Micheline Lachance - Historienne et écrivaine
13 octobre 2012
Sacrilège ! La ministre de l’Éducation Marie Malavoy a osé réclamer que les écoles secondaires fassent une plus large place à la question nationale dans les cours d’histoire.
Du coup, l’armada libérale et caquiste s’est levée pour l’accuser de vouloir faire rentrer tous les petits Québécois dans la cage à homards souverainiste… Cette réaction démagogique a de quoi surprendre. N’est-ce pas exactement ce que les libéraux avaient entrepris : faire entrer les petits Québécois dans leur cage à homards fédéraliste ?
Pendant des années, le gouvernement Charest a superbement ignoré les demandes répétées des professeurs d’histoire et des parents qui souhaitaient plus d’histoire du Québec afin que les élèves apprennent enfin d’où ils viennent.
Jean-Marc Fournier et Gérard Deltell n’ont probablement pas vu la vidéo réalisée en 2011 par des étudiants du cégep Lionel-Groulx. Assise sur les marches de l’église de Saint-Eustache où s’est déroulée la fameuse bataille des Patriotes contre l’armée anglaise, en décembre 1837, une jeune fille dit : « Il y a un trou dans mon église et je ne sais pas pourquoi. Je sais quand a eu lieu la Révolution française, je sais en quelle année Guillaume le Conquérant est arrivé en Angleterre, mais j’ignore ce qui est arrivé dans l’église à côté de chez moi. »
Dans cette vidéo, les étudiants citent plusieurs autres événements passés sous silence dans le cours d’histoire réformé : l’Acte de Québec de 1774, l’Acte d’Union de 1840, la conscription de 1917, le rapatriement de la Constitution de 1982…
Deux versions pour une histoire
Comme l’a souligné madame Malavoy, depuis la réforme, l’enseignement de l’histoire met sur un pied d’égalité la question nationale et le féminisme, le capitalisme ou l’américanisme.
On l’aura compris, le mot d’ordre du gouvernement libéral, et je caricature à peine, était de proposer aux étudiants une histoire neutre pour ménager les susceptibilités, le Canada, c’est bien connu, ayant deux versions différentes de chaque événement marquant de son histoire.
Par conséquent, il faut éviter d’aborder les aspects de notre passé qui créent des dissensions et enseigner plutôt une histoire « rassembleuse ». On ne devait pas non plus insister sur nos échecs, car cela donne de notre histoire une image « misérabiliste ». La rectitude politique dans toute sa splendeur !
J’aimerais qu’on m’explique pourquoi on enseigne sans état d’âme l’histoire des femmes, des Noirs, des Amérindiens, des groupes ethniques - des récits tout aussi ponctués de défaites et d’humiliations -, alors qu’on escamote l’histoire du Québec commune à tous ?
Comme si les jeunes Québécois sur les bancs de nos écoles n’avaient pas de racines. Comme si les jeunes immigrants débarquaient sur une planète historiquement aseptisée, sans valeurs communes. Et après, on s’étonne qu’ils ne s’intègrent pas à leur société d’accueil.
Gommer des pans de l’histoire
Cela me désole qu’en 2012, on en soit encore à traiter de « nationaleux » ceux qui demandent qu’on enseigne l’histoire politique du Québec. Et cela m’enrage qu’on les soupçonne de vouloir fabriquer des petits souverainistes. Gommer des pans de l’histoire, n’est-ce pas aussi servir une cause ?
N’ayons pas peur des mots : nous avons assisté, sous les libéraux, à une tentative pour réécrire le passé en effaçant d’un trait les pages qui nous définissent comme peuple différent.
Ce ne sont ni les enseignants ni les historiens qui ont inventé le passé. La déportation des Acadiens a réellement eu lieu. La défaite des plaines d’Abraham aussi. Et les insurrections de 1837-1838 ont bel et bien entraîné des représailles aussi cruelles qu’injustifiées.
Débats éclairés
Faut-il le rappeler ? Les gouvernements et leurs fonctionnaires qui élaborent les programmes ne sont pas mandatés pour choisir ce qui fait leur affaire et jeter le reste.
Les cours d’histoire doivent évoquer tous les faits historiques importants, parce que ceux-ci ont façonné la nation québécoise et qu’ils ont eu - et auront encore - des répercussions sur la suite des choses.
N’est-ce pas le sociologue Fernand Dumont qui disait : « Il faut remonter le passé pour saisir le présent » ? Mais Dumont ajoutait : « Notre drame, c’est d’avoir oublié. »
Il est quand même assez absurde qu’à l’heure où les médias et Internet regorgent de reportages, d’éditoriaux et de débats faisant état des enjeux opposant souverainistes et fédéralistes, le seul lieu où l’on en fasse abstraction soit l’école. L’un des buts de l’éducation n’est-il pas de former des citoyens capables de prendre des décisions éclairées ?
La meilleure façon d’y arriver, c’est de dire la vérité, même si elle peut diviser l’opinion. Il est impérieux de fournir à l’étudiant sur le point de quitter l’école secondaire un bon coffre d’outils qui lui permettra, par exemple, d’exercer son droit de vote en connaissance de cause.
Enseignement de l’histoire
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