainisme de la part d’une partie de l’électorat, le 7 avril. Rejet qui se double, chez plusieurs, d’un rejet global de la nation québécoise et de certains de ses fondements.

Par exemple, que cette nation a une langue officielle, le français. Un certain discours fait florès actuellement, sur la prétendue nécessité que le Québec, comme « province », devienne au plus vite bilingue. Ce discours ne vante plus seulement les mérites et la richesse, pour un individu, de parler plus d’une langue (ce qui est indéniable). Non, il veut qu’à l’instar du Canada, le Québec se redéfinisse comme bilingue français-anglais ; bref, un recul avant la commission Gendron (1968-1973), au terme de laquelle Robert Bourassa décida de faire de la langue de Molière la seule officielle au Québec.

Indigne héritier libéral, Philippe Couillard, au débat des chefs, envoya un message totalement contraire : tout le monde devrait être bilingue, car on ne sait jamais quand un patron anglophone peut débarquer ! M. Couillard, en fin de campagne, a lui-même senti le besoin de rectifier le tir.

Son ministre de l’Éducation, Yves Bolduc, demeure ambigu en ces matières : lors de l’étude des crédits, la semaine dernière, il affirmait qu’une « société [pas un individu] capable de communiquer dans les deux langues, […], c’est un atout, et tant [sic] qu’à moi, c’est pratiquement une obligation ». Heureusement, le ministre fut rassurant lorsqu’il spécifia que l’anglais intensif en 6e année serait introduit de manière souple ; et que dans certaines parties de Montréal — où l’on apprend l’anglais par osmose —, on pourrait ne pas l’implanter, la priorité demeurant la promotion du français.

Mais pour Régis Labeaume, un des problèmes les plus urgents à Québec est le manque de bilinguisme. C’est ce qu’il a affirmé récemment. Avait-il des statistiques ? Non. A-t-il, à titre de maire de Québec, compétence en la matière ? Non. Mais il était formel : « Il ne s’en fait pas assez en matière de bilinguisme à Québec. J’ai le goût de m’investir là-dedans. » La déclaration fut reprise par de nombreux médias. Ceux-ci devraient peut-être refaire cette riche expérience effectuée par un journaliste du Canada anglais il y a quelques années. Lui-même bilingue, il s’était fait passer, dans la capitale, pour un anglophone unilingue. Or il n’eut aucune espèce de difficulté à se faire servir en anglais partout où il était passé. Les gens de Québec avaient déployé leur plus bel anglais dès qu’ils l’entendaient ou alors s’empressaient de trouver un préposé capable de l’aider. En 2014, tout serait plus aisé à Québec ; les taux de bilinguisme y ont augmenté. Internet est une sorte de classe d’immersion anglaise permanente où les jeunes se font spontanément l’oreille et l’esprit à l’anglais (entendez-les lancer des « Oh my God ! »). Alors, où est le problème à Québec, Monsieur Labeaume ? On se le demande. Au fait, si Québec était moins francophone, ne serait-elle pas moins attirante pour les congressistes et les touristes étrangers qui adorent venir y goûter la « french atmosphere » ?

La fatigue politique se mue rapidement en fatigue — et même en honte — d’être soi. Elle nous masque la valeur de notre parcours, ainsi que nos mérites (nous en avons). Elle peut nous faire désirer inconsciemment ou secrètement l’effacement de notre différence. Et rappelons-nous, en ce 24 juin, le constat de Tocqueville : « Une nation fatiguée de longs débats consent volontiers qu’on la dupe, pourvu qu’on la repose. »


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