Denis MacShane -
En fin de journée, il y a 70 ans, par un temps lourd, un homme grand, plutôt mal habillé, au menton fuyant, au visage habité par une moustache étroite et des cheveux noirs plaqués sur le crâne entra sans bruit dans la Maison de la BBC récemment inaugurée à Londres.
Il diffusa un court message en français, qui ne dura pas plus de deux minutes. Personne ne se souvient avoir entendu les quelques phrases prononcées. La BBC programmait alors cinq minutes de français par jour et l'habitude de tourner le bouton de la radio pour écouter les émissions diffusées en langue étrangère n'avait pas été prise.
L'appel pour demander à la France de continuer à résister contre l'envahisseur allemand et l'occupant est entré dans la légende française de la même manière que les Anglais révèrent la Magna Carta Libertatum ou les Américains sanctifient la Déclaration d'indépendance. Ce fut un acte solitaire posé par le général de Gaulle qui, quelques mois auparavant, n'était encore qu'un simple colonel dans l'armée française. Mais l'appel s'insérait aussi dans le contexte des tractations tumultueuses entre la France et le Royaume-Uni alors que le plus francophile des premiers ministres de l'histoire britannique, Winston Churchill, contemplait avec stupéfaction le naufrage du pays qu'il aimait et admirait presque autant que sa nation natale ou que l'Amérique mère.
Étape nécessaire
À travers le prisme des mémoires soigneusement reconstruites, pour moitié fruit de l'histoire et pour moitié issu du mythe tel qu'il fut réécrit par Churchill et de Gaulle après la guerre, l'appel du 18 juin s'impose aujourd'hui comme une étape nécessaire et logique de l'Histoire embrassée par deux hommes au destin commun.
À l'exception de la RAF (Royal Air Force, armée de l'air britannique), Churchill avait tout donné à la France pour tenter d'empêcher la défaite. Par la suite, c'est seule que la Grande-Bretagne a sauvé l'Europe, et peut-être le monde, d'une longue période de régime autoritaire. La chute du nazisme cinq années plus tard enclencha immédiatement la question du totalitarisme communiste. Il était impossible d'avoir évité à l'Europe de sombrer aux mains de la Gestapo, de ses camps de concentration et de ses millions de victimes, pour permettre à un autre système de terreur communiste, de répression et de déportation vers la mort de prospérer en Russie et dans l'est de l'Europe.
Intégration européenne
De Gaulle eut à attendre bien plus longtemps avant de pouvoir transformer sa brève déclaration du 18 juin en l'idée qu'il se faisait d'une France splendide, confiante, puissante, capable au moment du décès de Churchill de dépasser le Royaume-Uni comme puissance économique, sociale et culturelle. Il aida à donner naissance au processus d'intégration européenne, snobé des politiciens britanniques isolationnistes et eurosceptiques avant la lettre.
La voix de la France lançant l'appel du 18 juin 1940 était celle du général de Gaulle. Mais les mots et les idées qu'elle traduisait étaient aussi ceux de Churchill. Les deux hommes s'étaient brièvement rencontrés dans les semaines précédant le mois de juin, alors que Churchill allait et venait en France pour essayer de persuader le gouvernement français de continuer le combat. De Gaulle n'était pas un Montgomery ou un Eisenhower. Il était un soldat politique, un intellectuel en uniforme qui comprenait le pouvoir des mots.
C'est au moment où les panzers allemands entrèrent en France que son patron, Paul Reynaud, devint premier ministre, presque en même temps que Churchill. Il promut temporairement le colonel de Gaulle au rang de général deux étoiles et fit de lui un sous-secrétaire d'État à la Défense. Mais il était trop tard. Dans une dernière et noble tentative, Churchill offrit aux Français la double citoyenneté, en vain. Le gouvernement et le Parlement avaient décampé à Bordeaux. Que ferait la France? Envoyer autant de soldats et d'avions que possible sur le front nord-africain et demander à la flotte française de continuer la guerre avec la marine royale? Le samedi et le dimanche, les 15 et 16 juin, De Gaulle voyagea entre Bordeaux et Londres pour tenter de maintenir en vie la Résistance française. Mais le 17, le maréchal Pétain prit le pouvoir et annonça qu'il chercherait à signer l'armistice avec l'Allemagne.
Flamme de la Résistance
Le lendemain, Churchill demanda à De Gaulle de faire une allocution brève. Le texte était presque pathétique, De Gaulle répétant trois fois «la France n'est pas seule. La France n'est pas seule. La France n'est pas seule». Il évita les attaques directes contre Pétain ou contre ceux qui deviendraient ses ennemis féroces, les communistes qui travaillaient à avaliser le pacte entre Staline et Hitler qui dépècerait l'Europe de l'Est et les États baltes.
Il termina par ces mots: «Quoi qu'il arrive, la flamme de la Résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas.» On n'a pas trouvé d'auditeur direct de l'appel, mais le texte fut publié dans certains journaux français, avant que leur liberté éditoriale ne soit bridée. Les journaux britanniques en publièrent aussi des extraits.
Les jours qui suivirent, le ministère des Affaires étrangères britannique empêcha De Gaulle de diffuser des appels plus forts sur les ondes de la BBC. Le ministre, Lord Halifax, un conservateur notoirement connu pour sa politique de l'apaisement, n'avait pas de temps à consacrer au Français. Mais le général de cinquante ans était protégé par Churchill et par Duff Cooper, un francophile plus ardent encore.
Le discours «de la plus belle heure» de Churchill mit un terme à tous les espoirs de coopérer avec Pétain et permit à De Gaulle de lancer des appels à la résistance plus francs et répétés, jusqu'à ce que soit déclarée la formation du gouvernement en exil à Londres.
France indépendance
Le 28 juin, le gouvernement britannique reconnut officiellement «le général de Gaulle chef de tous les Français libres, où qu'ils se trouvent, qui se rallient à lui pour la défense de la cause alliée». Churchill et son pays venaient de créer un nouvel État français, un nouveau gouvernement français et un nouveau dirigeant pour la France. On peut penser que De Gaulle ne pardonna jamais aux Britanniques d'avoir fait l'objet de leur création. Encore aujourd'hui, la France et la Grande-Bretagne se regardent comme un vieux couple marié qui pense souvent au meurtre sans pour autant envisager le divorce.
L'appel du 18 juin 1940 donna naissance à une France libre et indépendante qui résista aux nazis et modela l'Europe de l'après-guerre. Le rôle de la sage-femme fut tenu par Winston Churchill, dans une salle d'accouchement organisée à la Maison de la BBC à Londres.
Aujourd'hui, on pressent que l'Europe doit se dresser de nouveau pour résister contre un envahisseur plus diffus, un nouvel ordre mondial dans lequel les pauvres souffrent et les riches s'enrichissent, qui voit les nouvelles antidémocraties viser de nouveau les Juifs et l'État juif et qui assiste, impuissant, à la fusion du capitalisme et du communisme chinois dans le moule d'un nouveau système politico-économique. Mais en 2010, quel De Gaulle voudra lancer un appel du 18 juin?
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Denis MacShane - Député travailliste de Rotherham, ancien ministre britannique des Affaires européennes et auteur d'une biographie du président français François Mitterrand
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